Si les sanctions américaines sur l’Iran sont d’une actualité brûlante, celles qui frappent la Russie sont aussi un sujet de préoccupation croissant pour les entreprises et la complexité de la situation ne fait que croître. Décidées en 1994 en raison de l’annexion de la Crimée et l’intervention de la Russie dans l’est de l’Ukraine, les sanctions occidentales à l’encontre de la Russie ont peu de chance d’être levées à court terme et ont eu plutôt tendance à être renforcées. Il en est de même des contre sanctions prises à l’époque par Moscou par mesure de rétorsion. Un mode d’emploi s’impose.
S’agissant des Occidentaux, deux points essentiels doivent être relevés :
- Les sanctions américaines et européennes ne touchent pas tous les secteurs économiques, toutes les personnes morales opérant dans l’économie et le commerce extérieur et bien sûr toutes les personnes physiques. Du coup, l’impact global des sanctions occidentales comme de la riposte russe est limité. Preuve en est : les exportations de l’Hexagone en Russie n’ont cessé d’augmenter depuis plusieurs années *.
- Certaines sanctions sont sujettes à des interprétations. Il faut donc se montrer circonspect, notamment concernant des partenaires russes, et donc s’informer pour ne pas risquer d’être pénalisé.
UE : les sanctions économiques devraient être renouvelées
Les sanctions européennes, tout d’abord, sont de trois ordres : économiques, individuelles et spécifiques à la Crimée.
- Économiques (règlement UE 833/2014). Elles visent des secteurs :
- produits à double usage, civil et militaire (exemple, un laser)
- énergie (exemple, une technologie pour l’exploration en eau profonde)
- finance (interdiction d’un financement en euro à plus de 30 jours).
Les sanctions économiques sont en vigueur jusqu’au 31 janvier 2019. « Elles doivent être renouvelées tous les ans à l’unanimité des États membres. Et à ce jour, on ne voit pas de raison pour qu’elles ne le soient pas », confiait Charles-Henri Roy, avocat associé du cabinet Hérès, lors d’un atelier sur l’implantation en Russie, qu’organisait la CCI France-Russie, à l’ambassade de Russie à Paris, le 3 octobre.
- Individuelles (règlements UE 208/2014 et 269/2014). Sont concernées 155 personnes physiques et 44 morales. « Ce sont les plus difficiles à interpréter », selon l’avocat français, qui citait ainsi cette phrase du règlement européen : il est interdit de « mettre à disposition des fonds ou ressources économiques » à ces personnes. Or, il n’est pas facile de savoir « qui est vraiment derrière une entreprise russe ». Ces sanctions sont en vigueur jusqu’au 15 mars 2019.
- Crimée (règlement UE 692/2014). « Les restrictions décidées pour sanctionner l’annexion illégale de la Crimée et de Sébastopol par la Russie ont été prolongées jusqu’au 23 juin 2019 », précisait le Conseil européen, le 18 juin. Commerce, investissement, activité touristique, acquisition de biens immobiliers ou financement de sociétés sur place sont strictement prohibés.
États-Unis : les sanctions pourraient être renforcées fin novembre
Les sanctions américaines sont, pour leur part, de deux ordres :
- Économiques. Certains secteurs sont identifiés, les Sector Sanctions Indentifications (SSI) : finance, énergie, ferroviaire. Tout financement en dollar au-delà de 14 jours est prohibé.
- Individuelles. Certaines personnes morales et physiques ou Specialy Designated Nationals (SDN) sont ainsi désignées. Le 6 avril, les autorités américaines ont élargi la liste des personnes visées, avec notamment plusieurs oligarques, dont Oleg Deripaska et Viktor Vekselberg et des entreprises qu’ils possèdent ou contrôlent (EN+, Rusal, Renova Group…). Sont aussi ciblés des hauts fonctionnaires et la compagnie publique Rosoboronexport, le principal exportateur russe d’armements.
Toutefois, compte du poids que représente Rusal dans la fourniture d’alumine et d’aluminium en Europe, Washington a accepté de décaler l’application de la mesure à ce groupe à novembre 2019.
En revanche, suite à l’assassinat présumé de l’espion russe Sergueï Skripal et de sa fille Ioulia à Londres en mars 2018, les Américains ont durci leurs sanctions, avec l’interdiction d’exportation de certains produits technologiques, comme des appareils ou de l’équipement électroniques (hors coopération spatiale), de la vente d’armes et des aides étrangères à la Russie.
