L’Algérie mène tambour battant la transformation de son modèle économique pour sortir de la dépendance à la rente pétrolière et gazière. Dans ce contexte, de nombreuses opportunités se présentent pour les entreprises françaises, à condition de bien maîtriser un environnement réglementaire en pleine mutation. C’est ce qui ressort du dernier Forum « Investir en Algérie » organisé par la Chambre de commerce et d’industrie de Paris Île-de-France, le 25 octobre à Paris.
L’Algérie poursuit tambour battant la transformation de son modèle économique pour sortir de la rente des hydrocarbures, diversifier son économie et favoriser l’industrie et la transformation locales en réduisant les importations.
Mais le chemin est long : « s’il y a un changement de paradigme, c’est un changement qui prend du temps » a averti Mathieu Bruchon, chef du service économique d’Alger lors du Forum « Investir en Algérie » du 25 octobre, organisé par la CCIP IdF avec la participation de représentants de la CCI algéro-française (CCIAF), du service économique, de Business France et de Bpifrance. Autrement dit, cela ne se voit pas encore dans les chiffres macroéconomiques : les hydrocarbures pèsent encore un tiers du PIB, 45 % des recettes budgétaires et 85 % des exportations.
Une conjoncture économique favorable
Mais d’un point de vue conjoncturelle, l’économie algérienne profite à plein, depuis trois ans, de la remontée des cours des hydrocarbures : son taux de croissance navigue entre 3 et 4 % depuis 2021 et la reprise post-Covid. Ses réserves de change ont retrouvé un niveau très confortable : 14,5 mois d’importation en 2022, et autour de 15 mois en 2023.
Seule ombre au tableau : comme partout dans le monde depuis l’an dernier, le taux d’inflation est élevé, supérieur à 9 % (9,4 % l’an dernier) en Algérie, résultat de la hausse des prix d’une partie des importations (notamment les denrées alimentaires) et de la dépréciation du dinar (DA) par rapport aux autres devises. Un fléau qui préoccupe d’autant plus les autorités algériennes que le climat socio-politique, marqué par les manifestations du « hirak » entre 2019 et 2021, est suivi comme le lait sur le feu alors que des élections présidentielles sont prévues fin 2024. Grâce à l’aisance financière retrouvée, elles répondent par des mesures sociales et de dépenses publiques, qui ne devrait pas diminuer l’an prochain.
Au-delà de la conjoncture économique relativement bonne actuellement, c’est surtout pour les réformes en cours visant à changer en profondeur le modèle économique algérien et les opportunités qu’elles créent que le moment est favorable pour les entreprises françaises.
Des opportunités à l’export
D’après des estimations économiques citées lors du Forum par Romain Kéraval, directeur de Business France Algérie, après une forte reprise post-Covid, les exportations françaises vers l’Algérie atteignent de l’ordre de 4 milliards d’euros, mais le potentiel serait de 2,5 à 3 milliards d’euros supplémentaires. Il y a donc à faire pour les exportateurs français.
A ce sujet, Mathieu Bruchon, chef du service économique d’Alger, a relevé que malgré la concurrence internationale plus vive, qui a par exemple évincé la France du marché algérien du blé au profit de la Russie, le commerce bilatéral fait preuve de résilience grâce à la diversification des produits (pharmacie, matériels de transport, automobile, agriculture et agroalimentaire…) et le fait qu’il « est porté par de nombreuses PME ».
Pour l’heure, le top 5 des principaux clients et fournisseurs confirme l’érosion de la part de marché tricolore :
–Top 5 des clients : 1/ Italie (32,3 %) ; 2/ Espagne 12 % ; 3/ France 10,5 % ; 4/ Corée du Sud 5,1 % ; 5/ Etats-Unis 4,7 %
–Top 5 des fournisseurs : 1/ Chine (18,6 %) ; 2/ France 14 % ; 3/ Italie 7,7 % ; 4/ Turquie 6,1 % ; 5/ Brésil 5,7 %
Un aggiornamento réglementaire qui se poursuit
Comme nous avions eu l’occasion de le souligner dans un précédent article faisant un point exhaustif sur la vague de nouvelles réglementations affectant le commerce et les investissements en 2023 (ci-après), si les restrictions aux importations restent importantes, en particulier pour les produits destinés à la « revente en l’état », les portes s’ouvrent pour les investisseurs et les importations de biens d’équipement et composants nécessaires au développement de projets industriels locaux.
Pour le détail des nouvelles réglementations, relire : Algérie : les nouveautés réglementaires 2023 pour l’import-export et l’investissement
D’après le nouveau point détaillé fait par Hamouda Akram, responsable de la veille réglementaire à la CCIAF, pas moins de six décrets ont été publiés en application de la Loi de finance pour 2023, qui a notamment installé le nouveau cadre réglementaire pour les investissements plus ouvert, signe que le gouvernement algérien ne souhaite pas perdre de temps.
