La Cnuced a dédié une large partie de son rapport annuel sur le transport maritime mondial 2023 à la décarbonation et à son impact en termes de coût et de flux commerciaux. Face aux montants faramineux nécessaires à la transition vers des carburants propres et au développement d’infrastructures adaptées, l’organisme onusien craint de voir se dessiner un mouvement à deux vitesses, qui laisserait de côté les pays les plus fragiles. Il anticipe également une hausse des coûts de la logistique internationale.
Plus 20 % : c’est la hausse exponentielle des émissions de gaz à effet de serre (GES) de la marine marchande au cours des dix dernières années. Le secteur représente plus de 80 % des échanges commerciaux internationaux et 3 % des émissions mondiales de GES. Intitulé cette année « Towards a green and just transition », le rapport annuel de la Cnuced sur le transport maritime mondial plaide « en faveur d’une transition vers des carburants propres » et insiste sur la nécessité d’une « stratégie de transition efficace sur le plan environnemental, impartial sur le plan procédural, juste sur le plan social, inclusive sur le plan technologique et équitable sur le plan mondial ».
Mais il y a loin de la coupe aux lèvres.
Cette transition vers un fret maritime « bas carbone » va en effet requérir des investissements colossaux dans les années à venir. Pour la seule décarbonation des navires, le Cnuced évalue les besoins à entre 8 et 28 milliards de dollars (Md USD) par an jusqu’à 2050. A cet horizon, les navires ne devront plus émettre de GES selon les objectifs fixés dans ce domaine par l’Organisation maritime internationale (OMI). Abandonner le mazout lourd et opter pour des carburants alternatifs neutres en carbone suppose également d’investir dans les infrastructures portuaires adaptées.
En moins de trente ans, d’après les estimations de la Cnuced, il en coûterait chaque année entre 28 et 90 Md USD. Par ailleurs, les carburants alternatifs, s’ils sont vertueux sur le plan environnemental, coûtent plus cher que leur équivalent traditionnel. Les dépenses annuelles de carburant pourraient ainsi bondir de 70 % à 100 %. Une situation qui pourrait « affecter les petits États insulaires en développement (PEID) et les pays les moins avancés (PMA) qui dépendent fortement du transport maritime ».
Les coûts de transport appelés à augmenter de 1,5 %
Conséquence : les coûts de la logistique maritime sont inexorablement appelés à augmenter. Un coup dur pour de nombreux petits pays en développement qui paient déjà plus cher le transport maritime et qui disposent de peu de moyens pour atténuer cette hausse. A cet égard, le rapport rappelle une évaluation complète par la Cnuced en 2021 de l’impact des mesures de réduction des GES à court terme proposées par l’OMI (dites EEX). Résultat : l’augmentation des coûts serait de 2,5 Md USD (2,7 % dans le scénario médian, avec une augmentation du temps d’immobilisation des navires). Le coût moyen du transport maritime devrait augmenter de 1,5 % d’ici 2030.
Une évaluation plus récente de la Cnuced suggère que l’augmentation des coûts de la logistique maritime mondiale modifierait les flux commerciaux. Des augmentations hypothétiques de 10 %, 30 % et 50 % des coûts logistiques maritimes produiraient des baisses des échanges commerciaux ( de respectivement 0,11 %, 0,32 % et 0,60 %) et du PIB (-0,01 %, – 0,04 % et – 0,08 %). Sur la base d’un PIB mondial de 104 000 Md USD en 2022, une réduction de 0,08 % équivaudrait à une réduction du PIB mondial… d’environ 80 Md USD.
La transition vient juste de commencer…
Sophie Creusillet
*Le rapport de la CnucedTowards a green and just transition est accessible en ligne (en anglais) : cliquez ICI