Fini l’Aide publique au développement (APD) vieille école, c’est-à-dire seule à financer les projets de développement, bienvenus aux « investissements solidaires pour le développement », le nouveau nom des partenariats public-privé que veut promouvoir l’Agence française de développement (AFD), auprès du secteur privé dans le cadre des nouveaux « Objectifs de développement durable (ODD) » … C’est le message que Rémy Rioux, son directeur général, martèle aux hommes d’affaires français dès qu’il en a l’occasion -il l’a fait encore le 22 octobre lors d’Ambition Africa-, et qu’il a livré à ceux venus en nombre l’écouter lors d’un déjeuner organisé à l’initiative du Conseil des investisseurs français en Afrique (CIAN), le 16 octobre à Paris, avec manifestement de fortes attentes vis-à-vis d’une institution devenue le pivot de la diplomatie économique française en Afrique mais qui n’a toujours pas pourvu les deux sièges réservés aux secteur privé dans son conseil d’administration…
Les ODD ont cassé d’anciennes lignes de partage : les solutions viennent aujourd’hui de partout, Nord et Sud, et les pays en développement tendent à devenir des « pays en transition », a insisté Rémy Rioux. Au nord comme au sud, « il faut que tout le monde converge vers une zone d’atterrissage où l’indice de développement humain progressera tout en réduisant son empreinte écologique », a-t-il encore expliqué, replaçant cette évolution conceptuelle dans le droit fil des cadres d’action dessinés lors des grandes conférences internationales de 2015 : celle d’Addis-Abeba, sur le financement du développement, qui a institutionnalisé l’appel systématique au secteur privé, celle de New-York sur le développement durable et enfin celle de Paris sur le Climat. « C’est en train de se déployer », a indiqué Rémy Rioux et concrètement, le concept « d’investissement solidaire de développement » est en cours de construction.
Une mise en perspective sans doute nécessaire pour répondre aux attentes des hommes d’affaires présents, dont Alexandre Vilgrain, le président du CIAN et Étienne Giros, son président délégué, avaient résumé les attentes : concrètement, où en est le dispositif public français et comment compte-t-il travailler avec des entreprises échaudées par un environnement des affaires demeurant compliqué en Afrique –harcèlement fiscal…-, amères face à la mise en scène médiatique de la mise en examen de Vincent Bolloré au printemps dernier, à la tête d’un des groupes français les plus investis sur le continent, et enfin aux abois face à un rouleau compresseur chinois bien loin de ralentir ?
On retiendra des propos du directeur général de l’AFD plusieurs tendances saillantes.
1 milliard de don en 2019
La première est que les Français veulent « un retour » sur les efforts d’ouverture consentis. En 2017, le Front national est arrivé au second tour de la présidentielle, c’est finalement « l’ouverture » qui l’a emporté sur le « repli » avec l’élection d’Emmanuel Macron. Mais le message a été reçu 5/5 : « On a absolument besoin d’avoir un instrument positif qui montre qu’il y a des retours : c’est la politique de développement ». Sous-entendu les intérêts économiques français sont mieux pris en compte.
La deuxième tendance est que la croissance des capacités de l’AFD a été accélérée sous l’impulsion du président Macron, pour passer de 8 milliards d’euros d’engagement en 2014 à 14 milliards d’euros en 2019, et l’enveloppe des dons, en cours de discussion au Parlement dans le cadre du budget 2019, pourrait atteindre 1 milliard d’euros. L’Afrique ne sera pas la seule bénéficiaire mais la région est en tête des priorités. Or, davantage que les prêts, qui sont de l’aide déliée, les dons permettent de financer des projets avec de l’expertise française.
La plateforme de la politique de développement « on la fera avec vous »
La troisième tendance est que l’AFD tend à concentrer l’ensemble des capacités françaises en matière d’APD, devenant un super opérateur dans ce domaine : bientôt, elle va intégrer Expertise France, agence qui regroupe les moyens en expertise publique dans divers domaines techniques et administratifs, complétant ainsi avec des moyens d’étude et de normalisation supplémentaires une gamme d’instruments financiers qui vont du don au financement de la recherche en passant par les prêts, le financement du secteur privé (Proparco), les garanties.
C’est une véritable « plateforme de la politique de développement » que l’AFD veut construire, car au-delà des financements, «les partenaires, c’est la France et les entreprises françaises qu’ils cherchent » a assuré Rémy Rioux. « On aura 1 milliard de don en 2019, peut-être un autre milliard en 2020 » a-t-il insisté, et cette plateforme, « on la fera avec vous ». « Je suis à votre écoute, on est des partenaires du Sud mais dans notre mission, on a aussi à renforcer les liens avec notre pays » a poursuivi le directeur général de l’AFD.
La quatrième tendance est que l’AFD veut utiliser tout les leviers du cofinancement international pour démultiplier ses capacités : elle est un membre actif de l’IDFC (International Development Finance Club (IDFC https://www.idfc.org/), un club qui regroupe 24 banques de développement nationales ou régionales dont l’AFD a été un cofondateur en 2011 et qu’elle préside depuis 2017. Le 16 octobre, Rémy Rioux revenait d’ailleurs d’Indonésie où il avait participé à une réunion de cette organisation. « Ils ont envie de prendre des positions collectives, de cofinancer des projets », a affirmé le dirigeant.
« Ces réseaux sont à votre disposition », a-t-il promis aux hommes d’affaires du CIAN. Reste à ceux-ci à prendre la balle au bond…
Christine Gilguy