Quel va être l’impact de l’inflation sur l’évolution des taux de change des principales devises en 2022, mais aussi de celles des pays émergents ? Une question que se posent de nombreux exportateurs. A défaut d’une boule de cristal limpide, Sullivan Joubert, responsable du trading France chez Ebury, Fintech spécialisée dans les paiements internationaux, a livré quelques tendances et des indicateurs clés à suivre lors d’un point presse le 8 février.
Les grands indicateurs que scrutent les analystes actuellement, ce sont l’inflation, la politique monétaires des banques centrales, et l’évolution de la Covid-19. Pour Sullivan Joubert, néanmoins, l’inflation « sera le principal driver [moteur] des marchés » en 2022, avec une inévitable normalisation des politique monétaires (hausse des taux d’intérêt) et comme acteur clé la Federal Reserve Bank américaine.
L’accélération de l’inflation n’épargne pas les Etats-Unis (+ 7 % en décembre pour l’inflation globale), en raison de la pression à la hausse des salaires, et la FED parie que le phénomène va durer, contrairement à la Banque centrale européenne (BCE) qui a estimé jusqu’à présent, la hausse des prix en Europe est « transitoire », liée à un déséquilibre offre / demande.
Les marchés tablent actuellement sur 5 hausses successives de 25 points de base (pdb) du taux directeur américain sur l’année 2022, anticipation que partage Ebury, avec une première hausse dès mars. Elle n’est pas sans risque pour le pays : une appréciation de la monnaie américaine*, déjà grande gagnante de l’année 2021 vis-à-vis des principales devises refuge (euro, francs suisse, yen), pourrait entraver la politique de relance économique outre-Atlantique.
Un phénomène toujours « transitoire » pour la BCE ?
Le scénario est un peu différent en zone euro, où l’inflation de base (+ 5 % en décembre pour l’inflation globale) est plutôt tirée par les problèmes d’approvisionnement et la hausse des prix des matières premières et de l’énergie. La patronne de la BCE Christine Lagarde continue en outre à parler d’un phénomène « transitoire », ce qui surprend l’analyste, mais cela pourrait évoluer.
Les marchés tablent à présent sur cinq hausses de taux successives de 10 pdb sur l’année, anticipation qui paraît « un peu trop vigoureuse » à Sullivan Joubert. Pour lui, il y aura bien une hausse avant fin 2022, mais « peut-être pas aussi importante ». Dans ce contexte, l’euro devrait pour sa part rester en retrait du dollar*.
La monnaie britannique, pour sa part, s’est plutôt bien tirée du Brexit, alors que l’économie est surtout confrontée à un problème de pénurie de main d’œuvre. « Les Anglais seront plus dans une posture de réaction à ce que feront les autres en matière de politique monétaire » estime l’expert d’Ebury, qui voit la livre (GBP) s’apprécier graduellement contre l’euro en 2022.
Les pays émergents, pour leur part, n’ont pas attendu pour normaliser leur politique monétaire dès 2021, notamment en Europe et en Amérique latine : Brésil (hausse de 725 pdb du taux de la Banque centrale), Russie (hausse de 425 pdb). Ebury estime que la hausse des taux d’intérêts va s’y poursuivre avec comme effet un probable retour du carry trade, cette pratique qui consiste à emprunter dans les pays à taux faible (Etats-Unis, zone Euro) pour prêter dans les pays à taux plus élevés.
Il y a des exceptions. La Chine par exemple, qui, dans le cadre de sa politique monétaire très administrée, laisse s’apprécier sa monnaie de façon très graduelle. « Certains observateurs voit le taux de change s’apprécier à 1 euro pour 7 yuan » précise Sullivan Joubert.
Autre exception, la Turquie, où la Banque centrale est devenue un instrument politique au service du régime Erdogan, dont l’ambition est de faire de son pays la nouvelle usine du monde, au prix d’un taux d’inflation record de 50 % et d’une chute vertigineuse de la livre turque (- 40 % par rapport au dollar en 2021). Le taux directeur de la banque centrale est à 33 % actuellement…
Et il y a des incertitudes. La principale, à court terme, concerne les tensions géopolitiques à l’est de l’Europe. Si un conflit ouvert éclatait entre la Russie et l’Ukraine, les monnaies européennes pourraient dévisser…
Christine Gilguy
*A titre indicatif, au 22 février 2022, voici quelques taux de change de l’euro vis-à-vis de devises citées dans cet article livrés par la plateforme en ligne xe.com : 1 EUR = 1,13 USD ; 1 EUR = 0,83 GBP ; 1 EUR = 130,4 JPY ; 1 EUR = 1,04 CHF ; 1 EUR = 89,99 RUB ; 1EUR = 7,17 CNY ; 1 EUR = 4,54 PLN ; 1 EUR = 5,74 BRL ; 1 EUR =15,69 TRY.