La diplomatie économique française a fait de l’Afrique de l’Est une de ses priorités depuis le discours d’Emmanuel Macron à Ouagadougou en 2017 et l’affirmation d’une « stratégie continentale » de la France en Afrique. Et les à-coups de la conjoncture politique, comme en Ethiopie, ne freinent pas cet élan. L’appétence des entreprises françaises s’en trouve revigoré, comme en témoigne la dernière tournée de Franck Riester dans la zone fin octobre.
C’est sur le Kenya que le groupe Saint Gobain a jeté son dévolu pour investir dans sa première usine dans cette partie du continent africain, via le rachat d’une unité de production de gypse, et avec le projet de créer une ligne de production de chimie de la construction. Le ministre français du Commerce extérieur, qui y terminait sa récente tournée en Afrique orientale, a assisté à cette signature fin octobre.
Le champion français des matériaux de construction a également investi, au même moment, dans le rachat d’une participation majoritaire dans a.b.e.® Mauritius, acteur de premier plan – licencié de Chryso – dans les mortiers techniques, additifs et produits imperméabilisants. Quelques mois auparavant, le groupe Soufflet avait annoncé son premier investissement en Afrique avec la création d’une malterie en Ethiopie.
Les entreprises françaises sont-elles en train de changer de braquet sur cette partie du continent africain où seuls quelques grands noms tels que Bolloré Logistics ou Total s’aventuraient jusqu’à présent ?
Les investissements directs français ont triplé
De fait, avant la pandémie, les investissements directs français dans cette partie du continent avaient commencé à décoller, avec un triplement entre 2018 et 2019 de 2,8 à 7,2 milliards d’euros (Md EUR). Au Quai d’Orsay, on est convaincu qu’il y a une vraie attente, en Afrique anglophone et lusophone, vis-à-vis de la France et de ses savoir-faire.
Concernant le commerce extérieur bilatéral, largement excédentaire au bénéfice de la France, les échanges sont encore modestes et en dents de scies : le premier client export est le Kenya avec 141 M EUR (import 131,3), en recul de 13,7 % en 2020, suivi de l’Ouganda, où la livraison de deux Airbus a boosté les exportations à 126 M EUR (+367 %), alors que les importations progressaient de 15,2M EUR. Vers la Tanzanie, les exportations ont atteint 66 M EUR (+ 6 %) et vers le Rwanda, 20,2 M EUR.
Ces quatre pays, destinations de la dernière tournée africaine du ministre du Commerce extérieur, totalisent, avec 353 M EUR d’exportations françaises, à peine plus que celles vers le seil Burkina Faso (353 M EUR en 2019), et trois fois moins que la Côte d’Ivoire (1,1 Md EUR en 2019) ou le Sénégal (1 Md EUR), les deux principaux clients de l’export français en Afrique de l’Ouest francophone. La marge de progression est donc conséquente.
Des délégations d’entreprises françaises
Le fait est que les délégations d’entreprises de toute taille montées par Business France et/ou Medef international (Medefi) à l’occasion de cette tournée africaine de Franck Riester, qui l’a conduit successivement en Tanzanie (19 octobre), puis quelques jours plus tard en Ouganda (25 octobre), au Rwanda (27 octobre) et au Kenya (28-29 octobre), n’avaient rien à envier à d’autres déplacements : une vingtaine d’entreprises pour Kampala, une trentaine pour Kigali et une quarantaine pour le Kenya, selon le Quai d’Orsay.
A chaque étape, le ministre français a été reçu à bras ouvert par les chefs d’États (sauf au Rwanda où Jean-Yves Le Drian l’avait précédé) et nombre de ministres. Objectif : stimuler la mise en oeuvre du volet économique de la nouvelle stratégie africaine, et surfer sur les contacts pris lors du Sommet sur le financement des économies africaines de mai à Paris et du dernier Sommet Afrique-France de Montpellier, résolument tourné vers la société civile et le secteur privé.
En Tanzanie, une « task force » pour suivre les projets transports
En Tanzanie, où Franck Riester a assisté à l’inauguration d’un nouveau vol direct d’Air France avec Zanzibar, un forum d’affaires a permis de mettre en valeur plusieurs secteurs porteurs dans les infrastructures de transports (rénovation du terminal de l’aéroport de dar es Salam, construit par Bouygues), le tourisme, l’économie bleue.
