Le deuxième forum d’Afretail a rassemblé pour la deuxième année consécutive à Paris enseignes internationales et acteurs africains du commerce de détail, en anglais Retail. Un rendez-vous qui intervient alors que les entreprises françaises du secteur cherchent des relais de croissance dans des pays émergents.

« Entre l’Inde et la République démocratique du Congo, quel est le pays qui, l’an dernier, a connu la plus forte croissance ? ». Le suspense ne dure pas très longtemps. Izar Hyacinthe donne sans ambiguïté la réponse que l’assistance attendait : « oui c’est la RDC avec 8,6% contre 6,8% ».
A l’occasion du deuxième forum Afretail, qu’elle a co-organisé avec Euralia (division internationale de la fédération du commerce Procos), la présidente de Concretiz, une entreprise qui fait de l’accompagnement en Afrique, a rappelé les opportunités qui s’offrent sur le continent.
« Aujourd’hui les centres commerciaux à Abidjan ne désemplissent pas », décrit-elle sur cette petite scène du centre de conférences du jardin d’acclimatation (Paris), indiquant que les goûts de la classe moyenne évoluent. Cette dernière est estimée autour de 300 millions de personnes sur un total de 1,4 milliard d’habitants. « On observe aussi une structuration du commerce informel », assure-t-elle, même si celui-ci représente toujours près de 80 % du total.
A l’appui de son propos, trois photos de magasins flambant neufs sont projetées sur l’écran de la salle. Ce sont ceux d’Adopt’Parfums en Côte d’Ivoire, de Paul au Cameroun et de Kiko Milano en RDC. « Ces boutiques n’ont rien à envier à celles que l’on trouve à Dubaï » , insiste-t-elle.

A l’heure où l’image de la France est passablement écornée dans un grand nombre de pays du continent, notamment en Afrique francophone, les entreprises hexagonales continuent de marquer leur intérêt pour le continent. « Après les indépendances, la France a eu un monopole sur de nombreux marchés africains, elle l’a depuis perdu et se retrouve désormais en situation de concurrence avec tous les autres pays », rappelle Stéphane Tiki, directeur du développement au sein du Groupement du patronat francophone. A ses yeux, « ce n’est pas un problème en soi, car la France a son savoir-faire ».
Sur ce continent de 54 pays, l’Afrique de l’Ouest est cependant privilégiée par les groupes tricolores pour sa relative stabilité politique et sécuritaire par rapport à ses voisins du Sahel. Un critère déterminant pour une direction internationale d’enseignes alors qu’entre également en jeu la monnaie harmonisée (CFA).
Sur les dix dernières années, les groupes de retail français et européens ont d’ailleurs intensifié leur présence sur le continent. Ainsi qu’à l’export : les grandes surfaces alimentaires ont été précurseurs avec Carrefour, Auchan ou encore Casino et son groupe ExtenC (via Monoprix, Franprix, etc.) suivis rapidement par le commerce de détail (Decathlon, Fnac Darty, Leroy Merlin, Midas, Lagardère Travel Retail, Kiko Milano, La Croissanterie, Lacoste, Boulangeries Paul, Gautier Meubles, Yves Rocher, Kiabi…).
D’abord le Maghreb, puis l’Afrique sub-saharienne
« Généralement les enseignes françaises commencent par les pays du Maghreb, plus proche géographiquement, pour tester le marché et sa logistique (Monoprix, Columbus Café, bi-store Eram x Gemo) », détaille Cécile Walter, directrice internationale d’Eurelia. Désormais, elle note aussi « un engouement croissant pour l’Afrique sub-saharienne ».

