Le séminaire international* organisé le 16 novembre par la France, en coordination avec la Commission européenne, sur le thème de la réforme de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), autour de la question : « Une OMC adaptée au XXIème siècle – Que devons nous changer ? » n’avait pas vocation à faire émerger des solutions nouvelles mais il a permis de prendre la mesure de l’ampleur de la tâche.
Un seul exemple, sur les subventions d’État « distorsives », qui était le sujet de la première table ronde et pour laquelle la Chine est la cible principale des États-Unis, mais aussi de l’Union européenne et du Japon. Celles-ci ont en effet provoqué des surcapacités mondiales dans divers secteurs, dont en premier lieu la sidérurgie et les semi-conducteurs, auxquelles Donald Trump s’est attaqué brutalement en instaurant des droits de douane (25 % sur l’acier, 10 % sur l’aluminium) sur ces produits de façon unilatérale, au risque de se fâcher avec ses alliés traditionnels.
La Chine épinglée, mais pas seulement…
Un exposé très étayé, s’inspirant de travaux japonais, sur l’évolution concomitante des fonds publics injectés dans ces activités par les organismes d’État chinois –investissements en capital, prêts à faible taux d’intérêt- et l’augmentation de la production chinoise entre 2001 et 2016 dans la sidérurgie et les semi-conducteurs, a été livré en préambule de la table ronde par un officiel japonais.
Il tendait à démontrer que ces fonds d’État ont continué à être injectés malgré la baisse de la rentabilité des actifs (entre 20 et 70 % des entreprises sidérurgiques chinoises ont enregistré des pertes durant ces périodes) : une preuve du soutien des pouvoir publics chinois à des industries non rentables, au risque de générer des surcapacités. Il a d’ailleurs provoqué l’ire d’un officiel chinois dans l’assistance qui s’est interrogé sur l’origine de ces chiffres.
Un autre aspect du problème soulevé par ce même exposé est le manque de transparence de nombreux États dans ce domaine, et pas seulement de la Chine. Seulement 68 membres sur 164 ont, conformément aux règles de l’OMC, notifié des subventions d’État à l’OMC en 2017… Enfin, les transferts de technologie forcés, quoique mal définis, sont dénoncés régulièrement par les entreprises occidentales : 20 % des répondants disent en avoir été victimes selon la dernière enquête de la Chambre de commerce européenne en Chine, citée dans l’exposé, et le G7 l’a inscrit dans son communiqué final de sa dernière réunion au Canada.
Les propositions sur lesquelles travaillent la trilatérale formée des États-Unis, de l’Union européenne et du Japon visent justement à proposer un nouveau cadre à l’OMC : il s’agit d’établir des règles plus efficaces dans ce domaine, de renforcer les règles de transparence et de mieux définir les organismes publics bailleurs de subvention (instances gouvernementales, collectivités locales, organismes et entreprises publiques, etc.). Un projet d’accord cadre pourrait être au point début 2019. La trilatérale travaille également sur la question des transferts de technologie forcés.
Les grandes puissance commerciales également épinglées…
Reste que le problème est rendu complexe par le fait que si la Chine est dans la ligne de mire, les grandes puissances commerciales donneuses de leçons n’ont pas été en reste en matière de subventions, avec des pratiques plus ou moins transparentes qui ont toujours existé.
Comme l’a remarqué à juste titre un intervenant asiatique, parmi les 68 États qui ont notifié de nouvelles subventions à l’OMC en 2017, figuraient la Chine, mais aussi les États-Unis, l’Union européenne et la quasi-totalité de ses États membres, et le Japon. Dans le seul secteur agricole, quelques 32 Etats membres de l’OMC sont épinglés pour avoir les mesures les plus « distorsives », et 50 % de ces mesures sont le fait des Etats-Unis, de l’Union européenne et du Japon, selon ce même intervenant qui a appelé à « rendre justice à tous et non pas à quelques uns », et surtout à une approche progressive, patiente : « petit à petit, l’oiseau fait son nid » a-t-il lancé en français.
Le vrai problème se situe peut-être ailleurs : « il y a eu un renouvellement et surtout, l’échelle du problème a changé », a observé un chercheur français. Peut-on mettre sur le même plan des fonds publics injectés pour stimuler la recherche et l’innovation et des fonds publics injectés pour financer, directement ou indirectement, des surcapacités qui déséquilibrent un marché sans aucune rentabilité ? Et comment définir ce qui est justifié de ce qui ne l’est pas ? Dans ces conditions, le problème est moins l’existence de subventions que leurs objectif : « ce qu’il faut éviter, se sont les distorsions, garantir l’équité ».
La solution viendra certainement de la « mise à jour des règles », avec à la clé un énorme chantier pour définir ce qui est « distorsif » et ce qui ne l’est pas…
Christine Gilguy
*Lire au sommaire de la LC aujourd’hui : Commerce international : ni « Far West », ni « Far East », les enjeux de la réforme de l’OMC