Le gouvernement de Justin Trudeau s’est engagé à investir plus de 83 milliards d’euros dans les infrastructures en dix ans. Une opportunité à saisir, alors que l’État fédéral et les Provinces se sont engagés à ouvrir leurs marchés dans le cadre de l’accord de libre-échange avec l’Union européenne, le Ceta.
Comme le parti libéral s’y était engagé lors des élections législatives d’octobre dernier, le nouveau gouvernement en place depuis le 5 novembre a confirmé le maintien dans le budget fédéral d’une enveloppe conséquente pour les infrastructures, d’un montant de 120 milliards de dollars canadiens (CAD) pendant les dix ans à venir (83 milliards d’euros). Et ce, malgré la dégradation de la situation économique, liée à la baisse des cours des matières premières.
En fait, si le Canada dispose d’une économie diversifiée, l’énergie compte encore pour 10 % dans le produit intérieur brut (PIB) et surtout représente sa première ressource à l’export (17,7 % en 2015). Dans les 120 milliards annoncés par le jeune Premier ministre Justin Trudeau, la moitié sera affectée à de nouvelles initiatives, alors que l’autre moitié concernerait des projets déjà prévus par l’ancienne équipe au pouvoir, dirigée par le conservateur Stephen Harper. Laquelle a laissé au nouveau gouvernement une situation saine sur le plan budgétaire et financier, ce qui permet aujourd’hui à celui-ci de contracter une dette.
« Alors que la fédération du Canada possède la dette publique nette la plus faible du G7, le gouvernement a décidé que le niveau de dette publique sera maintenu à 31 % du PIB sur la mandature », précise Pascal Helwaser, conseiller financier auprès de l’ambassade de France à Ottawa. Au Canada, les mandats législatifs ont une durée de quatre ans. Ce qui signifie que la période de dix ans annoncée pour réaliser le plan de relance de l’économie paraît bien longue et son terme bien lointain.
D’ailleurs, pendant la conférence de presse organisée en juin avec le secrétaire général de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Angel Gurria, à l’occasion de la parution du dernier rapport de l’OCDE sur le Canada, le ministre fédéral des Finances, Bill Morneau, préférait relever que l’institution internationale s’était focalisée comme le gouvernement sur un objectif à moyen terme, à savoir 50 milliards de CAD sur six ans, a priori plus réaliste, car ne courant que sur deux législatures.
Dans le budget fédéral 2016-2017, plus de 4,5 milliards sont ainsi affectés aux infrastructures (voir tableau ci-dessous). Le gouvernement libéral a indiqué que le volet infrastructures du plan de relance sera concentré dans les transports, le logement, les infrastructures vertes et au profit des peuples autochtones. Pour les deux premières années, l’accent sera mis « sur la modernisation et la remise en état des réseaux de transport en commun, les réseaux d’aqueducs et d’eaux usées, la rénovation des logements sociaux ainsi que la protection des infrastructures existantes contre les changements climatiques », observe le Service économique régional (SER).
Durant ces deux années, les communautés autochtones bénéficieraient d’une somme de 1,8 milliard de CAD, en particulier, pour le logement, les établissements de santé et les écoles, l’objectif étant d’accélérer leur intégration. Aujourd’hui, rien de très précis n’est encore annoncé. Au Canada, si l’exercice budgétaire commence le 1er avril, les nouvelles mesures ne sont connues que plusieurs mois plus tard. Reste les grands projets en cours, comme le nouveau pont Champlain à Montréal qui doit être achevé en décembre 2018, un ouvrage de 2,15 milliards de dollars incluant les accès routiers, ou encore le pont Gordie Howe entre les villes canadiennes de Windsor, dans le sud de l’Ontario, et américaine de Détroit, dans l’État du Michigan.
Selon Pascal Helwaser, la construction de routes et le transport ferroviaire urbain doivent faire l’objet d’une attention soutenue de la part des spécialistes de l’Hexagone. « Toutes les grandes métropoles, surtout Toronto mais aussi Vancouver ou Montréal, souffrent de congestion automobile. Et c’est pourquoi les décideurs politiques veulent notamment développer le train léger, qui va réduire l’usage de la voiture, tout en ayant un impact positif sur l’environnement », expose-t-il.
En 2015, Justin Trudeau, alors député fédéral et chef du parti libéral, faisait part de son intention d’améliorer le système de financement des infrastructures, en facilitant notamment l’engagement des fonds d’investissement dans des projets d’autoroutes, et de soutenir la réalisation d’un train rapide entre le centre-ville de Montréal et l’aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau de Montréal (15,5 millions de passagers l’an passé).