La raison ? Un contexte macroéconomique, des prévisions de croissance du PIB, qui convergent autour de 4,2 %. « C’est aussi sur ce terrain africain qu’elles peuvent encore prendre des parts de marché à un moindre coût avant que la concurrence internationale ne s’y ancre solidement, comme c’est déjà le cas en Afrique du Sud », ajoute cette experte alors qu’en Europe le secteur est confronté à de nouvelles attentes sociétales, réglementaires et écologiques.
« Le piège serait d’ignorer les complexités »
Montrer de l’intérêt et vouloir se développer sur place n’équivaut cependant pas forcément à la volonté de sauter le pas tout de suite. « Aujourd’hui certaines enseignes sont encore souvent frileuses à l’idée de venir », constate Marie-Elise Poilleux, responsable commerciale et développement des franchises pour la Compagnie française de l’Afrique Occidentale (CFAO), acteur majeur de la distribution spécialisé en Afrique passé sous pavillon japonais.
« Mais nous continuons de travailler avec celles qui ont des velléités de s’implanter, de répondre aux attentes de cette classe moyenne émergente qui souhaite accéder aux marques européennes » précise-t-elle en citant les exemples de Jules et Lacoste.
« Ensemble on fait un partenariat puis on adapte le concept », poursuit-elle en précisant que les différences portent aussi bien sur la saisonnalité, les prix, les approvisionnements qui ne sont pas les mêmes qu’en Europe. « Le piège serait d’ignorer les complexités notamment logistiques et administratives », prévient-elle.
Nouveaux projets à la faveur du développement
de l’immobilier commercial
A ce titre, les enseignes françaises ont pendant des années été freinées par la difficulté de trouver un partenaire par manque de visibilité de ces acteurs, le manque d’offres et de structures retail adaptées, et des contrats d’exclusivité signés avec leurs partenaires à double casquette : master franchisés et développeurs de centres commerciaux.
« En effet, le rythme des ouvertures de malls en Afrique n’est pas celui de certains pays européens. Aussi se restreindre aux créations de centres de son seul et unique partenaire empêchait un développement plus ‘ rapide’ », explique Cécile Walter. A son sens, cependant, « la relation partenaire / franchiseur semble s’être équilibrée rendant possible les opportunités d’ouvrir chez des foncières différentes du partenaire initial ».
En Afrique de l’Ouest une certaine détente se serait opérée sur le front du foncier selon certains professionnels. « Des investissements dans l’immobilier ont été faits et continuent de se faire ce qui a permis de débloquer la situation. Auparavant, il n’y avait pas de place pour de nouveaux magasins », explique Stanislas Rohmer, directeur général Afrique de l’Ouest chez Nhood Africa (Groupe Mulliez).
Des projets dans les tuyaux pour Nhood Africa
Ce groupe propose des études de marché et accompagne douze sociétés de la famille Mulliez au rang desquelles figurent notamment Decathlon, Leroy Merlin, Kiabi et Jules – et quatre autres groupes extérieurs (Damat, Calliope, Terranova et l’Italien Teddy Group) tandis que des dizaines d’autres affaires seraient en pourparlers.
Trois grands projets sont sur les rails : Abidjean Riviera qui devrait être terminé en juin 2026 ; Dakar Nord Foire qui sera finalisé au plus tôt à la fin de 2027 et Bassam Retail Park en Côte d’Ivoire, dont l’achèvement est prévu pour la mi 2027. « Au total, ces projets représentent une participation foncière de l’ordre de 150 millions d’euros », poursuit Stanislas Rohmer alors qu’au total, une vingtaine de marques françaises sont concernées.
Contrecarrer les risques politiques
Pour contrecarrer les risques, le groupe diversifie ses investissements sur l’ensemble du continent. « Nous regardons aussi bien les opportunités dans l’Océan indien à Madagascar et à l’île Maurice, qu’en Afrique du Nord et de l’Est », explique Stanislas Rohmer, en relevant cependant que l’Afrique du sud, « trop mature » et « anglo-saxonne » ne figure pas dans son spectre.
Autre acteur français incontournable du secteur, Auchan. Avec 3000 collaborateurs sur le continent africain, l’enseigne est présente depuis 2014 au Sénégal et depuis juin 2022 en Côte d’Ivoire où elle compte 15 points de vente. « Nous sommes sur deux pays en propre, insiste Gilles Lafon, directeur Franchises et développement Auchan Afrique alors que le groupe prévoit de « développer en 2027 et 2028 de nouveaux accords entre des franchises et des partenaires locaux », explique-t-il.
Ne craint-il pas le risque politique ? « Avec les évènements qui ont eu lieu en 2021, les entreprises ont été ciblées pour ces raisons mais nous nous sommes apolitiques », insiste-t-il, sous-entendant qu’il faut parfois faire le dos rond.
Marjorie Cessac