Le fret maritime est à la croisée des chemins. Pour aider les chargeurs à mieux comprendre les enjeux actuels des alliances et à savoir à quoi s’attendre dans les mois à venir, la plateforme dédiée aux professionnels du transport Upply a esquissé trois scénarios. Le plus plausible ne sera pas à leur avantage.
Que vont devenir en 2023 les trois grandes alliances maritimes M2, Ocean Alliance et The Alliance* ? Vont-elles imploser ou se recomposer ? Quelles seront les conséquences pour les chargeurs de ce jeu des alliances qui se font et se défont traditionnellement dans le transport maritime ? Autant de questions auxquelles tentent de répondre la note d’Upply.
Les chargeurs sont d’autant plus attentifs à ces évolutions que le monde du fret maritime se trouvent à la croisée des chemins. Après avoir engrangé des profits faramineux depuis le début de la crise sanitaire, les compagnies maritime ont enregistré fin 2022 des résultats financiers en baisse en raison du net ralentissement de la demande mondiale de fret. « Il est maintenant établi qu’il va y avoir trop de capacité disponible courant 2023-2024, affirme Upply.
Les alliances face au défi de la surcapacité
Les compagnies ayant une couverture planétaire suffisante comme MSC, Maersk et CMA CGM pourraient être tentées de « jouer leur partition en solo, en conservant la souplesse du semi-liner plutôt que de retourner à des services cadencés hebdomadaires dans leur master schedules respectifs ». En revanche, les membres de The Alliance, la plus petite des trois alliances, n’auraient aucun intérêt à cesser de « chasser en meute ».
En outre, si la crise sanitaire a soudé les alliances, Upply estime qu’ « il est difficile de vouloir concilier l’inconciliable sur la durée entre une politique pro chargeur, celle de Maersk, très sensible à la qualité de service et au respect des délais d’acheminement de la logistique contractuelle intégrée, et une politique pro transitaire, celle de MSC, moins qualitative et plus orientée sur l’optimisation tarifaire ».
Pour donner une idée de ce qui pourrait attendre les chargeurs dans les prochains mois, Upply a élaboré trois scénarios dont le plus crédible consiste à voir les compagnies continuer à « faire le dos rond ».
Le scénario le plus plausible n’est le plus avantageux pour les chargeurs
Ce scénario implique qu’elles « acceptent de se départir de capacités conséquentes, au moins durant le premier semestre 2023, avant de repartir à l’offensive au deuxième semestre en tablant sur un besoin de reconstitution rapide des stocks en Occident ».
L’actuel contexte macroéconomique permettrait à ce scénario de se dérouler. La baisse des coûts du carburant et celle de l’inflation laisse en effet entrevoir un rebond de la consommation dans le monde occidental au second semestre. Si ce scénario est le plus vertueux sur le plan environnemental, en cela qu’il évite de faire naviguer des navires trop peu remplis, « en termes de qualité de service, ce n’est sans doute pas la meilleure nouvelle pour les clients, qui devront attendre patiemment leur marchandise », craint Upply.
Vers une implosion ou une guerre des alliances
Le deuxième scénario, moins probable, table sur la fin des alliances, faute d’intérêts conciliables dans le cas de M2 et pour des raisons géopolitique dans le cas d’Ocean Alliance, composée du français CMA CGM, du chinois Cosco , du hong-kongais OOCL et du taïwanais Evergreen.
« Face au durcissement politique entre les blocs, est-il concevable de poursuivre des collaborations aussi étroites et stratégiques de long terme avec des partenaires considérés comme quasi hostiles en termes de valeurs et d’intérêts ? », interroge Upply.
Cette implosion des alliances maritimes avantagera-t-elle les chargeurs ? Rien, n’est moins sûr. « Le client retrouverait certes une plus grande pluralité de choix, mais les Alliances ont quand même le mérite de permettre d’activer des options alternatives rapides en cas d’aléas, ce qui serait beaucoup moins le cas dans l’hypothèse d’une implosion. »
Enfin, dernier scénario envisagé, une guerre des alliances pourrait éclater cette année. Il mettrait à l’arrêt les échanges de marchandises entre blocs hostiles et verrait « la mise sous tutelle par les Etats des flottes de commerce, qui pourraient également être utilisées à des fins militaires ». Même s’il est peu probable ce scénario catastrophe n’est pas à exclure.
Officier de réserve, l’auteur de cette note estime de son devoir de l’évoquer « avec un souhait profond de [se] tromper ».
Sophie Creusillet
* Ocean Alliance (CMA CGM, Cosco, OOCL, Evergreen), The Alliance (Hapag-Lloyd, K Line, Mitsui OSK Lines, Nippon Yusen Kaisha, Yang Ming) et M2 (Maersk et MSC).