À ce jour, il est difficile de savoir dans quelles régions seront orientés les investissements du plan de relance économique. Ce dont doivent se souvenir les milieux d’affaires français, c’est que les collectivités, surtout les gouvernements provinciaux, disposent d’un pouvoir financier considérable, à travers l’impôt sur les sociétés ou la taxe à la consommation. « C’est le pays le plus décentralisé du monde », lâche Pascal Helwaser. D’après l’OCDE, la part des dépenses des gouvernements décentralisés, dans les domaines sociaux ou la gestion des ressources naturelles, représente 70 % de l’ensemble des dépenses publiques. D’où l’importance de l’ouverture des marchés publics fédéraux et locaux, dans le cadre du Ceta (Comprehensive economic and Trade agreement ou Accord économique et commercial global) négocié avec l’Union européenne (UE).
L’État fédéral et les Provinces n’ont pas fait de difficultés à cette ouverture totale de leurs marchés, au point que lorsque Bruxelles, au nom des États membres, a décidé de revoir le Ceta, pour réformer le mécanisme de réglement des différends entre les investisseurs et les États ISDS (Investor-State Dispute Settlement), ni Ottawa, ni les capitales provinciales n’ont regimbé. En février 2016, le Canada, avec toujours l’accord des Provinces, a accepté un nouveau mécanisme baptisé ICS (Investment Court System), censé se rapprocher d’une cour publique et permanente. Pour tous les Canadiens, en fait, l’ouverture vers l’Asie et surtout l’Europe est majeure pour s’extraire de la dépendance des États-Unis, qui absorbent environ les trois quarts de ses exportations (76,7 % en 2015).
Mieux encore, le Ceta obligerait assez naturellement les Provinces à harmoniser leurs réglementations et à réduire, sinon supprimer, les barrières non tarifaires qui existent entre elles, parce que les régions se livrent une certaine concurrence. Côté européen, la Commission européenne a préparé une proposition qui doit être étudiée par les ministres du Commerce de l’UE, les 22 et 23 septembre, avant d’être soumise à l’approbation des chefs d’État et de gouvernement en octobre. Objectif : entamer le processus de ratification pendant le sommet UE-Canada de fin octobre, ce qui autoriserait la mise en œuvre provisoire du Ceta début 2017. De son côté l’OCDE appelle le Canada à adopter des mesures structurelles pour instiller plus de concurrence et diminuer les prix dans les industries de réseau, comme les télécommunications, et le transport aérien intérieur. Le Canada, dont la croissance économique a chuté de 2,5 % en 2014 à 1,2 % l’an dernier, est confronté, selon l’OCDE, à un retard de productivité et un manque de compétitivité, notamment dans l’industrie.
Réagissant très rapidement – dès janvier 2015 – au contre-choc pétrolier, ayant suivi une période d’euphorie, la Banque centrale avait diminué ses taux, poussant ainsi la monnaie à la baisse, ce qui eu un effet positif sur les exportations canadiennes. Dans son rapport récent, l’OCDE se félicite de ce mouvement. Sauf, qu’en vérité, le décollage des ventes à l’étranger a été tardif et n’a pas permis l’envol espéré. Pour une raison au moins : comme le CAD suit le prix du pétrole, il s’était fortement apprécié pendant la période de prix élevés des matières premières. Résultat, des usines manufacturières avaient été contraintes de fermer. La base productive du Canada s’est ainsi atrophiée, expliquant cette progression très faible des exportations par rapport aux importations (voir chiffres clés ci-dessous). L’introduction des nouvelles technologies, en particulier dans les PME, serait un moyen de stimuler la productivité.
François Pargny
Chiffres-clés
Superficie (1) : près de 10 millions de mètres carrés
Population (2) : 35,8 millions d’habitants en 2015
Croissance économique (2) : 1,1 % en 2015, 1,4 % en 2016
Inflation (1) : 1,1 % en 2015, 1,7 % en 2016, 2,1 % en 2017
Chômage (1) : 6,9 % en 2015, 7,1 % en 2016, 6,8 % en 2017
Echanges de marchandises (3) : (2015, en milliards d’euros, évolution sur 2014)
– Export : 369,552 (+ 3,14 %)
– Import : 378,042 (+ 8,18 %)
Exportations françaises : 3,217 (+ 9,37 %)
Sources : (1) rapport OCDE juin 2016, (2) FMI, (3) GTA (Groupe IHS)