La visite officielle du président Nicolas Sarkozy en Inde, du 3 au 7 décembre 2010, a confirmé la volonté des deux pays d’intensifier leurs échanges économiques et technologiques. Un enjeu devenu stratégique pour la France.
L’Inde semble désormais bien ancrée parmi les cibles géographiques prioritaires des entreprises françaises, notamment les plus grandes. Les annonces de projets d’investissement se succèdent depuis quelques mois : Renault, Peugeot, mais aussi Air Liquide et Vinci (voir aussi « Secteurs porteurs » et « Interview croisée »). Le groupe hôtelier Accor prévoit d’ouvrir 90 hôtels en Inde d’ici 2015 contre 9 actuellement (Mercure, Novotel, Ibis), surtout dans les créneaux de milieu de gamme et de l’économique. Il a conclu une co-entreprise avec l’indien InterGlobe, très investi dans l’aviation, le voyage et l’hôtellerie (32 % du capital chacun), au côté du fonds d’investissement hôtelier Pacifica Partnets (36 %).
Le Service économique régional (SER) français recense 750 entreprises françaises en Inde, filiales de 300 groupes, qui devraient employer plus de 200 000 salariés en Inde à la fin de cette année. Entre 2008 et 2012, les entreprises françaises devraient investir 10 milliards d’euros dans ce pays. Elle y vont pour le marché local, mais aussi pour les marchés extérieurs : 12 % ont une activité dont les débouchés se trouvent ailleurs qu’en Inde, en raison du poids des sociétés informatiques ou des plateaux d’ingénieurs liés aux technologies de l’information.
À côté de cette présence en hausse continue, et qui justifie qu’Ubifrance ait fait de 2011 une année dévolue à l’Inde (voir « Pratique »), les autorités des deux pays souhaiteraient porter leurs échanges commerciaux à 11 milliards d’euros en 2012 (7 milliards actuellement) grâce à deux secteurs stratégiques : l’aéronautique et le nucléaire.
Le voyage officiel de Nicolas Sarkozy en Inde, en décembre dernier, a été, à cet égard, l’occasion de réaffirmer la consolidation des liens entre Paris et Delhi par quelques contrats emblématiques.
La seule commande aéronautique ferme de ce voyage a été un leasing pour la location de 14 Airbus (Jet Airways : 10 ; Air India : 4). Mais, dans la défense, la France espère se voir confier la modernisation de 51 Mirage 2000 de l’armée de l’air indienne pour un montant estimé à 1,5 milliard d’euros. Un contrat qui pourrait être complété par de nouveaux missiles pour les Mirage (700 millions d’euros). De même, serait à l’étude la conception commune d’un missile sol-air (2 milliards) avec MBDA (filiale missiles d’EADS) et d’un moteur pour avion de chasse (500 à 700 millions d’euros) auquel Safran souhaiterait être associé. Enfin, la France a répondu à l’appel d’offres indien, lancé en 2007, concernant la livraison de 126 avions de combat, en proposant le Rafale de Dassault. À ce jour, la décision n’a pas été prise.
Surtout, dans le nucléaire, Areva a signé un accord-cadre pour la construction de deux réacteurs EPR (réacteur pressurisé européen), de 1 650 mégawatts à Jaitapur (Maharashtra), pour le groupe public indien NPCIL, avec une possibilité de quatre supplémentaires.
La concrétisation de l’accord risque cependant dêtre longue à venir. Comme tous les accords-cadres, celui-ci a pour caractéristique essentielle d’être divisé en deux. Le premier stade concerne les travaux préparatoires et le choix des fournisseurs, pour lequel les discussions ont été commencées. Le second stade concernera la fourniture des réacteurs et du combustible.
Le défi lancé à la filière française est énorme. D’abord parce qu’elle n’aura pas le droit à l’erreur. Les deux premiers EPR en construction à Flamanville et en Finlande (qui a demandé une double enceinte de confinement) accumulent les retards et les surcoûts. Or, le contrat indien porte sur 3,5 milliards d’euros, une enveloppe qu’il faudra tenir, tout en respectant le délai de début de production d’électricité en 2018.
