C’est la chronique de printemps qui agite les marchés financiers. Les États-Unis auraient pu se trouver à court de liquidités à compter du 1er juin, une situation qui serait désastreuse pour les marchés mondiaux et une économie nationale encore fragile malgré des indicateurs plutôt positifs depuis le début de l’année. Les experts de la vie politique américaine estimaient à raison qu’une solution de dernière minute allait être trouvée, ce qui semble être le cas. Mais cette situation révèlent les fragilités de l’économie américaine.
(Mis à jour le 31 /O5/ 2023)
La nouvelle a fait l’effet d’une douche froide. Début mai, la Secrétaire au Trésor américain Janet Yellen a prévenu que Washington pourrait ne plus être à même de payer ses factures à compter du 1er juin. En cause, le plafonnement de la dette, fixé à 31 381 milliards de dollars (Md USD), que les États-Unis ont allègrement dépassé mi-janvier et qui les empêche désormais d’emprunter.
Alors que la consommation reprenait de la vigueur depuis le début de l’année, les ménages seraient les premières victimes collatérales de ce défaut de paiement, en particulier les bénéficiaires de prestations sociales, les militaires, les familles avec enfants ou encore les personnels des agences gouvernementales contraintes de rester portes closes.
Les institutions nationales et étrangères détentrices de tires du Trésor américain, placement privilégié de la finance mondiale, ne seraient plus remboursées, ce qui entrainerait une dégradation de la note de la dette du Trésor resserrant ainsi les conditions de crédit dans tous les secteurs.
Un défaut « porterait atteinte à l’économie américaine, d’une part en rendant indispensable une réduction des dépenses et d’autre part car les États-Unis seraient probablement confrontés à des turbulences sur les marchés financiers, avec un affaiblissement du dollar et une augmentation considérable des rendements des titres du Trésor américain, a estimé Coface dans un communiqué. Les taux d’intérêt augmenteraient pour l’ensemble de l’économie et feraient probablement baisser les cours des actions. Dans ce scénario, un abaissement de la note de crédit souveraine semble inévitable et déclencherait des abaissements de ratings pour l’ensemble des émetteurs de dette américains. Une défaillance se répercuterait aussi sur les marchés internationaux, affectant les titres du Trésor et les autres actifs libellés en dollars américains ».
Une pièce « commémorative » à 1 000 milliards de dollars ?
Depuis l’annonce du dépassement du plafond de la dette, l’État fédéral a mis en place des « mesures extraordinaires » comme le non-versement des cotisations au fonds de retraite des employés fédéraux afin de repousser l’échéance au maximum. La Secrétaire au Trésor a par ailleurs demandé aux législateurs de trouver rapidement un accord avec la Maison Blanche. Et c’est là que le bât blesse. Depuis les élections de mi-mandat en 2022, les Républicains sont en effet majoritaires à la Chambre des représentants et souhaitent conditionner leur soutien au le relèvement du plafond de la dette à une réduction des dépenses d’environ 4 500 Md USD sur dix ans.
Ce dernier n’a par ailleurs rien d’exceptionnel. Sur les 23 dernières années, « le plafond de la dette a été relevé à 20 reprises », a rappelé l’économiste Christopher Dembik à nos confrères de Capital. « C’est presque une formalité, même si c’est souvent l’occasion d’une confrontation musclée entre Républicains et Démocrates ». Même son de cloche du côté de Coface qui estime qu’« un compromis de dernière minute reste probable ». L’assureur-crédit n’exclut toutefois pas totalement un défaut de paiement dans les semaines à venir.
En pareil cas, les Démocrates pourraient demander un vote au Congrès via une pétition, Joe Biden pourrait invoquer le section 4 du 14e amendement de la Constitution et demander au Trésor d’émettre des obligations d’Etat et des « premium bonds » pourraient également être émis.
Autre solution, vanté par le prix Nobel d’économie Paul Krugman : comme la loi fédérale l’y autorise, le Trésor pourrait frapper un « one trillion dollar coin », une pièce en platine de 1 000 Md USD pour contourner le Congrès. « Après avoir déposé la pièce à la Fed, le Trésor pourrait payer ses factures en puisant dans le compte ainsi créé, sans émettre de nouvelle dette, explique Coface. Cette solution semble peu probable car les tribunaux mettraient probablement en question la base juridique d’une telle procédure ».
Si une catastrophe financière devrait être évitée, il n’en reste pas moins que cet épisode souligne la fragilité de la repise de l’économie américaine. Certes la consommation et le marché du travail demeurent dynamiques, mais une inflation à 4,9 % fin avril « reste trop élevée pour que la Fed puisse crier victoire », estime Coface. En outre, les récentes faillites de la Silicon Valley Bank et de la First Republic Bank interrogent sur la solidité des banques régionales. Dans ce contexte, l’assureur-crédit prévoit un ralentissement de la croissance du PIB à +1,2 % cette année. Selon son scénario de base, l’économie américaine devrait éviter la récession en 2023, « mais la succession d’événements défavorables de ces dernières semaines pourrait la faire basculer ».
Sophie Creusillet