La Cours de justice des Communautés européennes (CJCE) reconnaît, avec des réserves, aux laboratoires le droit de contingenter la vente des médicaments destinés essentiellement aux exportations parallèles. Avec quelles conséquences ? Explications.
Le 16 septembre 2008, la CJCE répondait à une question préjudicielle de la Cour d´Athènes, saisie d´un litige opposant GSK AEVE, filiale grecque de GlaxoSmithKline, à des grossistes qui lui reprochaient d´avoir refusé des commandes afin, selon eux, d´empêcher des exportations parallèles et abusé d´une position dominante (CJCE 16/9/08 C-486/06 à C-478/06 ).
La question était de savoir s´il existe, dans le secteur des médicaments, des circonstances justifiant « le refus d´une entreprise en position dominante de livrer (…) des clients effectuant des exportations parallèles vers d´autres États membres où les prix des médicaments sont supérieurs (…) ». Pour GSK Aeve, la limitation, par un laboratoire, de ses livraisons de médicaments aux besoins d´un marché national ne peut être abusive si cette entreprise est confrontée à des commandes de grossistes « actifs dans l´exportation parallèle vers d´autres États membres où les prix de vente (…) sont fixés à un niveau supérieur ».
La France distingue grossistes répartiteurs et grossistes exportateurs
En France, le Conseil de la concurrence et la cour d´appel de Paris ont, en 2005 et 2007, distingué les grossistes-répartiteurs des grossistes-exportateurs en validant, au détriment de ces derniers, le contingentement de médicaments à l´exportation (Cons. 05-D-72, 20/12/05 et CA Paris 2006/01498, 23/1/07). Pour les juges français, le refus des laboratoires de vendre des médicaments, dont le prix est administré, à des grossistes-exportateurs, ne constituait pas un abus de position dominante.
Dans l´affaire GSK Aeve, les grossistes exerçant leur activité sur le marché intérieur grec et à l´exportation, la CJCE devait trouver un compromis entre sa jurisprudence traditionnelle et la situation particulière du secteur de la distribution des médicaments. Elle a pris en compte trois considérations :
> même si l´existence de lois nationales administrant le prix des médicaments « ne peut exclure l´application des règles communautaires de la concurrence, (…) cette intervention étatique est un des facteurs susceptibles de créer des opportunités pour le commerce parallèle » ;
> la défense des exportations parallèles, puisque « lorsqu´un médicament est protégé par un brevet (…), la concurrence sur le prix qui peut exister entre un producteur et ses distributeurs, ou entre commerçants parallèles et distributeurs nationaux, est, jusqu´à l´expiration de ce brevet, la seule forme de concurrence envisageable » ;
> les droits du laboratoire qui, même en position dominante, doit pouvoir « prendre des mesures raisonnables et proportionnées à la nécessité de préserver ses propres intérêts commerciaux ».
La position plus nuancée de la CJCE
Même si la position de la CJCE à l´égard des « grossistes actifs dans les exportations parallèles » est plus nuancée que celle des juges français vis-à-vis des « purs exportateurs », le résultat est a priori le même. La CJCE refuse d´admettre « qu´une entreprise pharmaceutique en position dominante dans un État membre où les prix sont relativement bas, cesse d´honorer les commandes normales d´un client antérieur au seul motif que celui-ci, tout en approvisionnant le marché dudit État membre, exporte certaines des quantités commandées vers d´autres États membres connaissant des prix supérieurs ».
Le contingentement à l´égard des grossistes, intervenant à la fois sur le marché domestique et à l´export, expose toujours son auteur en position dominante à des abus. Néanmoins, il est « loisible à cette entreprise de s´opposer, dans une mesure raisonnable et proportionnée, à la menace que peuvent constituer pour ses propres intérêts commerciaux les activités d´une entreprise souhaitant être livrée dans ce premier État membre en quantités significatives de produits destinés essentiellement aux exportations parallèles ». Le contingentement est alors légitime.
Les juges nationaux devront apprécier si la mesure est « raisonnable et proportionnée » et si les commandes présentent « un caractère anormal », au regard des « relations commerciales antérieures entretenues par l´entreprise pharmaceutique détenant une position dominante avec les grossistes concernés » et de « l´ampleur des commandes par rapport aux besoins du marché de l´État membre concerné » (CJCE United Brands 1978). .
Stéphane Perrin, avocat associé, NGO, Miguères & associés