Le Moci. Le manque de stabilité politique et la libéralisation inachevée de l’économie en Tunisie troublent l’image de ce pays en France. Qu’en pensez-vous ?
Alexandre Ratle. L’économie tunisienne s’est construite sur un principe d’économie administrée avec un verni libéral à travers le régime offshore accordé aux entreprises étrangères. Ce système a perduré sans que la libéralisation de l’économie soit achevée. En conséquence, l’économie parallèle a explosé, ce qui démontre qu’il y a un marché en croissance en Tunisie. Mais cela signifie aussi qu’une partie de l’activité n’est pas imposée, ce qui affecte le budget et l’investissement de l’Etat.
La loi transversale pour l’amélioration du climat des affaires, votée le 23 avril, va permettre de déverrouiller l’économie. Bien sûr, il faut attendre les décrets d’application et leur mise en œuvre effective au jour le jour.
Mais nous nous attendons déjà à des progrès en matière d’autorisations administratives. C’est la principale demande des entreprises. Certaines sociétés n’ont pas été en mesure de réaliser des investissements de plusieurs dizaines de millions d’euros du fait d’autorisations administratives jamais obtenues.
Un autre sujet est le défi de la logistique. Pour une économie tournée vers l’export, Rades, le port de Tunis, se doit d’être plus performant. Il y a des projets en cours dans ce sens, s’ils aboutissent cela sera positif. Sur le plan politique, les prochaines élections législatives d’octobre 2019 n’inquiètent pas beaucoup le secteur privé, tant que des partis hostiles à l’investissement ne parviennent pas au pouvoir. Nous nous félicitons tous de la transition démocratique, c’est un acquis.
Le Moci. Comment jugez-vous les relations bilatérales France-Tunisie ?
A. R. Elles sont très bonnes et il serait faux de penser que la position de la France s’érode. Nous sommes le premier client de la Tunisie et son second fournisseur. Ce pays est encore le premier bénéficiaire de l’Agence française de développement par habitant, et la France, son premier bailleur de fonds bilatéral. La France est aussi le premier investisseur étranger en Tunisie, et le président Macron, qui s’y est rendu début 2018, a fixé pour objectif de doubler les investissements français.
Le vrai problème, c’est de faire venir de nouveaux investisseurs, mais ceux qui sont sur place développent leurs investissements. Je pense notamment à une société d’électronique qui prévoit de passer rapidement de 500 millions d’euros de chiffre d’affaires à 1 milliard, ainsi qu’à de nombreuses PME dans d’autres secteurs industriels classiques ou de nouvelles technologies. Nous sommes aussi le premier créateur d’emplois en termes d’IDE. Nos entreprises créent de la valeur ajoutée et pratiquent la RSE (Responsabilité sociale des entreprises), à l’image d’Orange – formation à distance Mooc –, d’Air Liquide – ferme pour les handicapés – et de bien d’autres entreprises, grands groupes comme PME. Nos entreprises sont donc pleinement intégrées dans le tissu socio-économique tunisien.
Le Moci. Le Maroc est très actif au sud du Sahara. Qu’en est-il de la Tunisie ?
A. R. Les sociétés françaises n’ont besoin ni du Maroc ni de la Tunisie pour accéder à l’Afrique, qui leur est connue. En revanche, le coût tunisien est un avantage quand il s’agit de concurrencer les entreprises asiatiques. Le SMIC, avec charges, est inférieur à 180 euros. Les entreprises françaises qui sont parties au Maroc ont pu constater que les difficultés administratives n’y étaient pas moindres qu’en Tunisie avec un coût de main d’œuvre supérieur et un personnel peut-être moins qualifié. Un entrepreneur dans le textile m’expliquait ainsi que pour le haut de gamme les donneurs d’ordres préféraient fabriquer ici plutôt qu’au Maroc. Cet exemple est valable pour de nombreux autres secteurs qu’ils soient industriels ou des nouvelles technologies.
Propos recueillis par François Pargny