Pour tous les États du monde arabe, l’agriculture est un enjeu fondamental. Encore plus dans le contexte de volatilité des prix des hydrocarbures et de transition énergétique. De façon générale, les gouvernements des pays arabes ont pour objectif l’autosuffisance alimentaire et la diversification économique en encourageant la production locale. Pourtant, si au Maghreb, la France figure parmi les premiers fournisseurs d’agro-industrie, au Proche et Moyen-Orient, ses positions sont moins solides. Faut-il y voir une implication insuffisante de ses entreprises face au dynamisme accru des compétiteurs internationaux ? Sans doute, mais pas seulement.
De grandes entreprises françaises s’engagent, des PME également, mais, en revanche, peu de bureaux d’étude, acteurs clé en matière d’élaboration de politiques publiques, franchissent le pas.
V. Reina : « C’est maintenant que ça se passe »
« La présence de nos bureaux d’études est, pourtant, fondamentale. Beaucoup de nos partenaires à l’étranger n’ont pas la compétence pour rédiger des appels d’offres », a observé Vincent Reina, le président de la Chambre de commerce franco-arabe (CCFA), lors d’un petit déjeuner de travail sur « la transformation des secteurs agro-industriels dans le monde arabe», organisé autour de responsables de l’Adepta (Association pour le développement des échanges internationaux de produits et techniques agroalimentaires), le 15 mai.
Ainsi, Véronique du Passage, en charge du Maghreb à l’Adepta, a indiqué qu’elle avait connaissance « d’un cabinet d’étude français en Algérie, mais pas au Maroc ». Pour sa part, Vincent Reina a dévoilé que la CCFA s’étant étendue aux cabinets d’étude, elle en comptait aujourd’hui trois, dont deux travaillant en Algérie.
Or, la France disposerait « d’une demi-douzaine de grands cabinets et d’une vingtaine de petites unités », selon lui. « Les cabinets français, ajoutait-il, sont très spécialisés, par exemple, ont des savoir-faire dans les déchets, les transports, mais ils ne sont pas dans la zone ». Pour lui, il est urgent de « les mobiliser, parce que c’est maintenant que ça se passe ».
Tous ces pays se sont, en effet, dotés de plans prospectifs en matière économique et agricole – l’Algérie avec le Plan national de développement et de valorisation des produits agricoles, la Maroc avec les plans Maroc Vert et Halieutis, l’Arabie saoudite, le Qatar, les Emirats arabes unis avec leurs plans Vision 2030… – « dans lesquels il faut dès maintenant s’insérer ».
Bâtir une Équipe de France export public-privé
La montée de la classe moyenne, la part croissante de population jeune, l’émergence de nouvelles priorités sectorielles, comme l’aquaculture et la serriculture dans le Golfe ou le bio en Tunisie, doivent, en particulier, retenir l’attention.
Pour capter des marchés dans la transformation des produits agricoles, a affirmé encore Vincent Reina, « si nous disposons de fleurons, comme Veolia, Suez, Saur, dont la technologie issue des stations d’épuration permet de traiter aussi les eaux pour la pêche et l’aquaculture, nous ne travaillons pas assez ensemble ». La faute n’en reviendrait pas seulement à l’Adepta, à Business France, à Medef International, à tous les organismes publics et au secteur privé. C’est tout le monde.
« Ce n’est pas seulement le président d’une grande société qui doit pousser quand il se déplace, expliquait le patron de la CCFA, mais aussi les opérationnels sur place ». Et « les pouvoirs publics, de leur côté, ne doivent pas se contenter de simples incantations, si on ne veut pas être débordé par les Chinois, les Indiens, les Allemands, les Russes ». Résultat : « travailler ensemble est devenue une préoccupation essentielle et ce n’est pas faute d’avoir demandé une structure confédérale ».
Des financements disponibles pour les PME
Lors du déjeuner-débat, a aussi été soulevée la question des financements. Si les PME, de façon générale, ne s’adressent pas suffisamment à Bpifrance, elles ne pensent pas non plus à accéder à des financements existant sur place. Véronique du Passage a ainsi rappelé que pour aider le Maroc dans la modernisation du secteur halieutique, la France avait utilisé un de ses outils de financement, le Fonds d’étude et d’aide au secteur privé (Fasep), pour une étude de faisabilité d’un plan de modernisation des entreprises de valorisation des produits de la mer dans le cadre du plan Halieutis.
Par ailleurs, une ligne de crédit a été dévolue pour l’acquisition de biens et services français à des PME marocaines de moins de 25 millions d’euros de chiffre d’affaires. Or, a regretté Brice Robin, chef du service Équipement agricole et agroalimentaire chez Business France, elle est « sous-utilisée ».
« Les banques recherchent aussi des projets à structurer », soulignait Nagib Eld, directeur Finance export sur l’Asie, le Moyen-Orient et la Turquie à la Société Générale. « En Algérie, malgré la situation politique actuelle, vous travaillez avec des sociétés d’État et vous serez toujours payé », a rapporté Marc Compagnon, président de la Société pour Le développement industriel et commercial à l’exportation (Dicomex).
Autre solution : demander à être payé à 100 % dès la commande. Enfin, Brice Robin relevait que « dans le secteur laitier en Tunisie on trouve des micro financements du groupe Danone qui appuie les agriculteurs qui le fournissent ».
Pour Vincent Reina, l’alimentation, « c’est l’Acte 1 du développement économique, même si ça ne suffit pas ». Le président de la CCFA faisait ainsi allusion « aux périodes de transition ouvertes par de futures élections en Algérie et en Tunisie ». La stabilité politique et sociale est aussi fondamentale. A suivre.
François Pargny