Lors du dernier Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) tenu à Changsha, dans la province du Hunan, la Chine a proposé d’élargir à vingt nouveaux pays au lieu de 33 actuellement, l’exemption de droits de douane pour les produits qu’elle importe du continent africain. Quelle est la réelle portée de cette initiative « Zéro tarif » ? Certains observateurs estiment qu’il s’agit surtout d’un coup diplomatique. Le point dans cet article proposé par notre partenaire La newsletter BLOCS.
Quand l’Amérique de Donald Trump incarne l’Occident, la brutalité des rapports de force et le protectionnisme, la Chine est pour sa part une locomotive du « Sud global », prônant la coopération d’égal à égal et le commerce ouvert.
C’est du moins le message qu’a voulu faire passer Pékin en annonçant, mercredi dernier [11 juin], la suppression prochaine des droits de douanes sur la quasi-totalité des importations en provenance du continent africain, et en se disant prête à « accueillir des produits africains de qualité sur son marché ».
Exemption généralisée
L’exemption généralisée, dévoilée par le ministre des Affaires étrangères chinois Wang Yi, au cours d’une réunion interministérielle tenue dans le cadre du Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC), concernera 53 des économies d’Afrique sur 54 – l’Eswatini (anciennement Swaziland), jugé coupable de continuer à reconnaitre Taïwan, étant le seul État exclu.
Cette exemption, réclamée de longue date par certains dirigeants africains, sera mise en œuvre dans le contexte d’un nouveau Pacte économique, dont la date d’entrée en application n’est pas encore connue.
Depuis septembre 2024, 33 États africains bénéficient déjà de ce traitement favorable, en tant que pays les « moins avancés » économiquement [PMA], sans en avoir retiré de bénéfice évident. Parmi les 20 États supplémentaires intégrant la liste, dont l’essentiel sont à « revenus intermédiaires », certains, comme l’Afrique du Sud, le Maroc, le Kenya, le Nigeria, ou encore l’Égypte disposent une base industrielle plus ou moins solide, et paraissent donc autrement mieux armés pour exporter vers la Chine.
Une portée limitée pour le rééquilibrage de la balance commerciale
Les effets sur les flux commerciaux devraient néanmoins être assez limités, en tout cas à court terme, comme l’explique Aroni Chaudhuri, économiste à la Coface. « Du côté des matières premières minérales et énergétiques, qui constituent aujourd’hui la majorité des importations de la Chine en Afrique, des régimes tarifaires spécifiques existent déjà, donc cela ne changera pas grand-chose », explique ce spécialiste des économies de l’Afrique subsaharienne.
« Au-delà, des pays qui ont développé des industries, à l’instar du Maroc et de l’Afrique du Sud, que ce soit dans l’automobile, l’aéronautique, les renouvelables ou le textile, pourraient en effet en bénéficier, admet M. Chaudhuri. Je pense toutefois que l’impact à court, voire à moyen terme, restera assez limité. Les industries chinoises sont souvent bien trop compétitives pour que les concurrents africains rivalisent en Chine, où, de plus, la demande est en panne ».
Il ne faut donc s’attendre de sitôt à un rééquilibrage de la relation commerciale Chine-Afrique, qui, après un développement stupéfiant au cours des 20 dernières années, penche très fortement à l’avantage de l’ex. Empire du Milieu.
Ce dernier est certes devenu en 2009 le premier partenaire commercial du continent, et l’est aujourd’hui pour la quasi-totalité de ses pays, avec un volume d’échanges qui a encore augmenté de 4,8 % en 2024, pour atteindre 295 milliards de dollars, selon les chiffres publiés par les douanes chinoises.
L’excédent en faveur de la Chine reste massif, de 62 milliards de dollars l’année dernière. De plus, les importations de produits africains, d’une valeur de 116 milliards de dollars en 2024 (contre 178 milliards pour les exportations) sont donc essentiellement constituées de matières premières, minerais, de pétrole et de gaz.
Prendre le contre-pied des États-Unis
Si le geste chinois n’est pas voué à rebattre les cartes du commerce bilatéral, il ne faut pas sous-estimer la portée diplomatique de cette annonce, selon Xavier Aurégan, maître de conférences à l’Université catholique de Lille, et spécialiste des relations entre la Chine et l’Afrique.
