Un réchauffement de plus de 1,5°C aurait des conséquences tragiques a alerté le GIEC, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, dans un rapport rendu public le 8 octobre et qui continue à faire couler beaucoup d’encre. Or, pour atteindre cet objectif, les scientifiques sont sans équivoque : les émissions de carbone doivent être entièrement éliminées d’ici une trentaine d’années. Et cette transformation « immédiate et profonde » suppose un engagement de toutes les parties prenantes, insistent les scientifiques. Comment réagissent les milieux d’affaires européens ?
Le cri d’alarme du Giec a été relayé par Business Europe, la principale organisation patronale de l’Union européenne (UE), qui s’est immédiatement félicité de cette « contribution scientifique clé », à la veille de la COP 24, qui se tiendra en décembre à Katowice, en Pologne. « Les entreprises européennes se sont engagées à atteindre des objectifs ambitieux en matière de réduction des émissions et sont disposées à proposer des solutions pour lutter contre le changement climatique et construire une économie européenne forte », a réagi la fédération dans un communiqué diffusé lundi 8 octobre.
Un mémo embarrassant
Très mobilisé jusqu’ici pour limiter l’impact des politiques climatiques européennes, le puissant lobby industriel aurait-il changé son fusil d’épaule ? « Absolument pas », rétorque Tara Connolly, directrice au sein de l’antenne européenne de Greenpeace, qui dénonce « un engagement de façade ». Pour cette militante, les pratiques de l’organisation des patronats européens n’ont pas changé, seule sa stratégie de communication aurait évolué. « Derrière les portes closes, ses responsables sapent systématiquement les actions envisagées par la Commission pour renforcer la lutte contre le changement climatique », rappelle-t-elle.
Et pour étayer ses propos, Greenpeace s’appuie sur une note interne de Business Europe, datée du 13 septembre et dévoilée quelque jours plus tard par trois médias européens (Süddeutsche Zeitung, The Guardian et le site Euractiv). Ce mémo détaille la stratégie à suivre alors que la Commission souhaite porter à 45 %, à l’horizon 2030, la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le document suggère de « s’opposer aux ambitions » et de « défier le processus ». Comment ? En faisant passer des « messages positifs sur l’action pour le climat, tant que ceux-ci ne restent que des déclarations, sans incidence sur les législations ».
Des révélations saluées par les ONG, qui dénoncent depuis plusieurs années le travail de sape de Business Europe auprès des instances communautaires. « Son opposition à tout progrès climatique est bien connue, mais c’est la première fois que cela sort de manière si explicite », se félicite Martin Pigeon, porte-parole de Corporate Europe Observatory (CEO), une association qui milite en faveur d’une plus grande transparence et d’un meilleur encadrement des activités de lobbying à Bruxelles.
Un mémo qui divise le patronat
Mais la fuite du mémo dans la presse a également provoqué une levée de boucliers au sein même de l’organisation patronale, qui représente les intérêts de 40 fédérations professionnelles et 70 multinationales. Certaines voix se sont élevées pour exprimer leur désaccord avec la ligne défendue par Business Europe en matière climatique.
« Je suis sûr que ce mémo ne reflète pas la position d’une grande partie de l’organisation », a déclaré Eliot Whittington, directeur du Prince of Wales’s Corporate Leaders Group, un syndicat regroupant des entreprises, mobilisé pour accélérer la transition vers une économie à faibles émissions de carbone. Cité par le site d’information Euractiv *, il rappelle que « de nombreuses entreprises ont beaucoup à gagner d’une politique plus ambitieuse en termes de climat et de CO2 ».
Un postulat qui gagne du terrain, selon lui, et qui devrait finir par faire bouger les lignes au sein même de Business Europe, malgré les résistances de ses membres les plus conservateurs. Dans le cas contraire, la puissante organisation risque « de ne plus être pertinente » et de perdre sa légitimité auprès de la communauté des affaires.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles