L’Algérie, confrontée au Covid-19, entend encourager les IDE (investissements directs étrangers) en même temps que de soutenir le secteur privé local. Les mesures espérées devront encore attendre la loi de finances complémentaire (LFC) 2020. Validée par le Conseil des ministres, elle doit encore passer devant les deux chambres du Parlement.
Ce n’est donc encore qu’un projet, « qui sera voté d’ici fin juin », estimait Halim Ammar Khodja, directeur adjoint de la Chambre de commerce et d’industrie algéro-française (CCIAF), lors d’un wébinaire sur l’impact sanitaire, économique et social du coronavirus organisé, le 20 mai, par la CCI Paris Île-de-France et le Comité d’échanges France Afrique.
S’agit du secteur privé algérien, il s’agirait de lui apporter en période de Covid-19 des aides supplémentaires, après un premier train de mesures en matière de chômage, de fiscalité ou encore de commerce extérieur.
Selon Mohamed Akram Hamouda, responsable de l’Information réglementaire à la CCIAF, le salaire national minimum garanti (SNMG) serait relevé, l’impôt sur le revenu global (IRG) sur les bas salaires supprimé, des exonérations de TVA, d’IRG et d’impôt sur les bénéfices (IBS) seraient encore accordées aux startup et petites entreprises.
H. Khodja « n’a jamais eu autant de demandes d’investissements qu’aujourd’hui »
Parallèlement, pour booster les investissements directs étrange, le gouvernement sortirait une liste d’activités stratégiques, les seules qui seraient encore soumises à la loi de 2019 dite du 51/49, en référence au fait que les investisseurs étrangers doivent céder la majorité des projets à des intérêts locaux. Consulté l’an passé, le bureau de conseil américain Boston Consulting Group (BCG) avait prôné une révision de la règle sur les IDE en même temps qu’une nouvelle loi sur les hydrocarbures et une modernisation de la compagnie nationale d’hydrocarbures Sonatrach.
Pour Halim Ammar Khodja, hydrocarbures et défense seraient considérés comme stratégiques et tous les projets de vente de produits sans transformation resteraient aussi soumis à la règle 51/49. En revanche, un rare secteur où la production s’est bien développée avec les investisseurs extérieurs en Algérie, en l’occurrence, la pharmacie, pourrait être encore encouragé. Pas pour n’importe quelle fabrication, mais de nouveaux segments, comme l’oncologie, et la recherche, dans lesquels les étrangers devraient pouvoir opérer jusqu’à 100 %.
Halim Ammar Khodja affirmait que la CCIAF « n’a jamais eu autant de demandes d’investissements qu’aujourd’hui ». Hors hydrocarbures, la France est le premier investisseur étranger, avec un stock de 2,65 milliards de dollars, dont un flux de 283 millions en 2019.
Dix ans après l’établissement de la règle 51/49, les tenants et les opposants s’affrontent toujours. Les premiers faisant remarquer qu’auparavant les IDE dépassaient juste la barre des 500 millions de dollars, alors qu’ils s’élevaient à 1,2 milliard en 2019. Les seconds estimant que ce chiffre aurait été supérieur sans le frein de cette disposition.
L’automobile est souvent citée, comme une industrie qui n’a jamais pu décoller à l’image d’autres pays comme le Maroc, faute de confiance. La période actuelle serait différente. Halim Ammar Khodja se refusait à considérer l’adaptation de la règle 51/49 comme la seule raison d’un regain d’intérêt des investisseurs étrangers. Une prise de conscience de l’État de lutter contre la bureaucratisation aurait aussi des effets, l’Administration demeurant, néanmoins, encore particulièrement « lourde » et « contraignante ».
