Sans surprise, le bilan de commerce extérieur pour l’année 2022 est catastrophique pour les échanges de biens avec le plus important déficit de tous les temps, selon les chiffres présentés le 7 février par Olivier Becht, ministre en charge du Commerce extérieur, de l’attractivité et des Français de l’étranger. Avec des circonstances atténuantes liées à la conjoncture, mais un déficit structurel, lié à la faiblesse de l’industrie, qui se creuse. Dans ce contexte, le ministre mise sur la réindustrialisation et la politique de soutien à l’export des PME pour redresser la barre à terme.
Sans surprise, le bilan du commerce extérieur pour 2022 se solde par le plus important déficit commercial de tous les temps pour la France, – 164 milliards d’euros (Md EUR) pour les échanges de biens (-163,6 Md EUR précisément), soit -78 Md de plus qu’en 2021, plus qu’un doublement. Dans le détail, les importations ont progressé beaucoup plus fortement en valeur (+ 29 %, à 758 Md EUR) que les exportations (+18 % à 595 Md EUR), pourtant dynamiques.
Un déficit que ne compensent pas les excédents records des services (+ 50 Md EUR, grâce au retour du tourisme et aux transports) et des revenus (+ 31 Md EUR). Résultat : un déficit record de la balance courante à – 54 Md EUR. Le seul déficit des échanges de biens et services s’élèvent à – 85 Md EUR.
Globalement, la part de marché de la France dans les exportations mondiales (libellées en dollars) a continué de reculer en 2022 : 2,5 %, après 2,7 % en 2021. Après s’être stabilisée entre 2017 et 2019 autour de 3 %, cette part de marché a recommencé à s’éroder depuis la crise sanitaire de 2020.
Doublement de la facture énergétique
Il y a des circonstances atténuantes, qui relèvent de la conjoncture exceptionnelle provoquée par la guerre en Ukraine déclenchée par la Russie le 24 février 2022, avec la crise de l’énergie et la mise en maintenance d’une grosse partie du parc nucléaire français. Ceci dans le contexte d’un ralentissement global de commerce international (+ 5 % en 2022, après + 10 % en 2021). Un contexte que le ministre n’a pas manqué de mettre en avant.
La facture énergétique d’abord : elle compte pour 86 % du déficit commercial avec des prix et des volumes qui ont flambé, et des importations qui ont donc plus que doublé en valeur par rapport à 2021, passant de 45 Md EUR à 115 Md EUR. Dans le détail, les importations de gaz ont explosé (+ 248 %, 59 Md EUR) pour reconstituer les réserves dans la perspective de l’hiver, de même que celles de pétrole brut (+ 99 %) et de produits pétroliers (+ 60 %).
La dépréciation de l’euro par rapport au dollar (de 11 % sur l’année 2022) a aggravé la situation en augmentant le prix des approvisionnements facturés en dollar.
Un impact généralisé en Europe
Maigre consolation : les principaux partenaires commerciaux de la France au sein de la zone euro, ont connu le même sort en 2022. Sur les neuf premiers mois de l’année, sous l’effet notamment de la flambée de la facture énergétique, l’excédent de l’Allemagne a diminué de moitié (- 100 Md EUR) et celui de l’Italie a fondu (-69 Md EUR) pour se transformer probablement en déficit sur l’ensemble de 2022.
En matière de progression des exportations, sur les neuf premiers mois de l’année, la France était au même niveau, avec + 20 %, que l’Italie (+ 21 %) mais mieux que l’Allemagne (+ 15 %). Elle était en revanche à la traîne du Royaume-Uni (+ 23 %) et de l’Espagne (+ 25 %).
Un déficit structurel qui s’est aussi aggravé
Mais au-delà des circonstances conjoncturelles, qui devrait s’estomper en partie en 2023 avec la remise en route d’une bonne partie du parc nucléaire (la France réexporte de l’électricité depuis le début de l’année), le déficit structurel demeure, et il s’est aggravé, certes plus modérément. Ainsi, concernant les échanges de biens, hors énergie et hors matériel militaire, le déficit a atteint – 74 Md EUR en 2022, 9 Md de plus qu’en 2021 (- 63 Md EUR).
Le ministre en a rappelé les deux principales causes, comme ses prédécesseurs avant lui, et les mesures mises en place par le gouvernement pour y répondre.
