Le Moci. Est-ce que la France a raison de développer une politique industrielle ?
Frédéric Sanchez. Oui, c’est fondamental. Les
États-Unis, le Japon, la Chine l’ont compris depuis longtemps. En
France, après la période gaullienne, l’industrie est progressivement
tombée dans les oubliettes, et on ne peut que se féliciter de la prise
de conscience récente de son importance dans le développement économique
de notre pays. Elle représente 80 % de nos exportations, et si la part
de la valeur ajoutée industrielle dans le PIB est d’un peu moins de 15
%, elle contribue fortement au développement des activités de services.
Compte tenu de l’émergence de nouveaux acteurs aux ambitions mondiales
dans les zones géographiques en forte croissance (Chine, Inde, Brésil et
sans doute demain Indonésie), il est essentiel d’avoir des champions
français et européens capables d’affronter la compétition
internationale. La suppression de la taxe professionnelle a été une
mesure très positive.
De même, le CIR [crédit d’impôt recherche] constitue un atout et une
opportunité d’investir dans le futur, et particulièrement dans
l’innovation, facteur clé de succès dans la compétition internationale.
Les pôles de compétitivité sont également très utiles. Enfin, le
Programme d’investissements d’avenir, présidé par René Ricol, va dans le
bons sens en offrant aux industriels une orientation précise sur les
grands secteurs et les technologies dans lesquels la France veut
investir dans le futur.
Le Moci. Quelles mesures de soutien à l’industrie souhaitent les patrons français ?
Frédéric Sanchez. Les entreprises françaises, petites et grandes,
ont un problème de compétitivité. Les coûts salariaux, du fait du niveau
élevé des charges sociales, sont supérieurs de 10 % à ceux de
l’Allemagne, alors qu’en 2000, le coût du travail en France était
inférieur à celui de nos voisins d’outre-Rhin. Et la différence est
encore plus forte avec les États-Unis, où les charges sociales et
fiscales sont encore plus basses. Il faut donc rendre plus compétitif le
coût du travail dans notre pays. Cela implique de trouver de nouvelles
ressources, pas forcément en créant de nouveaux impôts, mais
certainement en réduisant les dépenses publiques et en repensant le
financement de notre protection sociale.
La mise en œuvre des 35 heures s’est également accompagnée d’une
inflexion de notre compétitivité-prix. Sans doute faudrait-il réfléchir à
la mise en place, de façon pragmatique et concertée, d’une durée
conventionnelle du travail négociée branche par branche, à l’instar de
ce qui est fait en Allemagne (apportant ainsi souplesse et adaptation
aux enjeux du terrain), plutôt que d’une durée légale. Enfin, il faut
travailler sur d’autres facteurs de compétitivité : l’adéquation des
formations dispensées dans le système éducatif aux besoins des
entreprises, l’apprentissage des langues étrangères (qui doit encore
progresser) et, bien sûr, l’innovation sous toutes ses formes.
Le Moci. Le gouvernement français veut favoriser la création d’entreprises de taille intermédiaire (ETI). Qu’en pensez-vous ?
Frédéric Sanchez. Oui, il faut aider nos PME à grandir pour devenir
des ETI, capables de prendre le chemin de l’export. À titre de
comparaison, 17 % des PME exportatrices allemandes sont implantées à
l’étranger, contre seulement 3 % des PME françaises (étude réalisée pour
Natexis par l’université Paris Dauphine). Les marges de manœuvre
financières sont supérieures outre-Rhin, du fait d’une rentabilité
opérationnelle plus forte et de structures de bilan plus solides. Cela
facilite leur développement à l’international. Ce n’est pas le cas en
France, où nos PME peinent à grandir. Un bureau commercial à l’étranger
représente un coût d’environ 1 à 1,5 million d’euros par an, ce qui est à
la portée de très peu d’entre elles.
En outre, malgré les améliorations et aménagements apportés à son mode
de calcul, l’ISF demeure pénalisant, tout comme la fiscalité du
patrimoine, qui taxe les titres sur l’ensemble de la chaîne, de la
détention à la transmission. Ceci a sans doute pour effet de pousser les
actionnaires familiaux n’exerçant aucune activité dans l’entreprise à
en céder les titres, notamment lorsque la valorisation augmente parce
que l’entreprise est précisément en phase de développement. Ainsi, les
PME en croissance sont souvent absorbées par de plus grosses
entreprises. Enfin, même si, depuis la crise, cet atout a montré
quelques limites, les entreprises allemandes bénéficient de systèmes de
financement favorables et décentralisés, à travers de fortes relations
entre tissu industriel et banques, notamment avec le relais des
Landesbanken.
Propos recueillis par François Pargny