« Compliance & anticorruption : où en sont vraiment les entreprises en France ? », c’est à cette question que répond l’enquête sur l’état de la conformité aux normes anticorruption des entreprises hexagonales en 2020, publiée le 30 janvier et réalisée par l’Association française des juristes d’entreprise (AFJE) et la plateforme française d’alertes éthiques dédiée aux entreprises, ethicorp.org.
La conformité – traduction française de compliance– est désormais au cœur de la vie des entreprises parce qu’elle est notamment un outil de prévention des risques, notamment de sanctions. Pourtant, l’enquête, publiée par les Editions Législatives, révèle que trois ans après la promulgation de la loi Sapin 2*, le 9 décembre 2016, la mise en œuvre des dispositifs anticorruption par les entreprises en France n’est pas pleinement achevée.
Réalisée auprès de 7 500 juristes exerçant dans 1 500 entreprises de toute taille (filiales ou non d’un groupe) implantées en France, l’enquête montre que si les sociétés connaissent leurs obligations de conformité (mise en place d’une cartographie des risques, d’un code de conduite, d’un dispositif d’alerte…), elles n’ont pas encore pu les mettre intégralement en œuvre faute de temps ou de ressources humaines. C’est d’ailleurs un enseignement fort de l’enquête.
Voici ce qu’il faut retenir.
Les directions juridiques, piliers de la conformité en entreprise
Pour commencer, l’enquête révèle que les juristes sont très majoritairement impliqués dans la conception et le suivi des outils de conformité au sein des entreprises. Ainsi, dans 67,03 % des cas, c’est la direction juridique qui est en charge de la compliance. Dans 54,39 % des cas, cette thématique est confiée à une direction compliance ou un responsable compliance.
Ensuite, en ce qui concerne le profil des entreprises pour lesquelles travaillent les juristes auditionnés, la grande majorité (87,5 %) sont françaises et 12,5 % européennes. Qu’elles soient indépendantes ou filiales d’un groupe, elles sont « très majoritairement actives à l’international », a exposé William Feugère, avocat spécialiste compliance au sein du cabinet parisien éponyme Feugère Avocats, qui a commenté les résultats de l’enquête.
Ainsi, 60,79 % des sociétés n’appartenant pas à un groupe ont des clients ou des fournisseurs en France mais également dans l’Union européenne (UE) et hors UE, au grand export, tandis que 15,91 % exercent leur activité au niveau national et européen et 23,3 % « uniquement en France ».
S’agissant des entreprises qui appartiennent à un groupe, 92,66 % d’entre elles exercent leur activité en France, dans l’UE et hors UE et 3,95 % ont des clients ou fournisseurs en France et dans l’UE tandis que 3,39 % sont actives uniquement en France.
La majorité des entreprises sont dotées de dispositifs de compliance…
L’enquête confirme que les entreprises sont très majoritairement dotées de dispositifs de compliance. Ainsi, à la question : « Votre entreprise a-t-elle mis en place un dispositif de compliance ? », 86,83 % des juristes auditionnés ont répondu « oui ». Reste encore à analyser la nature des dispositifs.
Quant aux entreprises n’ayant aucun dispositif (9,58 %), elles sont principalement les plus petites, sous les seuils légaux de l’article 17 de la loi Sapin 2**.
Enfin, 3,59 % des juristes interrogés ne savent pas si un dispositif de compliance a été établi au sein de leur entreprise.
… mais seuls 33,73 % estiment que leur entreprise est en « pleine conformité »
Les entreprises ont certes, en majorité, établi un dispositif de compliance mais dans la réalité, seuls 33,73 % des juristes estiment que leur entreprise est à jour de ses obligations au regard de la loi Sapin 2. C’est peu, alors que la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique est entrée en vigueur il y a plus de trois ans.
La majorité des juristes (58,43 %) considèrent que leur entreprise est « partiellement » à jour vis-à-vis des obligations de la loi Sapin 2. Reste que 4,22 % des répondants « ne savent pas » si leur entreprise est à jour de ses obligations au regard de la loi Sapin 2 tandis que 3,62 % affirment qu’elle ne l’est pas.
S’agissant des entreprises ayant mis en place des dispositifs de conformité précis, 53,29 % ont établi une cartographie des risques anticorruption. Parmi ces dernières, 67,27 % ont mis en place une cartographie dédiée spécifiquement au risque de corruption et 31,82 % une cartographie générale sur les risques, avec une extension anticorruption. Concrètement, 73,83 % des juristes utilisent la cartographie des risques de leur entreprise pour évaluer les risques liés aux fournisseurs et 64,49 % aux clients.
Prévenir les risques, protéger l’image de l’entreprise et éviter des poursuites ou contentieux
La prévention des risques de manquement ou d’infraction est la principale attente des entreprises qui installent un système de compliance. Elle est citée par 97,24 % des répondants. Vient ensuite sur la deuxième marche du podium, « protéger ou renforcer l’image de l’entreprise » (84,83 %) et sur la troisième marche « éviter des risques ou contentieux », une attente citée par 79,31 % des juristes auditionnés.
En conclusion, « c’est du précontentieux, qu’on ne se trompe pas, la loi Sapin 2, ce n’est pas une loi de prévention », a prévenu William Feugère. En outre, la mise en place d’un dispositif de conformité permet d’anticiper le litige. « C’est surtout, si c’est bien fait, un formidable outil de croissance », a-t-il renchéri. Car, si la compliance est imposée par la loi, elle a pour objectif de prévenir les risques et ainsi d’être un vecteur d’opportunités au service de la croissance des entreprises.
Si la démarche de compliance est désormais très majoritairement engagée dans les entreprises, comme le révèle l’enquête, le chemin à parcourir est encore long dans l’application totale des obligations imposées par la loi Sapin 2. Le rôle des juristes en matière de compliance se révèle donc plus que jamais essentiel.
Venice Affre
*L’article 17 de la loi Sapin 2 du 9 décembre 2016 impose la mise en œuvre d’un dispositif complet et cohérent de compliance comprenant cartographie des risques, code de conduite, dispositif d’alerte (sur les manquements au code de conduite), procédure d’évaluation des tiers, procédures comptables, formations, etc.
**Ces obligations sont à la charge personnelle des dirigeants de sociétés avec un effectif d’au moins 500 salariés et 100 millions d’euros de chiffre d’affaires, ou appartenant à un groupe (dont la société mère a son siège social en France) ayant lui-même un effectif d’au moins 500 salariés et un chiffre d’affaires consolidé supérieur.
Pour en savoir plus :
Consultez l’enquête « Compliance & anticorruption : où en sont les entreprises en France ? » en fichier PDF joint ci-dessous