Pour rappel, après la suppression de la règle du 51-49 dans le domaine des joint-venture, mise en œuvre dès 2022, cette année a été marquée par la mise en place de la nouvelle Agence algérienne de promotion des investissements (AAPI), rattaché au Premier ministre, dotée d’une sorte de « guichet unique » en ligne pour les formalités. Elle est chargée de gérer les trois nouveaux régimes d’incitation aux investissements par secteur, zones géographiques et concernant les projets structurants. Nous renvoyons à l’article précité pour les détails.
Malgré ces ouvertures réelles, le pays doit être abordé en tenant compte de cet environnement réglementaire et en veillant à se tenir informé dans ce domaine. « L’aggiornamento réglementaire se poursuit en Algérie, mais il n’est pas encore terminé », a indiqué Romain Kéraval, directeur du bureau de Business France en Algérie. Les démarches administratives sont à mener avec rigueur par les entreprises étrangères, qui doivent compter au moins un an pour la création d’une implantation, le temps d’avoir toutes les autorisations administratives nécessaires. Se faire accompagner par des experts de ce domaine est recommandé.
Des secteurs et des niches porteuses
Reste que le pays foisonne de projets, émanant d’entreprises ou d’entrepreneurs locaux, on en a eu un aperçu avec la présentation qu’a fait le directeur de Business France à Alger. D’après Romain Kéraval, même si la concurrence est rude, les entreprises françaises ont des cartes à jouer. « En Algérie, il y a de l’argent, a-t-il notamment souligné. Ce qui manque, c’est le savoir-faire », a indiqué le responsable.
Même dans un secteur comme la construction et le BTP : « je ne connais aucune entreprise française qui a remporté récemment un appel d’offres en construction ou BTP » a indiqué Romain Kéraval, les entreprises chinoises et turques ayant raflé de nombreux marchés ces derniers années. Mais dans des niches telles que l’écoconstruction ou les bâtiments éco-durables, des percées sont possibles. Autrement dit, au-delà des grands secteurs foisonnant actuellement en Algérie, « il faut aller dans le détail ».
Dans l’industrie et les cleantech, si l’Algérie à relancé ses investissements dans son industrie fossile, le pays n’en cherche pas moins à développer les énergies renouvelables et souhaite être doté de 35 GW de capacité d’ici 2035. Un appel d’offre a récemment été lancé pour des infrastructures de production d’énergie photovoltaïque de 2 GW : des offres émanant d’entreprises chinoises, turques et du Golfe sont en cours d’examen. Ce qui n’empêche pas que des savoir-faire nouveaux seront recherchés en matière d’installation et de maintenance.
Autre exemple, dans les services marchands, et notamment l’e-commerce. De nombreux petits acteurs de l’e-commerce ont émergé ces dernières années sur le marché algérien et les ventes sont en forte croissance, comme partout. Le gouvernement algérien exigeant une implantation locale pour autoriser le développement d’un site de e-commerce, des partenariats sont envisageables pour les acteurs du e-commerce français avec des acteurs algériens pour s’y déployer, mais aussi pour permettre aux e-commerçants algériens de pouvoir vendre en France ou en Europe.
Dans l’agriculture, alors que le pays veut accroître son autosuffisance et a beaucoup encouragé la production locale, les besoins non satisfaits restent immenses : engrais, alimentation du bétail, ingénierie, savoir-faire… Dans l’agroalimentaire, les projets foisonnent, de nombreux produits locaux ont fait leur apparition dans les rayons des supermarchés algériens. Mais selon Romain Kéraval, « il y a encore beaucoup à faire » et l’appétit des entrepreneurs algériens pour de nouveaux projets est important. « Il n’y a pas un seul représentant d’entreprises algérienne qui ne m’a pas parlé de diversification dans d’autres secteurs, surtout l’agroalimentaire » a-t-il observé.
La logistique, un secteur dont le sous-développement en Algérie oblige de nombreux groupes industriels à disposer de leur propre flotte de transport, est également un métier d’avenir « à condition de disposer de camions ». Un problème dont seraient conscientes les autorités algériennes et susceptible d’évoluer.
Dans l’industrie automobile, dans le sillage des gros investissements industriels en cours, notamment de Stellantis pour la France, tout un écosystème est appelé à se développer, notamment dans la sous-traitance mécanique. Les fournisseurs de rangs 1 ont été agréés, viendra le tour des fournisseurs de rang 2.
Dans la santé, le secteur des services est en plein essor avec le développement de cliniques privées de 150 à 250 lits dans tout le pays. Là encore des opportunités de marché pour des fournisseurs d’équipements et de services non disponibles localement. Des opportunités existent également dans le façonnage de produits pharmaceutiques ou cosmétique mais aussi dans l’industrie des compléments alimentaires.
Cette liste est loin d’être exhaustive. Parmi les conseils aux entrepreneurs français réitérés lors de ce forum, trois ressortent : avoir une connaissance précise de la réglementation de son secteur en Algérie, incluant les conditions de rapatriement des dividendes; avoir un partenaire local connaissant bien son marché; structurer son projet; et prendre en compte le fait que le processus sera long… Dans ce contexte, des organismes comme Business France et la CCIAF sont de bons points de contact pour toute approche.
Christine Gilguy