Son départ pour le privé, et plus particulièrement la société de gestion franco-chinoise Cathay Capital est une surprise tant le parcours de Bruno Bézard au sein de la haute administration économique et financière française ne semblait jamais devoir s’arrêter. De fait, l’annonce par un communiqué du 23 mai 2016 de Michel Sapin et Emmanuel Macron, diffusé tard dans la soirée par les ministres des Finances et de l’Economie, de « sa volonté de cesser ses fonctions au 20 juin prochain, pour engager un projet entrepreneurial » a pris de cours la plupart des observateurs de l’économie française. Dans le contexte des perturbations et tiraillements que provoque la montée en puissance politique et médiatique d’un de ses ministres de tutelle, Emmanuel Macron, et à quelques mois d’élections qui s’annoncent difficiles pour le pouvoir en place, ce départ peut apparaître comme une désertion pour un haut fonctionnaire réputé à gauche. Mais si les circonstances l’ont favorisé, il a aussi du sens pour ce cinquantenaire présenté comme un exemple de la méritocratie républicaine, qui sera un bon contact désormais, pour les entrepreneurs français, dans l’univers de l’investissement en capital franco-chinois.
Paris ouvert pour la succession
Dans l’immédiat, la première question qui se pose est bien évidemment concerne le ou la successeur (e) de Bruno Bézard, qui quittera ses fonctions le 20 juin ?
Le jeu des paris est ouvert même si le poste est moins attirant pour les talents de la haute fonction publique à quelques mois des prochaines échéances électorales nationales. Le Communiqué ministériel précise que le recrutement du ou de la remplaçante suivra « la nouvelle procédure mise en place pour la sélection des directeurs d’administration centrale ». Celle-ci prévoit le respect d’un certain nombre de règles, notamment de parité homme-femme, et, depuis peu, l’audition des candidat(e)s par un comité où siègeront une personnalité extérieure et un spécialiste des ressources humaines. La création de ce comité a été annoncée en conseil des ministres le 16 mai dernier.
D’ores et déjà, compte tenu du fait que c’est un homme, Rémy Rioux, qui a remplacé une femme, Anne Paugam, à la tête de l’Agence française de développement (AFD)*, une femme aurait toute ses chances dans la compétition. L’actuelle directrice de cabinet de Michel Sapin, Claire Waysand, par exemple, ou encore Sandrine Duchêne, ex. directrice générale adjointe du trésor, chef économiste et directrice des relations internationales du Trésor sous Bruno Bézard, passée chez Axa en septembre dernier.
Pour ce qui concerne la diplomatie économique, ce volet des missions du Trésor perd un serviteur loyal. Rappelons que peu après sa nomination en remplacement de Ramon Fernandez, en mai 2014, le directeur général du Trésor avait notamment été l’artisan d’une certaine pacification des relations entre le Trésor et l’administration des Affaires étrangères après la prise du Commerce extérieur par Laurent Fabius aux ministères de Barcy, lors du remaniement ministériel d’avril 2014*. Bruno Bézard avait notamment réussi à finaliser, avec Pierre Sellal, actuel représentant permanent de la France auprès de l’Union européenne alors secrétaire général du Quai d’Orsay, une convention clarifiant et organisant la nouvelle répartition des compétences entre les deux administrations, facilitant ainsi, après sa signature le 15 juillet 2014, la mise en œuvre effective de la nouvelle diplomatie économique imposée par l’ancien patron du Quai d’Orsay.
Une belle recrue pour Ming-Po Cai
Pour ce qui le concerne, l’intéressé met en avant « un choix spontané » de changement de cap professionnel, « fruit d’une réflexion personnelle » qui lui « permettra de réunir deux passions » : l’Asie et en particulier la Chine, et l’entreprise » (Les Echos, 24 mai 2016). « C’est une décision lourde, mais c’était le moment pour moi, parce que j’ai beaucoup d’énergie que j’ai envie de déployer sur quelque chose de très opérationnel, avec deux passions : la Chine et l’entreprise », a-t-il détaillé au Monde.fr le soir même de l’annonce de son départ.
C’est lors de son séjour en Chine de septembre 2010 à août 2012, en tant que ministre conseiller et chef du service économique régional, que ce polytechnicien et inspecteur général des finances de 53 ans, qui a notamment dirigé l’Agence des participations de l’Etat (APE) et la direction des Finances publiques, a attrapé le virus. Car il y a notamment croisé le charismatique et hyper-actif cofondateur de Cathay Capital , Ming-Po Cai. Cet entrepreneur chinois francophile brillant, aujourd’hui âgé de 47 ans, a pris racine en France après y avoir fait des études supérieures en reprenant une marbrerie, mais il a aussi vendu des cocottes minutes pour SEB en Chine, comme il aime s’en vanter, à une époque où ce type de produit était du pur luxe dans ce pays.
Les deux hommes, qui ont en commun, notamment, d’avoir des origines modestes, se seraient rencontrés à Pékin en 2011 grâce à un ami commun. Et ils se seraient très vite appréciés. « Bruno est quelqu’un qui a beaucoup d’humilité et de simplicité. Tout en étant très engagé dans ce qu’il fait, il ne se prend pas au sérieux, mais il est capable d’inspirer rapidement la confiance. Ces qualités sont au cœur des valeurs de Cathay » a dit de lui Ming-Po Cai dans le même article du Monde.fr. Pour le co-fondateur de Cathay Capital -avec le Français Edouard Moinet-, Bruno Bézard est en tout cas une belle recrue, doté d’un riche carnet d’adresses.
Une success story franco-chinoise en matière de « private equity »
Car Cathay Capital a ceci de particulier qu’elle a inscrite dans son ADN, dès sa création en 2006, la biculturalité française et chinoise : premier société de « private equity » franco-chinoise à avoir été agréée par l’AMF française, implantée dans les deux pays (Paris, Pékin, Shanghai), dotée d’équipes biculturelles françaises et chinoises, elle investit dans des entreprises françaises et réciproquement fait de même pour les sociétés chinoises, favorisant les ponts entre les entrepreneurs des deux pays. Sa spécialité : les sociétés non cotées, de taille moyenne et intermédiaire. « Notre structure est fondamentalement biculturelle » nous avait confié Edouard Moinet dans un entretien exclusif dans le cadre d’un dossier sur la Chine paru dans Le Moci en juin 2013***.
Cathay Capital, où Bruno Bézard devrait prendre la direction d’un nouveau fonds d’investissement, est devenue en 10 ans une belle success story franco-chinoise en matière de « private equity » : c’est à elle que fut confié, en septembre 2012, le premier Fonds d’investissement franco-chinois (Sino-French Fund) de 150 millions d’euros, abondé à 50-50 par la Caisse des dépôts et consignation (CDC) et la China Dévelopment Bank (CDB). Elle travaille aussi avec Bpifrance. Disposant de bureaux également à New-York, San Francisco, Munich, elle gère aujourd’hui, à travers différents fonds, 1200 millions d’euros d’actifs et affiche 54 investissements (source : www.cathay.fr/en/). De quoi séduire un futur ex. haut fonctionnaire du Trésor…
Christine Gilguy
*Lire dans la LC aujourd’hui : AFD / Développement : Rémy Rioux officiellement nommé directeur général
**Lire la LC n° 110 du 24/07/2014 : Commerce extérieur : nouvel écosystème public mode d’emploi
***Lire sur notre site : Entretien avec Edouard Moinet, coassocié de Cathay Capital