Après huit ans d´administration Bush, la présidentielle américaine 2008 fera date.
Au plan de la politique commerciale des États-Unis, selon le candidat qui sortira vainqueur, il reste à savoir s´il faut en attendre une « rupture » ou une « continuité », et dans quel sens : libre-échange ou protectionisme, unilatéralisme ou multilatéralisme accrus ?
Pour la première fois depuis 1928, tous les candidats sont « neufs » : pas de président cherchant un second mandat, pas de vice-président en place, mais des candidats qui, du côté républicain, ont réussi à percer avec très peu d´argent : Huckabee, et McCain maintenant investi. Du côté démocrate, le combat pour l´investiture s´est joué entre un Noir et une femme. Quant au débat, il a ces quelques mois porté sur le fond (issues) et ne s´est pas limité aux attaques personnelles et aux combats sur les « valeurs » (avortement, mariage homosexuel, etc.).?Sans doute parce que les deux principaux candidats ont indéniablement une profondeur humaine, une compréhension du monde extérieur et une intégrité qui devrait les pousser à continuer sur cette voie.?Mais l´on sait que les groupes qui les soutiennent ne feront pas preuve d´autant de retenue. (…)
Il faut donc se demander s´il existe une réelle différence entre les démocrates et les républicains en matière de politique étrangère et de politique commerciale. En politique étrangère : les deux candidats sont d´accord pour prôner un retour au multilatéralisme et un plus grand respect de l´opinion et de l´attitude des partenaires. C´est une bonne nouvelle, même si ce serait sans doute plus difficile pour McCain, qui prône le maintien des troupes en Irak. Barack Obama apporterait quant à lui une vision nouvelle, tout autant par la politique qu´il prône (retrait immédiat d´Irak, dialogue ouvert à tout chef d´État, même iranien) que par sa personne même :
père kenyan, enfance multiculturelle avec composante asiatique (Indonésie + Hawaï) et famille incluant une palette large de nationalités et de religions.
1 – Les spécificités de la politique commerciale américaine
Si la politique commerciale fait maintenant partie de la politique étrangère, elle a des spécificités. Rappelons que la politique commerciale relève des attributions du Congrès : cela figure clairement à l´article I section 8 de la Constitution. Donc, pour que le président puisse négocier, il lui faut obtenir du Congrès que celui-ci se dessaisisse d´une partie de sa souveraineté, ce qui est mal vu par certains, et pas seulement les démocrates.
Depuis les années 1930, le Congrès a délégué ses pouvoirs selon des mécanismes divers, fast track dans les années 1980 et maintenant Trade promotion Autority (TPA). L´accord qui avait permis la négociation de l´Alena (Accord de libre-échange nord-américain) et des accords de Marrakech, donnant naissance à l´OMC, n´avait pas été renouvelé et il fallut attendre 2002 pour que le Congrès accorde cette facilité au président Bush. Celui-ci en a fait un usage intensif et a négocié neuf accords de libre-échange (Chili, Singapour, Australie, Maroc, Bahreïn et Oman, en particulier). Quatre accords sont en attente de l´approbation par le Congrès : un gros accord avec la Corée du Sud et trois accords avec des pays d´Amérique latine (Pérou, Colombie et Panama).
Qui que soit le président élu, il devra donc composer avec le Congrès et tenter de s´appuyer sur ceux des sénateurs et des représentants qui sont en faveur du libre-échange ou qui peuvent se permettre de voter un texte de délégation sans que leurs élus ne le leur fassent « payer » immédiatement (par une non-réélection).
Or, depuis les élections de mi-mandat en 2006, les démocrates ont la majorité à la Chambre des représentants, après avoir fait campagne sur l´opposition à la politique du président Bush, certes en Irak, mais aussi en matière de politique commerciale. Ces élus ont d´abord tenu à marquer leur opposition à la politique de Bush puis ont accepté, en mai 2007, de négocier l´éventualité d´un vote TPA, à la condition que la loi de délégation de pouvoirs contienne des exigences en matière de respect du droit du travail dans les pays signataires.
À cet égard, la grande question est de savoir s´il est opportun ou non d´inclure des normes « essentielles », déjà requises par l´Organisation internationale du travail (OIT), mais qui seraient incorporées dans les accords à venir. En 2008, la situation est au point mort car ce type de délégation nécessite un climat de confiance, totalement absent entre la présidence Bush et les démocrates. Quid de l´après-2008 ?
2- Les accords de libre-échange, débat de campagne
La politique commerciale est un thème prioritaire durant cette année électorale, mais pas les négociations OMC, peu évoquées. Ce n´est pas un hasard si 27 lois anti-Chine ont été votées par le 109e Congrès et une douzaine rien que durant les trois premiers mois de 2007 par le 110e Congrès élu en 2006. Elle est également au cœur de la campagne.
