Alors que l’économie repart et que le climat d’affaires donne des signes d’amélioration en Russie, l’arrestation à Moscou des principaux acteurs du très respecté fond d’investissement Baring Vostok risque de refroidir les entrepreneurs internationaux.
Depuis le 15 février, l’Américain Michael Calvey, le Français Philippe Delpal et les Russes Vagan Abgaryan et Ivan Ziouzine sont détenus. Motif officiel : une fraude d’environ 33 millions d’euros à l’encontre de la banque Vostochny Express leur est reprochée, dans le cadre d’un litige entre Baring Vostok et d’autres actionnaires de la banque Vostochny Express sur la recapitalisation de cette dernière.
Cette arrestation a provoqué la stupéfaction dans la communauté d’affaires, russe et internationale. Dès le 18 février, la très discrète Chambre de commerce et d’industrie franco-russe (CCI France Russie) a demandé dans un communiqué « un traitement équitable pour les collaborateurs de l’un de ses adhérents, la société Baring Vostok Capital Partners ».
Le même jour, dans un communiqué commun, CCI France Russie, la Chambre de commerce germano-russe (AHK), la Chambre de commerce finno-russe (SVKK) et l’Association des entreprises européennes (AEB) ont apporté leur soutien aux responsables de Baring Vostok.
Baring Vostok, une réputation sans faille
Il est vrai que Baring Vostok n’est pas n’importe quel fonds. Jouissant d’une réputation sans faille, et en dépit des contentieux entre Occidentaux et Russes – tensions géopolitiques (Ukraine, Crimée…), sanctions occidentales et contre sanctions russes…-, le fonds a continué à attirer des capitaux en Russie. Ce serait ainsi trois milliards de dollars qui y seraient entrés depuis la création de Baring Vostok par son fondateur et directeur Michael Calvey, il y a 25 ans.
Cette affaire tombe mal pour la Russie qui a annoncé un grand plan de 340 milliards de dollars pour atteindre ses objectifs économiques. Après une croissance de 0,3 % en 2016 et 1,6 % en 2017, Rosstat vient d’annoncer un taux de 2,3 % en 2018. Mais à peine repartie, l’activité pourrait en souffrir.
Elle tombe d’autant plus mal, que la Russie était parvenue depuis plusieurs années à améliorer son classement dans le rapport Doing Business de la Banque mondiale. Après une 35e place décrochée en 2018, la Russi à progressé à la 31e en 2019, avec des scores flatteurs en matière de raccordement à l’électricité et de transfert de propriété (12e rang), d’exécution des contrats (18e) ou d’obtention des prêts (22e). Son président Vladimir Poutine s’était félicité à cette occasion que les investisseurs puissent maintenant « réaliser un plan de développement à long terme ».
Inquiétudes dans les milieux d’affaires français
L’affaire Baring risque de plomber la confiance, d’autant que chacun peut craindre de se retrouver au banc des accusés. Pour les milieux d’affaires français, qui essayent de maintenir des liens en dépit du climat international tendu, elle survient aussi après l’affaire de la fermeture du bureau moscovite de Business France et alors que cette dernière se prépare à lancer des appels d’offres pour confier à d’autres acteurs privés certains des services publics d’accompagnement des entreprises qu’elle assurait jusque là.
Comme Michael Calvey, le Français Philippe Delpal est un banquier respecté de 47 ans, passé par la Société Générale et la BNP. Il a ainsi piloté le développement de Rusfinans Bank de 2004 à 2006, fondé Cetelem Russia et présidé BNP Paribas Vostok entre 2007 et 2010. Autant dire que c’est une figure de l’écosystème du business français en Russie.
IDE, échanges : la Russie a besoin des Occidentaux
La Russie a, pourtant, bien besoin de redynamiser les investissements directs étrangers (IDE) en baisse depuis deux ans. Les flux d’investissement nets entrants sont tombés de 32,5 milliards de dollars en 2016 à 28,7 milliards un an plus tard, et ils auraient encore diminué de 44 % à 10,2 milliards au premier semestre 2018.
Or, dans ses échanges mondiaux, l’ancien pays des tsars ne peut se passer de l’Occident. Les États-Unis, en particulier, étaient l’an dernier son troisième fournisseur de biens, avec un montant de 10,63 milliards d’euros, derrière la Chine (44,33 milliards) et l’Allemagne (21,62 milliards).
D’après la base de données sur le commerce extérieur GTA (groupe IHS Markit), la France occupait la 6e place des fournisseurs de la Russie, avec 8,1 milliards d’euros, devancée par la Biélorussie (9,87 milliards) et l’Italie (9 milliards).
Investissement : la France dans le Top 3
En matière d’investissements, d’après le Service économique régional à Moscou, la France était numéro trois en stock fin 2017, avec 15,5 milliards dollars, après le Royaume-Uni (19,6 milliards) et l’Allemagne (18,8 milliards). Au premier trimestre 2018, selon la Banque centrale russe, le podium n’aurait pas varié, avec un stock de 16,6 milliards de dollars pour la France, qui serait aussi numéro deux en flux avec 513 millions de dollars, derrière le Royaume-Uni.
Dans leur communiqué conjoint, AEB, AHK, SVKK et CCI France Russie ont souligné que « la détention de la direction de Baring Vostok a provoqué une onde de choc dans le monde des affaires du pays et pourrait nuire gravement au climat des affaires et à l’attractivité de la Russie en matière d’investissement direct à l’étranger ». Un risque que Moscou ne peut négliger.
François Pargny