Marie-Pierre Vedrenne (notre photo) savoure sa victoire. Le 28 octobre dernier, la Commission, le Conseil (organe de représentation des États membres à Bruxelles) et le Parlement européens ont réussi à s’entendre sur la révision du règlement visant à renforcer l’arsenal commercial de l’Union européenne (UE) face aux risques que fait peser le blocage de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) par les États-Unis.
Un signe que l’UE commence a changer de doctrine en matière de commerce international.
Renforcer l’autonomie stratégique de l’Union
Avec ce nouvel instrument, l’UE pourra dès lors prendre des contre-mesures de rétorsion non seulement dans le domaine des marchandises – comme l’envisageait la Commission dans sa proposition initiale – mais aussi dans celui des services et des droits de propriété intellectuelle, soit la position défendue par les eurodéputés, compilée dans le rapport de l’élue bretonne.
« Nous avons réussi en tant que Parlement européen, à convaincre le Conseil de la nécessité de muscler la politique commerciale de l’Union européenne, de la rendre plus crédible, plus efficace et plus ambitieuse. La révision de ce règlement participera pleinement au renforcement de l’autonomie stratégique de l’Union. », se félicite Marie-Pierre Vedrenne, dans un communiqué.
Membre du groupe Renew – auquel appartiennent les élus de LREM -, elle a su tisser sa toile dans l’hémicycle européen, en décrochant des postes stratégiques, chose rare lors d’un premier mandat. Vice-présidente de la commission du Commerce international (INTA) au PE, elle est a aussi été nommée rapporteuse sur ce dossier sensible.
Contourner le blocage de l’OMC
Présenté en décembre dernier par l’exécutif, le texte vise à doter l’UE des outils nécessaires de défense malgré la paralysie de la cour d’appel de l’Organe de règlement des différends (ORD), chargé de régler les différends commerciaux entre les membres de l’OMC.
Très critique envers l’institution multilatérale basée à Genève, les États-Unis refusent toujours de procéder au renouvellement des juges au sein de cette cour d’appel, ce qui empêche de facto les procédures engagées par le gendarme mondial du commerce d’arriver à leur terme.
« Tant que l’organe d’appel de l’OMC ne peut pas remplir ses fonctions, les membres de l’OMC ont la possibilité de se soustraire à leurs obligations et d’éviter une décision contraignante simplement en faisant appel », explique-t-on à la Commission. Ce qui laisserait les Européens sans aucun moyen de défense en cas de litiges. En effet, le règlement actuel ne permet pas à l’UE de mettre en place des contre-mesures commerciales tant que toutes les procédures devant l’OMC ne sont pas achevées.
Une arme de dissuasion
« La paralysie de l’OMC risque de durer, nous devons muscler notre arsenal et envoyer ainsi un signal fort à nos partenaires », explique Marie-Pierre Vedrenne au Moci. Et, comme l’arme nucléaire, cet instrument n’a pas vocation à être déployé à tout va. Il a été conçu comme « une arme de dissuasion », précise l’élue. « Mon ambition n’est pas de déclarer la guerre mais de créer les conditions de la paix », insiste-t-elle.
C’est avec cet argument qu’elle est parvenue à convaincre les plus réticents de ses collègues de soutenir son rapport aussi appelé « Enforcement » dans le jargon communautaire. Car les réticences « étaient grandes », rappelle Marie-Pierre Vedrenne qui a dû batailler ferme pour convaincre que sa vision n’était pas protectionniste.
Les Allemands ou les Scandinaves, très attachés au strict respect des règles du libre-échange, craignaient aussi la réaction des États-Unis si le règlement étendait son champ d’application aux services et aux droits de propriété intellectuelle. « C’est une chose de taxer le Bourbon ou Boeing mais des représailles contre les droits d’auteur ou des symboles religieux, comme les marques, risquent en effet de placer le conflit à un tout autre niveau », analyse, Hosuk Lee-Makiyama, directeur du think tank ECIPE (European Centre for International Political Economy), dans un article publié sur le site d’informations politico.eu.
Eviter de nouvelles escalades
« Le texte vise justement à éviter de nouvelles escalades dans les conflits commerciaux en répondant, si nécessaire, par des mesures ciblées et proportionnées. Se doter d’instruments ne sert pas forcément à attaquer », rétorque l’eurodéputée française. Et elle ajoute : « nous avons aussi travaillé pour que le texte respecte à la lettre les règles de l’OMC », un autre motif d’inquiétude relayé par certains de ses collègues.
Mais sa détermination a fini par payer. Soutenu par la grande majorité des groupes politiques du PE, son rapport a été adopté en Commission INTA, le 6 juillet dernier. Une première étape nécessaire avant d’entamer les « trilogues », c’est à dire les négociations avec les représentants de la Commission et du Conseil, étape nécessaire à l’élaboration d’une position commune.
« Il me fallait un mandat sans failles qui présente une position forte et unanime du Parlement. Faute de quoi les États membres auraient pu jouer sur nos divisions », relate Marie-Pierre Vedrenne. Le Conseil, qui avait présenté sa position en avril, opposait alors une fin de non-recevoir à la proposition d’élargir le champ d’application du texte, au-delà des seules marchandises.
