En haut de la rue Ledra, à Nicosie, des douaniers débonnaires accueillent les touristes qui s’agglutinent, vingt mètres plus loin, aux terrasses d’une poignée de tavernes.
Ils scrutent avec amusement ou circonspection le cachet fraîchement apposé sur leur passeport au nom de la République turque de Chypre du Nord, reconnue par la seule Turquie. À leur retour, les touristes pourront dire : « J’y suis allé ! » Depuis l’ouverture, en 2004, de check-points sur la ligne verte, qui divise la ville et l’île depuis plus de trente ans, l’excursion en « zone occupée » est un passage obligé pour les visiteurs étrangers. L’occasion de souligner le passé récent et douloureux de Chypre. L’île entend en effet mettre désormais l’accent sur ses spécificités culturelles.
Dans les années 1980, le tourisme s’est développé sur le modèle d’un marché de masse. L’argument de vente était simple : plus de 330 jours d’ensoleillement par an, le charme de la gastronomie méditerranéenne et le sens de l’accueil de la population. Vols charters, alignement d’hôtels clubs donnant directement sur la plage, formules « tout inclus », peu voire pas d’offre dans l’intérieur de l’île. Résultat, trente ans plus tard, le touriste type appartient à la classe moyenne, vient bronzer plus que visiter, et dépense peu. En avril 2011, son séjour lui a coûté en moyenne 74 euros par jour (contre 94 euros en Espagne).
Nombreuse, cette clientèle est également celle qui est la plus prompte à couper dans le budget vacances en cas de crise économique. Entre 2007 et 2009, les revenus du tourisme se sont effondrés de 20 %. D’où le besoin d’attirer des clients plus fortunés. « Nous voulons donner plus d’importance à la qualité et toucher les classes supérieures européennes, affirme Fannie Paschalidou, directrice marketing de la Cyprus Tourism Organisation (CTO), l’office du tourisme. Il n’y a pas que le soleil et la mer à Chypre ! Nous avons aussi des marinas, des spas et des golfs. Et le plan stratégique 2011-2015 pour le tourisme insiste sur la construction de nouvelles infrastructures ».
Seulement voilà, il ne suffit pas d’un coup de baguette magique pour changer une industrie de fond en comble. « Chypre se voile un peu la face en pensant n’attirer que des touristes 4 ou 5 étoiles. Elle ne possède pas les infrastructures adéquates, et modifier l’image d’un pays prend beaucoup de temps », estime un expert du secteur. D’autant qu’il y a déjà fort à faire avec l’existant. Si l’agrotourisme et la randonnée se sont bien développés ces dernières années et ont poussé les touristes vers l’intérieur des terres, les hôtels clubs pourraient encore progresser. « Il faut développer Chypre comme destination d’hiver », affirme Christophe Chaillou, fondateur de Creative Tour. « Le meilleur mois pour venir, à mon avis, c’est novembre. Il fait 25 ou 26 degrés et l’eau est à 24 degrés.
À cette époque de l’année, la météo est plus agréable qu’aux Iles Canaries où tout le monde se rue. » 80 % des touristes hexagonaux ayant acheté des packages à des tours opérateurs passent par l’agence de Christophe Chaillou. « 2010, avec 13 000 arrivées, a été une mauvaise année, mais nous tablons sur 22 000 en 2011 », espère-t-il. L’héliotropisme des Français, contrarié par les révolutions en Tunisie et en Égypte, les aurait-il guidés vers Chypre ? « Nous avons eu quelques reports jusqu’au 15 mai, mais les touristes français ne se sont pas rabattus sur Chypre, répond M. Chaillou. L’augmentation prévue pour 2011 est due aux engagements pris par les tours opérateurs et, à l’heure actuelle, on sent l’impact de la récession sur la clientèle française.
En revanche, nous croulons sous les demandes concernant les voyages d’entreprises en groupe et le tourisme d’affaires. » Un secteur sur lequel Chypre, qui occupera la présidence tournante de l’Union européenne en 2012, veut capitaliser. Les centres de conférence, existent, la situation du pays est calme et les services de bonne qualité.
Autre secteur, plus inattendu, que Chypre compte développer : le tourisme médical. Partant du principe qu’une convalescence au bord de la grande bleue est plus agréable qu’en banlieue de Manchester, le gouvernement chypriote table sur cette niche. « Le marché en est à ses débuts, mais est en train de décoller », affirme Fannie Paschalidou. Au programme : chirurgie esthétique, traitement de la fertilité et désintoxication. Pour l’instant, le secteur connaît ses premiers frémissements. Le ministère de la Santé a déjà accordé quelques accréditations et en étudie d’autres.
La destination, qui va bénéficier en 2012, avec la présidence de l’Union européenne, d’un coup de projecteur, saura peut-être se faire mieux connaître auprès de la clientèle française. Et attirer ceux qui rechignent à se rendre en Tunisie ou en Égypte. D’autant que, comme le rappelle Christophe Chaillou, « de nouvelles compagnies aériennes desservent l’île depuis peu : Aegian Airlines directement depuis Paris et EasyJet depuis Giron en Espagne, non loin de la frontière française ».
Sophie Creusillet
Projets d’infrastructures
Marina de Limassol
La première pierre de ce projet de 350 millions d’euros a été posée en septembre 2010. La marina comprendra des appartements et des villas de luxe, des restaurants et cafés, une galerie marchande et un port de plaisance. Elle devrait accueillir ses premiers yachts fin 2012. La société d’ingénierie Sogreah s’est occupée en 2008 de la modélisation des tests de stabilité à la houle sur une portion type de la digue principale.
Extension du port Larnaca
Le projet de redéveloppement du front de mer de Larnaca est estimé entre 500 et 600 millions d’euros. Le consortium Zenon, composé de neuf entreprises, dont son chef de file Bouygues, est actuellement en négociation avec le gouvernement chypriote. Selon une source proche du dossier, le groupe français a toutes les chances d’emporter le contrat…
L’autoroute A7
À l’ouest de l’île, l’autoroute A7, qui doit relier les villes de Paphos et Polis, distantes de 31 kilomètres, est actuellement en cours de construction. Le premier partenariat public-privé (PPP) chypriote a soulevé la polémique, de par son prix, estimé à un demi million d’euros et au retard pris. Kinyrya, le consortium formé par Vinci Concessions, Cybarco et Joannou & Paraskevaides, a en effet fait appel de la décision des autorités chypriotes, qui lui ont finalement préféré le tandem formé par Strabag et Nemesis.
Un nouveau terrain de golf
En avril 2010, Med Golf, basée à Gibraltar, a signé avec l’État chypriote un accord pour la construction du golf de Tersefanou, près de Larnaca. Les travaux sont pour l’instant au point mort.
Circuit automobile à Larnaca
Bouygues, qui a construit les deux aéroports de Chypre, a dévoilé en juin dernier un nouveau projet dans le secteur des loisirs : la construction d’un circuit automobile, près de l’aéroport de Larnaca. Une étude faisabilité a été réalisée et présentée à Hermes, la société qui exploite l’aéroport et dont Bouygues détient 22 %. La construction de ce circuit, dont le coût est estimé à 40 millions d’euros, devrait commencer en 2012.
Les chiffres-clés du tourisme
Revenus
2010 : 1,54 milliard d’euros (13 % du PIB)
2009 : 1,49 milliard d’euros
2008 : 1,79 milliard d’euros
2007 : 1,85 milliard d’euros
Répartition des touristes par origine
2 173 000 arrivées en 2010, dont :
Britanniques : 45 %
Russes : 10 %
Allemands : 6 %
Grecs : 6 %
Suédois : 5 %
Norvégiens : 5 %
Suisses : 5 %
Français : 1,3 %