Il sera donc impératif que les acteurs français aient su tirer les leçons de leurs expériences pour améliorer leur capacité à gérer ce type de projet.
Par ailleurs, si le gouvernement indien a déclaré l’énergie nucléaire « environnementalement acceptable », il y a une opposition locale au projet.
En outre, le parlement indien a voté une loi qui stipule que, en cas d’accident nucléaire, la responsabilité de l’opérateur et des fournisseurs d’équipement sera engagée. Les décrets d’application de cette loi n’ont pas encore été publiés.
Dans ce contexte, la catastrophe nucléaire au Japon pourrait inciter les Indiens à se donner du temps.
Jean-François Tournoud
Pétrole et aéronautique Un quart des échanges
Les échanges franco-indiens sont dominés par deux produits qui en constituent à eux seuls le quart. Côté français, la mise en service de ce qui était jusqu’à novembre dernier la plus grande raffinerie du monde (Reliance Industries, 62 millions de tonnes par an dans le Gujarat) a fait exploser la demande française en 2010 : les importations ont dépassé 1 milliard d’euros (+ 61 %).
De leur côté, les Indiens sont de grands acheteurs d’aéronautique, de sorte que, selon les contrats et les années, les échanges sont favorables ou non à la France. Depuis 2008, la France accuse un déficit commercial essentiellement pour cette raison. Mais les deux plus grosses compagnies aériennes indiennes privées sont en attente de nombreuses commandes. Airbus doit livrer, dans les prochaines années, 54 appareils à Jet Airways et 67 à Kingfisher Airlines. En outre, Indigo a signé début janvier dernier un protocole d’accord pour pas moins de 180 A320, (dont 150 A320neo). Autant dire que l’aéronautique va être le moteur des ventes françaises vers l’Inde, et quasiment l’unique produit exporté certaines années.
Hors aéronautique, les exportations françaises sont très centrées sur les produits de la mécanique, travail des métaux, et produits de base transformés (plastique, chimie). Les biens de consommation demeurent freinés par les barrières à l’importation et des limites à la grande distribution.
Néanmoins, la France peut mieux faire en Inde. Selon l’OMC, les importations indiennes ont bondi de 44 % au premier semestre 2010 (par rapport au même semestre de 2009), alors que les exportations françaises destinées à l’Inde n’ont progressé que de 17,9 % en 2010. Pourtant, dans une note de mi-février dernier, le Service économique régional français à New Delhi se montre optimiste : « Avec ce rythme de croissance (de + 41,4 % des importations françaises), nos échanges atteindraient fin 2012 un résultat proche de l’objectif de la déclaration conjointe de janvier 2008 (12 milliards d’euros annuels), qui a été réaffirmé en décembre 2010 à l’occasion de la deuxième visite en Inde du président Nicolas Sarkozy. » C’est l’aéronautique qui devrait permettre d’atteindre cet objectif.
J.-F. T.
Investissements en augmentation
La France a du retard en matière d’investissement direct en Inde, mais elle n’est pas si mal placée compte tenu de sa taille. Elle est le 5e pays investisseur de l’Union européenne (après l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Belgique et les Pays-Bas) et a généré 1,2 % des flux entrants d’investissements directs étrangers (IDE) en Inde lors de l’exercice 2009/10. Au niveau mondial, elle se place en 10e position, loin derrière l’île Maurice (42 %) et Singapour (10 %), qui bénéficient d’un environnement fiscal favorable (ils constitueraient des plateformes de transit pour les capitaux destinés à l’Inde), mais aussi les États-Unis (7 %). Côté indien, l’intérêt pour la France est en croissance. Alors qu’en 2005, l’Inde se classait au 69e rang des investisseurs étrangers en France, en 2009, elle s’est placée à la 45e position. Le stock des IDE indiens, s’il est encore modeste, augmente : 323 millions d’euros en 2009 (0,04 % du total), contre 91 millions en 2005. Les secteurs dominants sont la métallurgie et la fabrication de produits métalliques, les TIC et l’industrie pharmaceutique.
* Source : Service économique régional en Inde, note d’octobre 2010.