Ont commencé alors des négociations musclées avec les représentants des États membres. « Au Parlement comme au Conseil mon premier objectif a été de convaincre les Allemands » qui ont pris la présidence tournante de l’UE en juillet, confie l’élue bretonne. La stratégie se révèle payante.
Pour Berlin le dossier devient prioritaire, ce qui permettra d’accélérer le rythme des négociations et de rallier l’ensemble des États membres sur la position du Parlement. « C’est inédit », reconnaît un diplomate français à Bruxelles. « Les premières propositions de la Commissions pour renforcer notre arsenal de défense commercial ont été bloquées plusieurs années ».
« Mais tu es vraiment française ? »
La clé de ce succès ? « Un alignement des planètes », favorables à son dossier, estime Marie-Pierre Vedrenne.
Le Brexit d’abord, qui a non seulement marginalisé le camp des libre-échangistes à Bruxelles, mais qui a aussi servi à convaincre les plus réticents de la nécessité, pour l’UE, de se doter des outils nécessaires face au Royaume-Uni, bientôt libéré des toutes les contraintes imposées aux membres du club européen.
Les attaques répétées de Donald Trump dans la sphère commerciale ont évidemment joué un rôle majeur dans cette prise de conscience. « Et bien sûr la pandémie. En révélant notre manque d’autonomie dans certains secteurs, elle a aussi participé à renforcer notre position », analyse l’eurodéputée Renew.
Mais le contexte ne fait pas tout. Dans les arcanes communautaires, la méthode aussi est essentielle. « Il faut négocier, convaincre, rallier, prendre en compte les positions de chacun et jouer la carte de la transparence et de la confiance », détaille Marie-Pierre Vedrenne, qui a su jouer collectif au point de créer la surprise au sein de l’hémicycle. « Mais tu es vraiment française m’a un jour demandé une collègue suédoise ? », se rappelle-t-elle amusée.
Un changement de doctrine profond
L’accord obtenu le 28 octobre révèle un changement de doctrine profond dans la stratégie commerciale de l’UE.
En élargissant le champ d’application du règlement révisé l’UE pourra, à l’avenir « agir aussi sur la TVA, sur les Gafam, donc à terme, de mieux défendre nos intérêts », précise la rapporteuse au PE.
Une façon aussi de mieux défendre les PME, souvent les premières touchées par les pratiques déloyales de certains pays tiers. La guerre des panneaux solaires avec la Chine a laissé d’amers souvenirs. Alors que les États-Unis avaient réagi avec vigueur en imposant d’importantes mesures antidumping, la riposte européenne, trop lente et peu dissuasive, a fini par décimer le secteur au sein de l’UE.
Le nouveau règlement qui vise aussi les litiges dans le cadre d’un accord commercial régional ou bilatéral, dont le mécanisme d’arbitrage serait bloqué, offrira une meilleure protection aux entreprises européennes. « De nombreux emplois européens sont en jeu. L’UE doit pouvoir faire en sorte que ses partenaires respectent leurs engagements », indiquaient Ursula Von Der Leyen, la Présidente de la Commission, en décembre dernier.
Mais la bataille est loin d’être terminée. Car le Parlement a certes obtenu l’inclusion des services et des droits de propriété intellectuelle dans le texte, mais ses demandes pour accélérer les délais se heurtent encore aux réticences du Conseil.
Si l’exécutif a proposé de riposter une fois connu l’avis d’un panel de l’OMC, sans attendre donc un hypothétique appel, les eurodéputés insistent pour que l’Union puisse agir plus rapidement, en imposant des mesures de rétorsion dès l’ouverture d’une procédure auprès de l’OMC. « Dans le cas contraire, les délais peuvent aller jusqu’à deux ans », souligne Marie-Pierre Vedrenne. De quoi limiter la portée dissuasive du nouvel arsenal de défense commercial.
Mesure dissuasive en préparation
Mais l’idée n’est pas abandonnée pour autant et pourrait figurer dans une proposition de la Commission actuellement en préparation. Ce futur instrument visera à décourager et à contrer les mesures coercitives des pays tiers.
A ce stade, la Commission poursuit ses consultations auprès des Ving-sept et ses armées de juristes travaillent d’arrache-pied pour garantir qu’il sera bien conforme aux règles de l’OMC.
Mais les premières discussions, en coulisses, seraient plutôt encourageantes, se réjouit l’élue bretonne. Les trois institutions ont en effet reconnu, dans une déclaration commune, la nécessité de disposer d’un instrument qui pourrait être déployé rapidement.
« Les résistances risquent néanmoins d’être fortes au sein du conseil », pronostique Marie-Pierre Vedrenne. Mais les positions ne sont plus figées, comme en témoigne cette prise de position conjointe. « De nouvelles déconvenues dans la sphère commerciale pourraient achever de convaincre les pays les plus rétifs », ironise un fonctionnaire français, de la Direction générale du commerce à Bruxelles (DG Trade). « Un an, c’est long ! ».
La Commission prévoit de dévoiler ses propositions d’ici fin 2021, à calendrier inchangé. Affaire à suivre…
Kattalin Landaburu, à Bruxelles