Une deuxième salve pourrait être décidée par Washington le 27 novembre, soit trois semaines après les Mid Terms outre-Atlantique, le 6 novembre, « ce qui inquiète beaucoup à Moscou », affirmait Charles-Henri Roy. En effet, les États-Unis ont donné à la Russie 90 jours pour déclarer qu’elle n’utilise plus d’armes chimiques ou biologiques, n’en fera pas usage dans l’avenir et autorisera des inspections pour s’assurer de leur élimination. En cas de refus, ils seraient prêts à interdire les aéroports américains aux compagnies aériennes russes, voire suspendre les relations diplomatiques avec la Russie.
Russie : l’épée de Damoclès de l’extraterritorialité
Il y a une grande différence entre les sanctions européennes et américaines. « Les premières s’appliquent aux ressortissants de l’UE, tandis que les secondes s’appliquent même si les États-Unis ne sont pas touchés directement », précisait Charles-Henri Roy. C’est ainsi que, le 21 septembre, un organisme chinois qui supervise les technologies militaires, ainsi que son directeur, Li Shangfu, ont été ajoutés à la liste des SDN. L’opération leur étant reprochée étant l’acquisition auprès de Rosoboronexport de dix chasseurs russes Soukhoï-35 en 2017 et de missiles sol-air russes S-400 en 2018.
Enfin, les sanctions russes possèdent, quant à elles, deux particularités :
- Elles sont sectorielles. En l’occurrence, sont interdits les importations de fruits et légumes, de fromage, de viande et de poisson. Mais pas de vin. D’ailleurs, la France a continué à écouler ce produit, puisque ses exportations de boissons ont gagné 5,62 % entre janvier-juillet 2018 et la période correspondante de 2017 pour atteindre 44,5 millions d’euros. Au demeurant, sanctions occidentales + contre-sanctions russes ont amené les acteurs locaux à accroître leurs productions, y compris des Français comme Bonduelle et Danone. On peut aussi citer l’histoire de Vendéen de 60 ans, Frédéric Piston d’Eaubonne, qui a développé sur place une production de fromages français.
- Elles ont un caractère d’extraterritorialité. Ce qui signifie que les Russes pourraient sanctionner des entreprises étrangères se soumettant aux règles édictées par les Européens et les Américains pour éviter leurs sanctions. « C’est redoutable, une véritable épée de Damoclès sur les sociétés françaises, même si cette mesure n’est pas à ce stade appliquée », reconnaissait Charles-Henri Roy. Reste qu’un simple règlement russe suffirait. Et alors les entreprises étrangères pourraient se retrouver coincées entre mesures occidentales et russes.
A ce jour, force est de constater que les grandes entreprises n’ont pas renoncé au débouché russe, loin s’en faut. Des groupes comme Saint-Gobain ou L’Air Liquide continuent à investir. Selon Nicolas Ducret, directeur général adjoint de la CCI France Russie, Auchan serait le premier employeur étranger en Russie, avec 60 000 personnes, la France possèderait sur place 1 200 entreprises et y serait le deuxième investisseur international, après l’Allemagne,.
Où le bat blesse, c’est que cette forte présence de l’Hexagone est surtout le fait des grandes entreprises : 37 sociétés du Cac 40 seraient implantées en Russie. Reste à persuader les PME françaises, reconnaissait Nicolas Ducret. Elles demeurent encore frileuses, malgré les opportunités d’affaires dans les hydrocarbures ou l’agroalimentaire, et les besoins de modernisation de l’économie russe.
François Pargny
* D’après les Douanes françaises, sur les huit premiers mois de 2016, 2017 et 2018, les exportations tricolores ont progressé de 2,72 milliards d’euros à 3,05 milliards puis à 3,29 milliards, ce qui fait de la Russie le 14e débouché extérieur de la France.
Si la progression des exportations françaises entre janvier et juillet 2018 était faible par rapport à la période précédente, il convient, néanmoins, de noter que ce résultat a été obtenu alors que le poste « Navigation aérienne et spatiale », deuxième secteur d’exportation de la France en Russie derrière la mécanique, a affiché un recul de 4,89 %. A l’inverse, l’automobile a accéléré et, dans son sillage, la pharmacie et la parfumerie.