« Pourquoi la France, qui est pourtant un pays ouvert, a autant de réticence à l’ouverture ? », a lancé Zaki Laïdi, directeur de Recherche à Sciences Po, en ouvrant, le 20 février, le débat sur « le commerce extérieur et la compétitivité française », organisé par le Centre d’études européennes de Sciences Po. « En France, la mondialisation est vécue comme une menace », a répondu, pour sa part, la ministre du Commerce extérieur, Nicole Bricq, qui a regretté au passage que la France n’ait pas su prendre le tournant de l’euro.
Selon Nicole Bricq, « il n’y a pas eu la prise de conscience en France que l’entrée dans la zone euro exigeait une montée en gamme », ce que, selon elle, « les Allemands ont très bien fait ». D’où l’effondrement de la balance commerciale française, avec un déficit historique de 74 milliards d’euros en 2011, ramené, certes, à – 61 milliards en 2013. Mais la même année, l’Allemagne annonçait + 198 milliards. « Un tel effondrement reflète le déclin de l’industrie tricolore », constate la ministre.
Le déclin de l’industrie, selon Élie Cohen
Dans les années 70, la France possédait des spécialisations industrielles dans l’aéronautique civile, les télécommunications, le transport ou l’énergie. Or, affirme Élie Cohen (notre photo), directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), « à partir de 1984, on a démantelé l’appareil d’intervention parce qu’on allait rentrer dans la mondialisation ».
Pour Élie Cohen, il n’y a donc aucun doute : « l’effondrement de l’industrie est concomitant à celui du commerce extérieur », le chercheur du CNRS s’opposant ainsi à Lionel Fontagné, professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, pour qui le manque de compétitivité dans l’Hexagone, « c’est un problème d’entreprise, pas de secteur ».
Comme Nicole Bricq, qui a indiqué que les 1 000 premiers exportateurs de l’Hexagone réalisent plus de 60 % du total des exportations, Lionel Fontagné constate la forte concentration des livraisons françaises à l’étranger. La raison serait que « les entreprises exportatrices sont les plus efficaces ». Et, « on peut inventer ce que l’on veut, jusqu’à une banque publique, çà ne sert pratiquement à rien », a-t-il encore assuré, alors que Nicole Bricq venait au préalable de rappeler qu’au moment du Pacte de compétitivité, en novembre 2012, elle avait dû « se battre pour qu’il y ait un label Bpifrance Export qui n’était pas prévu au départ dans la nouvelle banque d’investissement publique Bpifrance ».
Les entreprises doivent grandir, estime Lionel Fontagné
Pour Lionel Fontagné, « la seule solution, c’est que les entreprises grandissent ». Or, « l’État, la fonction publique parlent seulement aux grandes entreprises et çà se ressent dans le dynamisme des entrepreneurs, peu de sociétés passant alors le cap de la taille moyenne pour devenir des grandes ». Et le chercheur français, spécialiste reconnu de la mondialisation, d’enfoncer le clou, en pointant le fait qu’aux États-Unis « une bonne idée suffit », alors qu’en France, « on ne retrouve pas les petits entrepreneurs dans les bonnes capitalisations, parce qu’on ne les aime pas ».
En outre, remarque Lionel Fontagné, « on ne peut plus aujourd’hui parler d’industrie sans les services qui y sont associés », nombre d’entreprises s’étant ainsi diversifiés, notamment outre-Rhin. « Les Allemands offrent des services, ce qu’on ne sait pas bien faire. Il faut donc que l’État réfléchisse à la compétitivité en prenant en compte les opérations dans les services », préconise-t-il
Pour Nicole Bricq, un lien fort entre commerce et attractivité
Nicole Bricq a insisté sur le lien étroit entre commerce extérieur et attractivité du territoire dans le cadre de la mondialisation. Elle n’a pas fait allusion à un projet qui lui tient pourtant à cœur : la fusion des agences publiques Ubifrance et Afii (Agence française pour les investissements internationaux), initiative qu’elle a dû défendre au sein du gouvernement. En revanche, elle a cité des chiffres intéressants. Ainsi, quelque 30 % des exportations françaises seraient réalisées par des filiales de sociétés étrangères. Et, s’agissant de l’import, vecteur d’investissement et d’innovation, les importations compteraient pour 25 % en moyenne dans un bien produit dans l’Hexagone et même 40 % dans une voiture.
« C’est ainsi que pour les investissements productifs en France, les numéro uns sont les Américains. Au Royaume-Uni, ce sont surtout des investissements financiers et la France est perçue comme une porte d’entrée sur l’Europe et même sur l’Afrique », s’est félicitée Nicole Bricq. Un satisfecit et un optimisme que ne partagent pas totalement Lionel Fontagné. Les sociétés étrangères dans l’Hexagone, comme, d’ailleurs, leurs homologues françaises à l’étranger, explique-t-il, s’implantent « d’abord pour gagner de l’argent ». Et donc, met-il en garde, « on se fait beaucoup d’illusion » sur les investissements internationaux sur le territoire national, en pensant que les opérateurs étrangers « vont sauver des emplois en France ».
François Pargny