La grosse crise monétaire d’août 2018 est loin mais les monnaies de quatre pays émergents restent exposées à un risque élevé de dévaluation cette année, selon une récente note d’analyse de l’Institut de recherche britannique Oxford Economics : la livre turque (TRY), le peso argentin (ARS) et, dans une moindre mesure, l’hryvnia ukrainien (UAH) et le rand sud-africain (ZAR), restent sous pression après avoir été malmenés l’an dernier.
D’après une échelle de probabilité de survenance d’une crise monétaire allant de 1 à 10, de la moindre à la plus élevée, le peso argentin obtient 8,2, la livre turque 7,6. Selon Oxford Economics, les deux ont 71 % de chance d’avoir une nouvelle crise de change dans les trois années qui viennent, le score tombant à 37 % dans l’année qui vient. L’hryvnia ukrainien pour sa part obtient 6,7, ce qui lui donne 47 % de chance de vivre une crise dans les trois ans et 18 % dans l’année qui vient. Enfin, le rand obtient 5,1 ce qui lui donne 43 % de chance de connaître une crise dans les trois ans, et 14 % dans l’année.
L’Argentine peine à endiguer la crise
L’Argentine, pour sa part, peine à endiguer la crise économique et financière qui l’a frappé en 2018 (chute de 50 % du peso face au dollar, inflation galopante) malgré le contrôle des prix et la forte hausse des taux d’intérêt, qui a eu pour corollaire de brider l’économie, et l’intervention du FMI. Les interventions récentes de la Banque centrale pour défendre le peso et le contrôle des prix « prépare chacun la voie à une nouvelle crise monétaire », estime Oxford Economics. A l’heure actuelle, le taux de change USD / ARS est à environ 45 au lieu de 22 en mai 2018.
La Turquie, dont la monnaie avait plongé de 28 % face au dollar durant l’été 2018 (1 USD = 7 TRY au pic de la crise en août) avant de se redresser (1 USD =6 TRY actuellement), reste sanctionnée, selon Oxford Economics, pour ne pas avoir suffisamment ajusté ses comptes, le gouvernement étant peu enclin à brider la croissance tandis que la crédibilité de la Banque centrale est mise en doute et que les pertes sur ses réserves de change sont dans l’opacité. Pas de quoi rétablir la confiance des milieux d’affaires locaux et étrangers.
L’Ukraine dans l’attente des élections d’octobre
La monnaie ukrainienne avait mieux résisté que beaucoup d’autres monnaies des pays émergents lors de la crise d’août 2018, perdant 3,8 % de sa valeur seulement (6,5 % pour la moyenne des monnaies des pays émergents), mais elle ne doit cette performance qu’à l’intervention massive de sa Banque centrale , qui a dépensé 10 % de ses réserves de change (1,8 milliards USD pour 2018) pour soutenir sa monnaie avant le versement par le FMI d’une dernière tranche de prêt dans le cadre de son programme d’aide en novembre 2018.
Pour Oxford Economics, si le programme en cours du FMI et des entrées importantes de capitaux rassurent les milieux d’affaires, tout pourrait être remis en cause si le nouveau gouvernement ukrainien qui sortira des urnes en octobre 2019 ne parvient pas à maintenir cette confiance.
Enfin, le rand en Afrique du Sud est plombé par une économie sud-africaine structurellement en panne de croissance faute de compétitivité et de réformes mettant fin à certaines rigidités, ce qui explique en partie qu’elle n’a pas connu non plus de problème de balance des paiements depuis 5 ans. Incapable de faire décoller sa croissance, le pays peine tout autant à réduire son double déficit (dépenses publiques et balance des paiements) qui avoisine les 4 % de son PIB. Alors que les élections générales du 8 mai ne devraient pas entraîner de rupture dans cette situation, « le ZAR restera une des monnaies des pays émergents les plus vulnérables », estime Oxford Economics.
Dans sa note, l’Institut de recherche britannique passe en revu une quinzaine d’autres devises dont les score sont en dessous de la zone de risque très élevé. En l’occurrence, les plus solides se situent en Europe de l’Est (République tchèque, Pologne et Hongrie, malgré le poids de la dette extérieure) et en Asie (Malaisie, Thaïlande, Inde, Philippines)*.
Christine Gilguy
*Oxford Analitics, Research Briefing, Navigating the next EM currency crisis. Cette note en anglais est dans le fichier attaché à cet article.