L’export est porteur pour l’industrie française du meuble, porté par quelques marques prestigieuses. Mais structurellement déficitaire, la filière veut faire plus et mieux avec une feuille de route qui vise à doubler son chiffre d’affaires à l’international d’ici 2035. Revue de détail.

« On est à l’image de l’appareil exportateur français et ses faiblesses avec, selon les segments, un déploiement international plus ou moins suffisant », souligne Isabelle Hernio, directrice International de l’Ameublement français, et animatrice du groupe des exportateurs (GEM) de cette organisation professionnelle de 400 membres (ci-contre).
Le GEM, que préside David Soulard, le directeur général de l’emblématique marque de meuble contemporain Gautier, ne compte encore que 50 membres.
Revoir la « signature » de la filière
A côté de quelques belles PME et ETI, avec des marques bien installées et très exportatrices comme Fermob (mobilier d’extérieur), Roset (mobilier de luxe) ou Gautier (mobilier contemporain), la filière se compose d’un très gros pourcentage de petites entreprises. Toute la gamme est représentée, des meubles d’entrée de gamme au produit de grand luxe en passant par le mobilier « outdoor », celui de bureau, le mobilier urbain, le design, les architectes décorateurs…

Une richesse qui fait aussi sa faiblesse, rendant floue son image et son message aux consommateurs, notamment étrangers, le fameux « Unique Saling Proposition », USP. « Quand on pense mobilier italien, on pense design, quand on pense mobilier scandinave, on pense rigueur, quand on pense mobilier français, ça reste flou, explique Isabelle Hernio. Nous avons besoin de revoir l’identité de cette filière à l’international ».
Le site en anglais de l’AF met en avant, pour le moment, l’hashtag « My Furniture is French », logo également utilisée sur le compte Instagram de l’AF. Mais un chantier est en cours pour établir, d’ici la fin de l’année 2023, une « nouvelle signature de l’industrie française de l’ameublement », sorte de marque ombrelle qui valorisera des atouts tels que le souci de la RSE (responsabilité sociale et environnementale), la qualité des savoir-faire, ou encore l’art de vivre à la française.
Se rendre plus visible est l’un des axes de la stratégie de cette filière pour reprendre des parts de marché, chez elle comme à l’étranger, en misant sur la French touch ou le French art de vivre. Lors du dernier salon international Maison & Objets (19-23 janvier), l’AF avait d’ailleurs concocté, avec les organisateurs, non pas un pavillon collectif mais un parcours dédié à la French Touch pour les visiteurs étrangers. Une communication ciblée qu’elle compte multiplier sur d’autres grands événements de ce type.
Un déficit chronique
Car en attendant, malgré une prise de conscience qui ne date pas d’hier, les résultats ne sont pas brillants en termes de commerce extérieur, en dehors de quelques dizaines de champions emblématiques déjà cités : un déficit commercial structurel et une filière qui, appauvrie par la désindustrialisation des trente dernières années, parvient à peine à occuper la moitié de son marché intérieur, dominé par les importations. Les chiffres parlent d’eux même : en 2021, pour 1,7 milliard d’euros exportés, à 75 % en Europe, 7,2 milliards importés, soit un taux de couverture d’à peine 23 %.
Il y a du pain sur la planche alors que le marché mondial est en croissance, selon les chiffres de l’AF : + 6,5 % en 2021 par rapport à 2019 (400 Md USD), tiré par la reprise post-Covid dans les pays occidentaux. Mais ces dix dernières années, ce sont les pays émergents qui ont été le moteur de la croissance, représentant 48 % du marché. Toujours en 2021, la Chine s’est hissée au 1er rang mondial (26 %), devant les États-Unis (21 %).
Le top 10 des clients export en 2021
1/ Allemagne 15 %
2/ Suisse 13 %
3/ Espagne 10 %
4/ Belgique/Luxembourg 10 %
5/ Royaume-Uni 9 %
6/Italie 8 %
7/ Etats-Unis 7 %
8/ Pays-Bas 2,9 %
9/ Chine 2,4 %
10/ Portugal 1,8 %
Doubler l’export d’ici 2035
Dans ce contexte, la filière se réveille, et l’AF a décidé de prendre le taureau par les cornes. Après un diagnostic dont les résultats ont été remis en septembre, l’organisation s’est attelée à la tâche d’élaborer un plan d’internationalisation. Avec un objectif ambitieux : « quasiment doubler le chiffre d’affaires à l’international d’ici 2035 ».

