Depuis le 22 juin, une série de produits agricoles et industriels américains, importés en Europe, subissent des droits de douane additionnels de 25 %. Il s’agit là d’une première salve de contre-mesures, orchestrée par la Commission européenne à Bruxelles, en réponse aux taxes américaines sur l’acier et l’aluminium. Mais face à un président américain imprévisible et vu les risques de division au sein de l’UE, cette contre-attaque sera-t-elle efficace ou risque-t-elle d’envenimer le conflit et provoquer, in fine, une guerre commerciale entre les deux alliés d’hier ? Voici les éclairages de Charles de Marcilly, directeur du bureau de la Fondation Robert Schuman à Bruxelles.
Le Moci : Les produits américains figurant sur la liste préparée par la Commission européenne ont été minutieusement choisi pour ‘taper là ou ça fait mal’, selon l’expression employée par Jean-Claude Juncker. Pensez-vous que cette première série de contre-mesures seront suffisantes pour faire reculer Donald Trump ?
Charles de Marcilly : Le message envoyé à l’administration américaine est plus politique qu’économique. Prenez les Harley Davidson par exemple, un des produits figurant sur la liste. Celles-ci sont construites dans le Wisconsin qui est le siège de Paul Ryan, l’une des figures de la politique américaine (Ndlr : membre du parti républicain il est le président de la chambre des représentants depuis 2015). Concrètement, il s’agit donc de faire réagir les électeurs vis à vis de leurs élus. C’est clairement un message politique.
Idem du côté de Donald Trump. Il s’était engagé, lors de sa campagne, à mener cette bagarre avec les Européens, avec les Chinois. Et quelles que soient les conséquences, il aura toujours la possibilité de s’adresser directement à ses électeurs en soulignant ‘je fais ce que j’ai dit’. La riposte de la Commission est plutôt mesurée à ce stade et elle n’est à ce jour pas au niveau de ce qui a été imposé par les Américains. La balance est donc un peu déséquilibrée, preuve que notre volonté n’est pas réellement de faire mal mais plutôt d’envoyer des signaux politiques et de montrer, qu’au final, une guerre commerciale ne fait que des perdants.
Riposte au surtaxes de G W Bush : « Ça avait en effet fonctionné parce qu’il y avait une administration derrière… »
Le Moci : lorsque que Georges W Bush a imposé, en 2002, des surtaxes allant de 8% à 30% pour dix catégories de produits importés, l’UE avait mis en place une riposte similaire. Outre la plainte déposée à l’OMC, une série de produis américains avaient eux aussi été taxés en guise de rétorsion. La stratégie avait fonctionné, obligeant le président américain à battre en retraite un an plus tard. La situation est-elle comparable à celle d’aujourd’hui ?
Charles de Marcilly : Ça avait en effet fonctionné parce qu’il y avait une administration derrière qui avait réagi. Il y avait un corps politique américain qui avait réagi, qui avait compris. Mais contrairement à Georges Bush, Donald Trump se positionne en dehors du système et de ses règles du jeu. Il est imprévisible et incontrôlable. Il agit seul, sans l’aval de son administration, sans le suivi de son parti politique. Il a le sentiment qu’il ne doit répondre qu’à ses électeurs et notamment à celui qui visse les boulons au fin fond du Wisconsin. C’est à lui qu’il s’adresse et pas à Jean-Claude Juncker, ni à son opposition nationale, ou au reste du monde. Donc quand il provoque la bagarre au nom de la sécurité nationale, c’est un message qui est très populiste et en même temps très populaire.
Le Moci : L’UE a jusqu’ici parlé d’une seule voix mais le ton est bien plus offensif à Paris qu’à Berlin. En cas de guerre commerciale, les Allemands seraient les grands perdants ?
Charles de Marcilly : Oui du fait de leur exposition et de la balance commerciale allemande qui est aujourd’hui largement excédentaire. C’est d’ailleurs le principal atout de l’Allemagne mais c’est aussi sa principale faiblesse face à des leaders tels que Donald Trump. Les Français sont un peu moins exposés et au sein de l’UE, il existe dès lors une sorte de déséquilibre poussant les uns à être plus offensifs, à montrer leurs muscles alors que ceux qui ont le plus à perdre font davantage preuve de prudence, voire de frilosité.
D. Trump « préférerait largement négocier un accord commercial avec les Allemands »
Le Moci : Ces différences ne risquent-elles pas d’être instrumentalisées par Donald Trump pour provoquer des divisions au sein du bloc?
Charles de Marcilly : Contrairement à la défense, à la sécurité, qui restent des compétences nationales, les questions commerciales relèvent de la responsabilité et de l’autorité de l’UE. La politique commerciale est une compétence exclusive de l’UE. Et grâce à ça, la Commission est beaucoup plus forte. Et d’ailleurs Donald Trump s’en est plaint à maintes reprises. Il préférerait largement négocier un accord commercial avec les Allemands que négocier avec tous les Européens parce que dans ce cas de figure, évidemment, le rapport de force ne joue plus autant en sa faveur.
Le Moci : Si Donald Trump mettait à exécution sa menace d’imposer des taxes supplémentaires aux automobiles européennes, l’UE aura-t-elle les moyens de riposter?
Charles de Marcilly : On a les moyens de faire mal. Est-ce qu’on a la volonté de le faire? Non, parce qu’il n’y pas de gagnants à l’issue d’une guerre commerciale. Prenez les taxes imposées aux Harley Davidson, par exemple. Elles auront un impact sur le fabriquant, aux Etats-Unis, mais aussi sur les réseaux de distribution, sur les réparateurs et bien sûr sur les consommateurs ici même en Europe. Et ce n’est bien sûr pas ce que l’on souhaite.
L’objectif des Européens est d’éviter une escalade dangereuse en se conformant aux règles du jeu. D’ou la multiplication des accords de libre-échange bilatéraux qui fixent des normes en l’absence d’un système multilatéral efficace. Donald Trump, au contraire, estime qu’il faut créer un rapport de force avant de revenir à la table des négociations afin de prendre la main pour définir lui même les termes de l’échange, les termes du débat.
Propos recueillis par Kattalin Landaburu, à Bruxelles
Pour prolonger :
–Etats-Unis / Commerce : la liste à la Prévert des produits de la riposte aux taxes américaines
–Commerce mondial : Chine, UE, Canada, Mexique, Inde, Japon, Russie prêts à riposter à D….
–UE / Commerce : mode d’emploi de la riposte tarifaire sur les produits américains