Automobile, aéronautique, défense, énergie… Dans tous les grands domaines technologiques, la France et l´Allemagne défendent des positions communes, partagent des initiatives en matière de recherche ou de normalisation. Mais, au-delà, leurs entreprises sont souvent concurrentes et les intérêts stratégiques divergent. Revue de détail, en partenariat avec la Chambre franco-allemande de commerce et d´industrie…
Au soir des élections fédérales allemandes, le 27 septembre dernier, le secrétaire d´État français aux Affaires européennes, Pierre Lellouche, se félicitait de la victoire de la chancelière Angela Merkel et de son parti. Avant d´ajouter que si « l´Allemagne est le premier partenaire de la France », les deux pays « sont aussi concurrents, surtout dans la high-tech ». Peut-être l´avait-on un peu oublié, à force de présenter les deux pays comme le moteur indispensable à la construction de l´Europe. Paris et Berlin chassent sur les mêmes terres.
Face à la meute des dragons asiatiques ou autres pays émergents, le made in Germany et la French Touch empruntent à la recherche les mêmes recettes. Ils innovent, créent de la valeur ajoutée, de nouvelles technologies dans l´automobile, l´aéronautique, l´information, la communication ou l´énergie.
S´il est bien un secteur dans lequel le pragmatisme l´emporte en Allemagne sur toute autre considération de voisinage ou d´amitié, nationale ou européenne, c´est bien l´énergie. « L´Allemagne a constaté qu´elle est la première puissance économique en Europe, mais que son sous-sol est dépourvu de ressources. Elle a donc décidé de jouer cavalier seul dans ce domaine », analyse Louis-Marie Clouet, chercheur au Comité d´études des relations franco-allemandes (Cerfa).
Ainsi, pour le gazoduc Nord Stream, « Berlin n´a pas hésité à s´associer à Moscou. En reliant directement la Russie à l´Allemagne, l´ouvrage permet d´éliminer tout risque de rupture des approvisionnements, explique Louis-Marie Clouet. En passant sous la Baltique, le Nord Stream évitera les pays de transit comme l´Ukraine, la Lituanie et la Pologne, qui sont, pourtant, membres de l´Union européenne ».
Les actuelles négociations dans le naval militaire montrent encore que la relation se tend des deux côtés du Rhin dès que des intérêts stratégiques sont en jeu. En l´occurrence, le gouvernement français proposait de rapprocher DCNS de son concurrent allemand ThyssenKrupp Marine Systems (TKMS). Peine perdue. TKMS a fait la sourde oreille, poussant peu à peu DCNS à se rapprocher des chantiers navals polonais de Gdynia.
Dix ans après la création d´EADS, la naissance d´un nouveau champion européen semble donc improbable. « Il est vrai qu´à l´époque, la création d´un géant de l´aéronautique et de la défense, à dominante allemande et française, était l´unique solution pour résister à la concurrence des États-Unis, et de Boeing en particulier », rappelle Louis-Marie Clouet.
Les conditions de concurrence sont aujourd´hui différentes dans le naval militaire. Le secteur reste très éclaté dans le monde. Et les grandes manœuvres ne font que commencer.
Malgré cette déconvenue, l´Élysée voudrait relancer l´Europe de la défense en profitant d´une fenêtre d´opportunités. Avec l´adoption maintenant probable par les 27 du Traité de Lisbonne, l´Union européenne sera dotée d´une véritable compétence en matière de sécurité. La crise institutionnelle de l´UE devrait aussi s´estomper, favorisant les initiatives communes. D´autant que Nicolas Sarkozy et Angela Merkel sont assurés en principe de rester au pouvoir jusqu´en 2012 et 2013.
Il y a quelques mois, l´Allemagne et la France ont constitué des groupes de travail dans l´énergie et la voiture du futur, associant les industriels. « Dans l´automobile, les constructeurs français et allemands ont déjà démarré leurs programmes de recherche et de coopération dans la voiture électrique. Ils possèdent aussi leurs propres centres de R & D. En fait, ce qui les intéresse, ce sont la mise au point de normes et de standards, le choix de technologies performantes et l´installation d´infrastructures sur leurs territoires et en Europe », détaille Yves-Laurent Mahé, conseiller financier à la Mission économique à Berlin.
En matière d´armement, il s´agirait de lancer des programmes de partenariat dans les hélicoptères lourds, les petits drones ou certains véhicules blindés. Allemands et Français pourraient encore coopérer dans le cadre des nouvelles directives européennes. Les appels d´offres nationaux doivent être ouverts à la concurrence européenne. Et les nouvelles règles en matière de transferts intracommunautaires d´équipements ou de pièces détachées vont amener les gouvernements à adopter des mesures de certification des opérateurs. Mieux vaut faciliter les démarches et s´associer.
Enquête réalisée par François Pargny, avec la CFACI