Sonatrach entre deux eaux
Quant au projet de transformation de Sonatrach, baptisé le SH2030, il devait propulser le géant public au rang dans le Top 5 des majors dans le monde. Au cœur du système, l’adoption de standards internationaux en matière de management, avec un gros effort de digitalisation à la clé. BCG avait proposé 35 initiatives dans des domaines variés comme la centralisation des achats, le cloud, les énergies renouvelables ou les ressources humaines. Mais la valse des dirigeants à la tête de Sonatrach a considérablement ralenti le projet. Le SH2030 « n’est pas abandonné, seulement en veille », assurait Halim Ammar Khodja.
Fin avril, Luis Fernandez, directeur de recherche au Centre de recherches internationales (Ceri), rappelait que le gouvernement a annoncé « l’arrêt des contrats d’études (7 milliards) avec les bureaux étrangers et la réduction des charges d’exploitations du groupe Sonatrach de 14 à 7 milliards de dollars ». Parallèlement, la compagnie publique a conclu des mémorandum of understanding (MoU) avec les groupes Luxoil et ExxonMobil, visant à « engager des discussions » sur les possibilités dans les domaines de l’exploration et la production d’hydrocarbures.
Le grand projet de diversification, hors hydrocarbures, et d’industrialisation n’est pas nouveau. Souvent annoncé, jamais réalisé, allant de pair avec une réduction des importations, notamment de la facture alimentaire. Le gouvernement a encore annoncé cette année la réduction escomptée des importations de 41 milliards à 31 milliards de dollars.
Les défis économiques, politiques et sociaux du gouvernement
Pour avancer dans son projet de modernisation économique, le gouvernement du Premier ministre Abdelaziz Djerad, nommé au début de l’année, est confronté à un triple défi. Les deux premiers sont économiques et financiers, avec la crise du Covid-19 et l’effondrement des cours du pétrole. Le troisième est d’ordre social et politique, avec les manifestations pacifiques d’une partie de la population contestant l’élection à la présidence de la République d’Abdelmadjid Tebboune, considéré comme le représentant de l’ancien régime honni.
Après un premier décès du Covid-19 le 12 mars, l’Algérie, le 17 mars, a fermé ses frontières terrestres du pays, décidé la suspension de tous les vols de et vers l’Algérie et l’interdiction des rassemblements et des marchés. Traduction pour les hommes d’affaires français, l’impossibilité de se déplacer sur place, de participer par exemple aux grands salons, qui, comme Djazzagro, ont été, du coup, reportés. Halim Ammar Khodja pense que « tant que l’Espace Schengen sera fermé, il n’y aura pas de salons » et qu’une éventuelle ouverture des frontières ne pourra se faire « que sur la base de réciprocité ».
Le 22 mars, le gouvernement a suspendu tous les moyens de transports en commun et, le 4 avril, les commerces, restaurants, cafés ont été fermés, les taxis ont arrêté de circuler et un couvre-feu, variable selon les wilayas, a été instauré. La chute de l’activité intervient alors que la division par trois du cours du baril entre janvier et avril à 20 dollars menace les grands équilibres de l’Algérie. A ce jour, Coface estime que pour que ce pays équilibre ses comptes, un baril à 110 dollars serait nécessaire.
C’est une chute qui ne cesse de s’accélérer, puisque les réserves financières de l’État encore à 194 milliards de dollars en 2014 (dont 97 % à partir des recettes d’exportation des hydrocarbures) avaient fondu à 62 milliards à la fin de l’année dernière et qu’au terme de cette année ce stock devrait encore reculer à 44 milliards. Menacée de faillite financière, malgré un faible endettement, l’Algérie envisageait de recourir à des financements extérieurs. Toutefois, au début du mois, Abdelmadjid Tebboune déclarait qu’il valait mieux « emprunter auprès des citoyens plutôt qu’auprès du FMI ou de la Banque mondiale ».
Sera-t-il entendu par un peuple de 44 millions d’âmes, dont 50 % ont moins de 20 ans ? Muet depuis le 20 mars, le Hirak, mouvement citoyen pacifique, pourrait à un moment ou un autre reprendre de la vigueur. Ce n’est peut-être qu’une question de temps.
François Pargny