La première est la désindustrialisation des années 90 et 2000. « Ce que nous ne produisons plus, nous ne pouvons plus l’exporter » a déclaré le ministre, rappelant une évidence. Le gouvernement essaye d’inverser la tendance, notamment avec le plan France 2030 et ses 30 Md EUR de financement, et la politique industrielle que porte le ministère de l’Economie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Mais « cela prend du temps » pour donner des résultats.
Les performances par secteur en 2022
–Aéronautique et spatial : + 21 % (import : + 33 %)
Excédent : + 23 Md EUR (+21 Md EUR en 2021)–Textile-habillement-cuir : + 21 % (import : + 23 %)
Déficit : – 11 Md EUR (- 8 Md en 2021)–Métallurgie : + 21 % (import : + 23 %)
Déficit : – 16 Md EUR–Agriculture, agroalimentaire : + 19 % (import : + 18 %)
Excédent : + 10 Md (+ 8 Md en 2021)–Chimie, parfum, cosmétique : + 18 % (import : + 30 %)
Excédent : + 12 Md EUR (+ 15 Md en 2021)–Automobile : + 9 % (import : + 10 %)
Déficit : – 20 Md EUR (- 18 Md en 2021)– Pharmacie : + 8 % (import : + 8 %)
Excédent :+ 3 Md EUR (+ 3 Md en 2021)–Biens d’équipement : + 13 % (import : + 13 %)
Déficit : -43 Md EUR (- 39 Md en 2021)
Des signes positifs commencent toutefois à émerger, comme la création de nouveau sites et d’emplois industriels, dont le nombre est supérieur à ceux qui sont détruits. Olivier Becht a notamment cité l’investissement de ST Microelectronics dans une unité de semi-conducteurs à Crolle, en Isère, ou les sites de production de lithium qui se créent dans l’Allier et le Bas-Rhin.
Dans ce contexte, le fait que la France se soit hisser numéro 1 en termes d’attractivité des investissements directs étrangers en Europe est une bonne chose, mais il faudra « s’y maintenir » a indiqué Olivier Becht.
Reste le deuxième facteur de ce déficit structurel, qui relève davantage du ministre du Commerce extérieur : le nombre insuffisant de PME et ETI exportatrices et le volume insuffisant de leurs exportations. « Nos PME constituent 98 % des entreprises exportatrices mais seulement 13 % des exportations » a-t-il rappelé.
Des annonces dans les prochaines semaines
Sur ce front, il y a de bonnes nouvelles : le nombre d’entreprises exportatrices ne cesse de progresser depuis deux ans, atteignant aujourd’hui 144 400, 14 000 de plus.
Le ministre y voit l’impact positif de la Team France Export, dispositif qui rassemble depuis 2018 les Régions, Business France, les CCI, Bpifrance, les CCE et des partenaires autour d’un « guichet unique » des aides à l’export et d’une offre d’accompagnement dans la durée des entreprises. « Mais cela reste insuffisant car il en faut davantage, et il faut que les entreprises qui exportent augmentent leurs exportations et leurs parts de marché » a indiqué le ministre, résumant ainsi les principales orientations de sa stratégie.
En réponse à une question sur les priorités géographiques de sa politique de commerce extérieur pour les entreprises, Olivier Becht a laissé entendre qu’il n’en donnerait pas. « C’est aux entreprises de déterminer leurs cibles, a-t-il argumenté. Ce que je leur dis c’est ‘ayez le monde comme horizon‘ ».
En réponse à une question du Moci sur ce qu’il pensait des rapports parlementaires récemment publiés appelant à un renforcement de la stratégie de commerce extérieur*, Olivier Becht a indiqué que des annonces seraient faites dans les prochaines semaines concernant la politique de commerce extérieur et la Team France Export. « Je salut le travail des parlementaires, a-t-il indiqué. Certaines propositions sont intéressantes et recoupent nos réflexions. Nous reviendrons vers vous avec des propositions très concrètes. ». Selon lui, il s’agit ni plus ni moins que de « s’attaquer dans le dur à cette partie structurelle du déficit ».
Christine Gilguy
* Outre le rapport d’information des députés Charles Rodwell et Sophia Chikirou présenté le 21 février à la Commission des Affaires économique, un second rapport émanant de la Délégation sénatoriale aux entreprises et intitulé « Commerce extérieur : l’urgence d’une stratégie publique pour nos entreprises », devait faire l’objet d’un débat au Sénat en présence d’Olivier Becht, en fin d’après-midi le 7 février.