La défense s’incruste comme nouveau sujet de friction entre l’Union européenne (UE) et les États-Unis, et commence aussi à diviser les Européens, ce qui n’est pas pour déplaire à Washington. Exemple récent : le Fonds européen de défense. Un petit retour en arrière s’impose.
« On ne protégera pas les Européens si on ne décide pas d’avoir une vraie armée européenne », avait déclaré Emmanuel Macron début novembre 2018, soulignant l’importance de protéger le vieux continent « à l’égard de la Chine, de la Russie et même des États-Unis ». Une prise de parole qui provoque la colère du Président américain. Dans un tweet rageur publié quelques jours plus tard, Donald Trump juge les propos « très insultants » et ajoute « peut-être que l’Europe devrait d’abord payer sa part à l’OTAN que les États-Unis subventionnent largement! ». Mais le contentieux est vite réglé. Du moins en apparence.
De passage à Paris pour les commémorations du 11 novembre 2018, le Président américain s’entretient avec son homologue français qui lui rappelle que l’autonomie stratégique voulue par les Européens vise notamment « à prendre davantage la part du fardeau commun au sein de l’OTAN ». La mine fermée, Donald Trump acquiesce en concluant, sans conviction, « Nous voulons une Europe forte ».
Freiner l’adoption du Fonds européen de défense
Mais le contentieux n’est pas réglé pour autant. Si, depuis, les Américains n’ont pas ouvertement critiqué le projet d’une défense européenne commune, ils se sont engagés dans un lobbying plus discret visant notamment à freiner l’adoption du Fonds européen de défense.
« Bien avertis du tempo européen, ils ciblent les différents acteurs de la négociation, espérant insérer différents amendements, retarder l’adoption, voire torpiller totalement l’initiative », relate le journaliste Nicolas Gros-Verheyde dans un article publié en février 2019 sur Bruxelles 2 (B2), un site Internet d’information consacré à l’« Europe politique » et à la défense.
La manœuvre échoue et le 18 avril, les eurodéputés adoptent le règlement qui prévoit la mise en place du Fonds, destiné à apporter un soutien financier aux projets de défense développés en commun au sein de l’UE. « Pourtant ce sont bien les attaques répétées de Donald Trump contre ses alliés qui ont permis à l’Europe de la défense d’avancer à une vitesse inespérée », rappelle Nicolas Gros-Verheyde.
Une mise en garde contre les critères d’attribution des marchés
Face à l’échec des négociations menées discrètement à Bruxelles et auprès de certains dirigeants européens, le Président américain décide donc de renouer avec la stratégie dont il est le plus coutumier, à savoir la manière forte.
Dans une lettre adressée le 1er mai 2019 à la Haute représentante européenne, Federica Mogherini, et rendu publique la semaine passée, Ellen Lord et Andrea Thomson, deux sous-secrétaires d’État chargés de la Défense, adressent une sérieuse mise en garde à l’UE accusée de développer ses projets de défense en tentant d’écarter les firmes américaines. En ligne de mire : les critères fixés par les Européens pour l’accès aux financements de leurs projets qui excluraient les firmes de pays tiers, à savoir essentiellement les États-Unis, dont l’industrie a remporté 81 % des contrats militaires en Europe ces dernières années.
Pour être éligibles, «les entreprises devront être basées dans l’Union européenne, avoir leurs infrastructures dans l’Union européenne et surtout, les prises de décisions ne pourront pas être contrôlées par une entité installée hors de l’Union européenne », confirme un responsable européen cité par l’AFP. « Mais rien n’empêche les États membres d’acheter américain», tempère cette même source.
Avec leurs menaces, les États-Unis cherchent à nouveau à semer les graines de la discorde au sein du bloc européen. Car l’autonomie stratégique voulue par les Européens n’est pas envisagée de la même façon à Stockholm ou à Paris. Pour un groupe de pays, mené par la France, elle doit nécessairement passer par des règles strictes qui conduisent à privilégier les firmes européennes. L’autre groupe, conduit par la Suède ou les Pays-Bas, préconise quant à lui une approche plus inclusive faisant valoir que l’Europe ne devrait pas exclure des alliés de longue date comme les États-Unis.
A suivre…
Kattalin Landaburu, à Bruxelles