Comme l’indique Isabelle Hernio, « ce n’est pas un plan révolutionnaire, mais c’est une ambition sur la durée ». Parmi les défis, il s’agira notamment, par des accompagnements ciblés et mieux organisés, de sortir les petites PME du secteur du « stop and go » à l’export pour les emmener à s’inscrire dans une démarche à long terme. Il s’agira aussi de continuer à faciliter le développement à l’international des PME et ETI déjà performantes.
Pousser le collectif et le collaboratif
Trois principaux leviers seront utilisés, en fonction de la taille et des moyens des entreprises, mais aussi de leur degré de maturité à l’export.

En premier lieu promouvoir des approches davantage collectives et collaboratives sur les problématiques de l’export, qui devra s’accompagner de l’élaboration d’un « plan de formation ambitieux » pour accroître les compétences dans les entreprises et les aider à attirer de nouveaux talents. « La montée en compétence est un enjeu absolument majeur, avec par exemple les nouveaux besoins liés à la digitalisation » souligne Isabelle Hernio.
Autre levier, mobiliser les primo exportateurs et les accompagner dans la durée, y compris sur les prérequis tels que le respect des normes RSE, véritable sésame sur les marchés de consommation matures, afin d’augmenter la taille du vivier de champions. Pour ces exportateurs non aguerris, l’Europe sera la première cible avant le grand export.
Enfin, pousser l’action collective via des programmes d’accélération ciblés, par exemple sur le marché nord-américain -une priorité de la filière-, mais aussi le Moyen-Orient et l’Asie au sens large, qui nécessitera un recensement et une cartographie des savoir-faire des entreprises intéressées. Sans oublier le volet « contract », autrement dit la cible des grands prescripteurs que sont les cabinets d’architectes et d’études basés dans les capitales comme Londres ou Munich, et les grandes villes américaines ou chinoises : ce sont eux qui décrochent de grands contrats internationaux pour la construction et l’aménagement d’infrastructures tels que complexes hôteliers, centres de congrès, ensembles de bureaux ou de logements, aménagements urbains.
« Nous avons une offre très différenciantes à faire valoir avec nos architectes-décorateurs ou paysagistes, réputés pour la qualité de réalisation dans des projets sur-mesure », explique Isabelle Hernio. Et ceux-ci peuvent tirer d’autres PME françaises de la filière. Idem pour les entreprises qui se positionnent sur le haut de gamme et le luxe : des marchés de niche sont à prendre y compris en Asie du Sud-Est, où le GEM a organisé récemment une mission d’entreprises au Vietnam.
Des subventions possibles avec le Codifab
Pour mettre en musique ces ambitions, l’AF compte s’appuyer sur les partenaires du dispositif de soutien à l’export avec lesquels elle travaille déjà tels que ceux de la Team france Export –Business France, Bpifrance, etc.-, les consultants de l’OSCI ou encore Stratexio, avec lequel elle a créé un club export en 2021 pour coacher des dirigeants de PME sur leur stratégie d’internationalisation.
Elle dispose en outre d’un levier financier spécifique à la filière, via l’utilisation des subventions issues de la taxe affectée que collecte le Codifab, Comité des industries françaises de l’ameublement et du bois. « Nous pouvons par exemple obtenir des fonds pour financer 50 % de la participation d’une entreprise à un salon ou d’un VIE (volontaire international en entreprise » illustre Isabelle Hernio.
Les priorités opérationnelles pour 2023 sont de consolider la présence en Europe et d’accélérer aux États-Unis, et au Moyen-Orient. Plus prudente concernant l’Asie, l’organisation y privilégiera une démarche plus opportuniste, au cas par cas.
Aux États-Unis, « il faut faire une cartographie des entreprises intéressées et recenser les moyens existants comme les sites de stockages, bureaux, partenaires logisticiens, précise Isabelle Hernio. Nous réfléchissons à une stratégie qui consisterait à mutualiser certains moyens et partenaires puis participer collectivement à un salon ». L’idée d’établir des show rooms collectifs dans une ou deux villes américaines est sur la table, par exemple.
Au Moyen-Orient, dès mai prochain, sept entreprises du GEM seront présentes sur un stand collectif au salon INDEX de Dubaï (23-25 mai), pour adresser des clients du haut de gamme : Roset, Fermob, Gautier, Sifas, Lafuma mobilier, Sokoa.
Christine Gilguy