La situation est grave, mais pas désespérée. C’est ainsi que l’on pourrait résumer d’un trait rapide la dernière étude de l’assureur-crédit Coface, intitulée « Course aux parts de marché en Afrique : l’échappée française reprise par le peloton européen ».
De fait, la France a perdu le rang de premier fournisseur européen du continent, au bénéfice de l’Allemagne. L’Espagne a aussi gagné du terrain, de même que la Turquie ou l’Inde. La poussée la plus forte est bien sûr celle de la Chine, indiquent les trois auteurs : Bruno De Moura de Fernandes, Ruben Nizard et Erwan Madelenat.
Les nouveaux venus font de l’ombre à la France, certes, mais elle a les moyens de réagir, assurent-ils. Lors d’une conférence organisée le 20 juin, Ruben Nizard a ainsi affirmé que la France pouvait gagner 1,5 point de part de marché (PDM), parce que « des marges de progression existent » dans la zone orientale et australe, ainsi qu’au Maghreb et dans la bande sahélienne. Un optimiste qui ne paraît pas aberrant, compte tenu de la connaissance du marché et des positions sur ce continent des entreprises de l’Hexagone. Ce n’est pas le hasard si la PDM de la France est supérieure en Afrique que dans le monde, avec 5,5 % en 2017 contre 3 % pour la moyenne mondiale.
L’aéronautique, seul secteur où la France s’envole
Reste que, en l’espace de 17 ans, la PDM de la France a été divisée par deux, pendant que celle de la Chine a sextuplé, passant ainsi de 3 % en 2000 à 18 % en 2017.
Dans leur étude, les trois économistes de Coface observent que le recul de l’Hexagone est général dans tous ses grands secteurs d’exportation, à l’exception de l’aéronautique, où sa PDM s’est envolée, passant de 12 % en 2001 à 33 % en 2017, alors que dans le monde, sa PDM est moitié moindre.
Les ventes aéronautiques ont ainsi contribué à 6,8 % des exportations tricolores vers l’Afrique. Et il s’agissait du quatrième poste d’exportation français l’an dernier, le podium étant occupé par les machines, avec 13,2 % des ventes françaises vers l’Afrique, les appareils électriques et électroniques, avec 11,5 %, et la pharmacie, avec 11,2 %.
Après l’aéronautique, la part de l’automobile pour approvisionner ce continent s’élevait à 5,9 %. Les combustibles – des produits raffinés – occupaient suivaient, avec 4,3 %, puis le blé, avec 3,9 %, les instruments de précision, avec 3,6 %, le plastique, avec 3,2 %, et la métallurgie avec 2,3 %.
Une poussée asiatique impressionnante
Dans les biens d’équipement, la poussée asiatique, chinoise en particulier, est impressionnante. Dans les machines, « la Chine gagne clairement, + 15 points de part de marché supplémentaires entre 2001 et 2017. Cette part est ainsi passée de 3 à 18 %, alors que celle de la France a chuté de 12 à 6 % », pointe Bruno De Moura de Fernandes.
S’agissant des appareils électriques et électroniques, à la concurrence de l’ex-Empire du Milieu, s’ajoute celle de Hong Kong et du Vietnam. La PDM de la Chine, seule, est passée de 6 à 23 %. Et celle de Hong Kong a atteint 10 %.
Dans la pharmacie, la France, qui possédait un tiers du marché, a vu sa position diviser par deux au profit de la Suisse, l’Allemagne et la Belgique, mais aussi de l’Inde, leader mondial incontesté des génériques, avec une PDM de 40 % dans le monde. Grâce à ce segment de la pharmacie, l’Inde a émergé, passant ainsi de 5 à 18 %, mais aussi la Chine, avec 4,4 % de part de marché en 2017.
Les pays de l’Est dans le blé ou l’automobile
Dans l’automobile, la PDM de la France n’est plus que de 5 %, alors qu’elle était trois plus élevée au début du millénaire. « On note aujourd’hui une forte présence de la Chine, en particulier dans les pièces détachés et motocycles, et de l’Inde pour les véhicules », précise Bruno De Moura de Fernandes. Sans oublier des pays européens, comme l’Espagne, mais aussi la Roumanie où, notamment « les constructeurs français sont très présents », soulignait l’économiste de Coface.
De même, dans le blé, ce sont les pays de l’Est, comme la Roumanie et l’Ukraine et encore plus la Russie qui ont progressé. Alors que ces trois nations ne contribuaient qu’à 3 % des livraisons en 2001, cette proportion a bondi à 40 % en 2017. Deux phénomènes positifs se sont conjugués : hausse de la production, en particulier en Russie, et dépréciation des monnaies.
Deux grands pays à cibler : Maroc et Algérie
S’agissant de l’avenir, Ruben Nizard estime que « 21 % de gains à l’export sont à faire en Afrique » et que la France peut ainsi y « retrouver son niveau d’avant-crise, en passant de 5,5 % à 7 % environ de part de marché ». L’assureur-crédit a retenu plusieurs variables, comme le produit intérieur brut, l’éloignement géographique ou encore la langue.
D’abord, dans les pays francophones, certes, la PDM de la France est tombée de 25 % à 12 %, et pourtant, affirment les auteurs de l’étude de la Coface, « les exportations françaises vers l’Afrique francophone sont 26 % inférieures au niveau théorique ».
Les opérateurs de l’Hexagone devrait ainsi cibler plus particulièrement deux types de région : le Maghreb, avec le Maroc et l’Algérie, où la France est, certes, déjà très présente, mais où la taille du marché doit être un aimant solide ; et, par ailleurs, la bande sahélienne (Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad).
Au Niger et au Burkina Faso, les biens d’équipement seraient porteurs, en Algérie, la pharmacie et l’automobile, au Maroc, les produits chimiques.
Coface met également l’accent sur les pays où la France est moins performante que par le passé, comme l’Égypte, où traditionnellement faible, à l’instar des régions orientale et australe. Il y aurait ainsi une demande d’équipements en Éthiopie. Mais la palette des nations à prospecter est très large en fait, allant de l’Ouganda et du Rwanda à la Zambie et au Zimbabwe.
François Pargny
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