« Que changera cette exemption de droits de douanes au Mali, au Burkina ou au Niger ? Pas grand-chose. La grande majorité des pays d’Afrique Centrale, de l’Est, et les pays pétroliers en tireront des bénéfices marginaux. Cela s’inscrit donc en premier lieu dans un jeu diplomatique : il s’agit de prendre le contre-pied des États-Unis, en montrant que le marché chinois est ouvert », analyse-t-il.
« Or de manière générale, les élites politiques, économiques, ou médiatiques en Afrique se satisfont de ce type d’annonce alors que le continent reste marginalisé dans la mondialisation. La Chine confirme sa capacité discursive à vendre ses mesures, à mettre en avant, voire à enjoliver ce qu’elle fait », poursuit M. Aurégan, auteur de l’ouvrage « Chine, puissance africaine – Géopolitique des relations sino-africaines », paru en juin 2024 aux éditions Armand Colin.
Avec ce geste, qui s’ajoute aux nombreux égards symboliques accordés au continent, Pékin s’affiche en principal allié de l’Afrique. « Aujourd’hui, le message envoyé est limpide – c’est d’ailleurs le même qui est adressé à l’UE : face à Trump, la Chine se tient du côté du libre-échange. Et le coût associé à ce message est minime », résume Aroni Chaudhuri.
Un pied de nez à Trump
Pékin ne manque pas de souligner le contraste avec l’attitude de Donald Trump, dont le feu d’artifice protectionniste du 2 avril menace les économies africaines.
Bien que limités à 10 %, au moins jusqu’au 9 juillet, et absents sur les marchandises difficilement remplaçables, telles que le pétrole, le caoutchouc et les minerais critiques, les tarifs américains menacent la croissance africaine, en particulier de par leurs effets indirects.
Dans leur déclaration commune, les ministres du Forum sur la coopération sino-africaine ont d’ailleurs ciblé les États-Unis, sans les nommer, critiquant « les efforts de certains pays pour perturber l’ordre économique et commercial international existant ».
La main tendue chinoise pourrait-elle pour autant avoir un impact sur les pourparlers commerciaux en cours entre la Maison Blanche et les pays d’Afrique sur le niveau des droits de douanes américains ?
On sait que Donald Trump cherche dans ces discussions tantôt un alignement politique sur la position américaine face à la Chine, tantôt un accès privilégié aux minerais critiques, indispensables aux industries énergétiques et numériques, et dont le continent africain dispose de 30 % des réserves mondiales.
De ce point de vue, la Chine, qui multiplie les investissements, comme par exemple dans des mines de cobalt en RDC, ou dans le lithium au Zimbabwe, semble avoir plus d’une longueur d’avance, et le geste consenti la semaine dernière pourrait convaincre les dirigeants africains de ménager les intérêts chinois dans leurs négociations avec Washington.
L’industrialisation du continent négligée
L’image de Pékin n’est pas pour autant immaculée. L’ex empire du milieu, qui a beaucoup dépensé en Afrique via le programme de financement d’infrastructures des « Nouvelles routes de la soie » [Belt and Road Initiative], se voit notamment reprocher par différents dirigeants de ne pas contribuer au développement industriel du continent.
« Que ce soit dans le secteur minier, où elle se concentre sur l’aspect extractif plutôt que de favoriser en Afrique le reste de la chaîne de valeur, ou du côté du financement des infrastructures, dirigés surtout vers le commerce – les ports en particulier- la Chine recherche avant tout son intérêt. Elle n’a pas eu jusqu’ici pour objectif le développement industriel de ces pays », estime Aroni Chaudhuri.
L’exemption de tarifs douaniers annoncée laisse-t-elle augurer un changement d’approche ?
« Dans le discours, oui, la Chine affiche depuis des années la volonté de participer au développement économique de l’Afrique, à son industrialisation. Mais en pratique c’est impossible, compte tenu du niveau d’investissements directs étrangers mobilisé, aujourd’hui beaucoup trop faible, tranche Xavier Aurégan. À certaines échelles, parfois, la Chine peut participer à une forme de semi-industrialisation, avec de premières transformations effectuées sur place. Mais pour aller plus loin, il faudrait que le financement par les acteurs chinois, tant privés qu’étatiques, soit beaucoup plus massif ».
Un changement de braquet qui ne semble pas à l’ordre du jour.