Le secteur du transport est le premier poste d’échange de biens (38 %) et de services entre la France et le Royaume-Uni : déjà impacté par les incertitudes du Brexit, il subit à présent l’impact négatif de la crise sanitaire inédite du Covid-19. Un double choc !
C’est ce que révèle la première étude sectorielle publiée aujourd’hui par le Cross-Channel Institute (C-CI), le think tank de la Franco-British Chamber (FBC), dont Le Moci a eu la primeur.
Réalisée avec le concours du Department for International Trade de l’ambassade du Royaume-Uni en France et du cabinet Price Water House, cette étude livre une analyse statistique de l’évolution des échanges bilatéraux sur 10 ans et les premiers effets du Covid-19, tout en donnant plusieurs témoignages concrets d’entreprises du secteur.
Le Brexit a inversé des tendances historiques
Côté chiffres, les échanges de biens du secteur transports (aéronautique, automobile, mécanique, électronique…) se portaient plutôt bien jusqu’à l’arrivée du Covid-19, malgré les incertitudes du Brexit : ils ont atteint 24 milliards d’euros (Md EUR) en 2019, dont 11,7 Md EUR d’exportations et 12,3 Md EUR d’importations françaises, en hausse de 10 %.
Les principaux changements de fonds constatés concernent l’inversion de certaines tendances historiques comme l’apparition d’un déficit bilatéral en défaveur de la France et le recul des voyages.
Le déficit commercial bilatéral dans ce secteur, longtemps en faveur de la France, s’est inversé au profit du Royaume-Uni après le vote du Brexit, en 2016, mais il se résorbait depuis 2018 grâce à une forte progression des exportations tricolores : d’un pic de -2 Md EUR d’euros en 2017, il avait été ramené à -0,6 Md EUR l’an dernier. Peut-être « un effet stockage des entreprises britanniques avant la mise en œuvre du Brexit », commente l’étude du CCI.
Dans le détail, en 2019, le premier produit d’échange est l’aéronautique et le naval (7,2 Md EUR), avec un déficit bilatéral en faveur des Britanniques de -1,8 Md EUR, suivi des équipements mécaniques (6,5 Md, -0,9 EUR) et électroniques (4,1 Md, -à,3 Md EUR). La France est excédentaire dans les véhicules utilitaires (3,7 Md EUR, +1,9 Md EUR) et les véhicules particuliers (2,5 Md EUR, + 0,5 Md EUR).
Quant aux échanges de services de transports, moins importants que ceux de biens, ils ont connu un certain recul après le vote du Brexit, passant sous la barre des 6 Md EUR dès 2018 après avoir connu une progression constante depuis 2009, avec un pic à 7,5 Md EUR en 2015.
Les exportations françaises de services de transport ont atteint 3,1 Md EUR et les importations 2,6 Md EUR en 2019, soit un total de 5,7 Md EUR. Ce recul pourrait s’expliquer, selon l’étude, par la baisse de 9 % du nombre de voyageurs français vers le Royaume-Unis entre 2016 et 2018.
Le Covid-19 touche de plein fouet le secteur
Alors que la mise en œuvre effective du Brexit le 31 janvier a ouvert une période de transition courte – jusqu’au 31 décembre 2020- durant laquelle doit se négocier la relation future entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, l’arrivée de la pandémie de Covid-19 et les mesures de confinement et de restriction aux frontières ont tout bousculé. D’autant plus que le Royaume-Uni est entré plus tardivement que la France dans cette phase.
« L’ensemble des échanges qui, jusqu’à mi-mars 2020, connaissait des évolutions positives (…) ont subi de plein fouet la crise du Covid-19 et les mesures sanitaires drastiques prises par les gouvernements des deux pays (avec des intensités diverses) » souligne le C-CI. « Toutes les activités de transport (biens et services) ont été brutalement interrompues ou considérablement ralenties » ajoute-t-il.
Résultat : une chute vertigineuse de l’activité. En France, un effondrement de -72 % dans la fabrication de matériels de transport et de -63 % dans les services de transport et d’entreposage a été enregistré par l’Insee à fin mars. Au Royaume-Uni, « le taux de confiance des entreprises du secteur dans leur survie financière est systématiquement inférieur à celui des autres industries » constate le C-CI : elles ne sont que 36 % à être confiantes et 52 % ne savent pas.
Le Covid-19 préoccupe davantage que le Brexit
Dans ce contexte, difficile d’y voir clair dans l’avenir à court terme des échanges bilatéraux du secteur transport. S’ajoute à ce manque de visibilité une certaine incertitude sur les négociations post-Brexit. Le gouvernement britannique affirme en effet vouloir maintenir le calendrier des négociations et ne pas vouloir demander de prolongations (il a jusqu’au 30 juin pour le faire), malgré le retard pris et le contexte de crise, ce qui inquiète une partie des milieux d’affaires.
Certes, la frontière intelligente devant fluidifier le passage au frontière mise en place par les douanes est prête, les entreprises de transport et les opérateurs s’y sont préparés. De même, les échanges de marchandises ont été maintenus durant la pandémie, même au ralenti. Mais le manque de visibilité est criant.
L’étude du C-CI n’aborde pas ce sujet mais donne quelques témoignages qui éclairent la réflexion. Une certitude : le Covid-19 a surpassé le Brexit comme source de préoccupation des entreprises du secteur. Quelques exemples.
Dans l’aéronautique, les membres de la FBC parlent de « crise la plus grave » de l’histoire de ce secteur, avec la perspective de voir disparaître la moitié des compagnies aériennes en juin 2020. Michel Dubarry, président Europe, Afrique et Moyen-Orient du groupe Rolls-Royce, fournisseur de moteurs notamment pour les gros porteurs d’Airbus (A 350 et A 330), préfère sans doute se projeter dans le moyen terme. Il estime que « certaines livraisons risquent d’être retardées et peut être annulées, mais nous sommes positionnés sur des avions d’un niveau technologique garantissant un moindre niveau d’émissions et considérés parmi les meilleurs du marché ».
Dans le transport routier, 84 % des entreprises sont à l’arrêt total ou partiel, selon la FNTR, avec une perte de 75 % de chiffre d’affaires pour un quart des entreprises. Le secteur routier appelle à une prolongation des négociations du Brexit. Loïc Chavaroche, directeur Organisation Europe d’ATS, qui a mis en place un plan de continuité de l’activité dès le 1er mars et dont les cargaisons ont basculé dans les équipements médicaux, veut voir dans le Brexit une opportunité de diversification. « Notre objectif est une augmentation des flux de transport sur le Royaume-Uni de 40 % ».
Christine Gilguy