Du côté démocrate, après plusieurs mois de silence, dès le début des primaires, les deux candidats se sont acharnés sur l´accord Alena qui lie les États-Unis, le Mexique et le Canada. Avec beaucoup de démagogie, Hillary Clinton, en particulier, a attribué tous les maux des États à majorité de population ouvrière comme la Pennsylvanie ou l´Ohio (qui sont des États pivots dans le vote de novembre) à l´Alena. (…)
Le candidat républicain est, comme c´est le cas traditionnellement, en faveur du libre-échange, mais lui-même doit tenir compte de certains courants du parti républicain. Et si l´on considère que Barack Obama, qui a été moins démagogue et populiste qu´Hillary Clinton, comprend la nécessité du libre-échange, ainsi que peuvent le laisser entendre ses échanges, qui devaient rester confidentiels, avec le gouvernement canadien, la situation est délicate pour lui. En effet, le parti démocrate est traditionnellement le parti des ouvriers, des cols bleus qui souffrent tout particulièrement de la désindustrialisation et des délocalisations, et Obama a besoin d´eux pour être élu. Or, les syndicats qui les représentent ont tendance à montrer du doigt les délocalisations beaucoup plus que la désindustrialisation.
En d´autres termes, il est pratiquement impossible pour un représentant ou un sénateur de la ceinture nord-est des États-Unis, parfois appelée « ceinture de la rouille » (Rust Belt) par opposition à « ceinture du soleil » (Sun Belt) de voter en faveur de davantage de libre-échange.
Or, celui qui sera élu aura besoin d´un Congrès qui a toutes les chances d´être à majorité démocrate et qui sera donc peu enclin à vouloir davantage de libre-échange.
3- Une préférence certaine pour les négociations bilatérales
Soulignons que la version américaine du libre-échange n´est jamais véritablement le multilatéralisme. Pendant longtemps, les Américains ont préféré les sanctions unilatérales – contre la Chine, par exemple – pour contraindre les états selon eux « délinquants » à ouvrir leurs frontières ou à cesser leurs comportements protectionnistes ou en violation de la propriété intellectuelle. Maintenant, même s´ils ont accepté la règle de l´OMC et son mécanisme de règlement des différends, les États-Unis ont toujours une préférence pour les négociations bilatérales dans lesquelles ils peuvent choisir le partenaire et obtenir ce qu´ils souhaitent.
Ce n´est donc pas tout à fait un hasard si les négociations multilatérales du cycle de Doha sont au point mort alors que les États-Unis ont signé près d´une dizaine d´accords bilatéraux et que le Congrès a adopté une « farm bill » (loi agricole) qui va exactement à l´encontre de ce qui serait nécessaire pour faire aboutir le cycle de Doha…
Cela étant, que le président futur soit républicain ou démocrate, d´autres facteurs jouent un rôle tout aussi important. L´occupant de la Maison-Blanche aime-t-il l´Europe et la France en particulier ? Est-il convaincu de l´importance de la relation transatlantique ?
Cela ne semblait pas le cas de McCain, mais il est venu en Europe et a dit grand bien du président français, dont on sait qu´il affiche son admiration pour les États-Unis et leur dynamisme.
On peut penser qu´Obama serait davantage tourné vers l´Asie et l´Afrique que vers l´Europe, même s´il ne la qualifie pas de « vieille Europe » comme le fit en son temps le secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld. Beaucoup dépendra également de l´attitude de la présidence française de l´UE et les gestes significatifs esquissés par le président Sarkozy tant vers les États-Unis que vers la Grande-Bretagne peuvent jouer un rôle favorable.
Alors que faut-il faire ? Qu´est-il possible de faire ? Il est nécessaire que l´UE continue de négocier des accords bilatéraux et que les entreprises françaises et européennes se battent à armes égales et fassent usage du lobbying pour obtenir ce qu´elles souhaitent. (…)
Même McCain et Obama ont des lobbyistes dans leurs équipes (et les problèmes de conflits d´intérêts qui vont avec), même si l´un et l´autre se posent en « champion du combat contre les intérêts spéciaux ». Ce serait naïf pour les Français de ne pas tenir compte de cet environnement et de ne pas agir.
Anne Deysine, professeur à l´université Paris-X Nanterre*
* Anne Deysine dirige un master 2 d´affaires internationales et négociation interculturelle (www.master-aini.net). Elle est l´auteur de Les États-Unis aujourd´hui : permanence et changements, publié à la Documentation française.