Dans ce pays réputé pour ses safaris, une présentation des nouveaux véhicules électriques de safaris d’E-Motion Africa a été organisée (notre photo). Il s’agit d’un projet lancé par un entrepreneur français patron d’une société de safari locale, Kilimandjaro Safari Club-MKSC en association avec le Arusha Technical College pour la formation des ingénieurs. E-motion remplace les vieux moteurs thermiques par des moteurs électriques équipés de batteries Lithium-ion de Renault reconditionnées. E-Mmotion Africa résulte d’un partenariat entre quatre sociétés : Carwatt, Akuo, Hanspaul Group et Gadgetronix.
Une « task force » a été mise sur pied par la CCI franco-tanzanienne et l’ambassade de France, côté français, pour suivre l’évolution des projets dans le transport. Le ministre a par ailleurs transmis à la nouvelle présidente tanzanienne Samia Suluhu Hassan une invitation officielle du président français à se rendre en France.
Lancement de clubs d’affaires français en Ouganda et au Rwanda
En Ouganda, où un club d’affaires franco-ougandais a été créé -un premier jalon pour une future CCI franco-ougandaise-, en dehors du gros projet d’exploitation gazière de Total sur le lac Albert, les domaines d’intérêt pour les entreprises françaises ne manquent pas dans ce pays de 50 millions d’habitants : énergies renouvelables, eau-assainissement, infrastructures de transport, santé, TIC.
Au Rwanda, considéré comme le nouveau « Singapour » de l’Afrique, l’attente est également forte des deux côtés après un processus de réconciliation bien engagé cette année avec la visite officielle du président Macron à Kigali en mai, puis la nomination d’un ambassadeur de France. Antoine Anfré a rejoint en juin 2021 le poste diplomatique de Kigali, inoccupé depuis 2015 à la suite de tensions diplomatiques autour de la question mémorielle des responsabilités du génocide de 1994.
Là encore, il s’agissait d’activer la mise en œuvre du volet économique du rapprochement diplomatique déjà scellé entre les deux pays. La forte délégation d’entreprises françaises avait été montée avec le concours de Business France, de Medefi et d’Africa Link.
Parmi les temps forts, l’inauguration du projet Canalbox de liaison en fibre optique entre Kigali et Gisenyi, un investissement de 16 M EUR dans la fibre optique du groupe Vivendi. Mais plusieurs autres secteurs sont porteurs comme dans le numérique, où le Rwanda se positionne comme un modèle (le cabinet de conseil Tactis y a créé son siège pour l’Afrique), mais aussi dans le développement urbain (projets immobiliers, de téléphérique) ou encore la santé (Kigali veut miser sur le tourisme sanitaire en devenant un pôle d’excellence dans la région).
Comme en Ouganda, un club d’affaires a été lancé à l’occasion de la visite de Franck Riester, prémisse d’une future CCI franco-rwandaise.
Au Kenya enfin, il s’agissait là encore d’entretenir la dynamique du business relancées après la visite d’Emmanuel Macron à Nairobi en 2019, suivi de celle, l’année suivante, du président Kenyatta à Paris. Plusieurs grands projets sont en cours et ont fait l’objet de réunions de suivi à l’occasion de la visite du ministre français, dont le projet d’autoroute Nairobi-Nakuru-Mau ou la ligne 4 du train de Nairobi.
Plusieurs accords de partenariats ont été paraphés lors d’un forum d’affaires : un accord de coopération entre la KEPSA (Kenya Private Sector Alliance, l’organisation patronale kényane) et le Medef; l’investissement du fonds d’amorçage Seedstars Africa dans la startup kenyane Shamba Pride, qui développe un nouveau système de distribution pour les agriculteurs; accord de partenariat Proparco – Equity Bank pour la mise en œuvre du programme Choose Africa.
Alors que la présence des milieux d’affaire français est déjà mieux structurée que dans les précédents pays, un club d’affaires agroalimentaire franco-kényan a été lancé, s’ajoutant au club d’affaire existant sur les énergies renouvelables. Créée en 2017, la CCI France-Kenya, basée à Nairobi, compte une centaine de membres et propose des services d’accompagnement dans le marché kényan aux PME françaises.
Christine Gilguy