La Chine prend de plus en plus de mesures de défense commerciale à l’encontre des produits européens. Les entreprises doivent se préparer à des procédures d’enquête.
Le 11 décembre prochain, Pékin célébrera le 10e anniversaire de son adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Du côté des partenaires commerciaux de la Chine, le constat est que Pékin y a trouvé matière à exercer des pressions contre les produits européens, où les raisons commerciales masquent parfois des stratégies politiques.
Un séminaire organisé le 20 octobre dernier par la chambre de commerce internationale (ICC, International Chamber of Commerce), avec les cabinets DS Avocats et King & Wood, a fait le point sur cette tendance. Dans un document *, en date de juillet dernier, la Commission européenne a fait le point sur les mesures adoptées par plusieurs pays à l’encontre de produits européens. Elle notait que la Chine prenait de plus en plus de mesures de défense commerciale contre des produits européens. La Chine est déjà le deuxième pays le plus actif dans ce domaine, après les États-Unis.
Me Cheng Liu, du cabinet King & Wood, a donné des précisions : « À fin septembre 2011, la Chine a déclenché 67 enquêtes antidumping, dont 37 dans l’Union européenne. Les autres pays visés sont la Corée (33 enquêtes), les États-Unis (33), le Japon (31), Taïwan (17) et la Russie (12). » Les secteurs qui font le plus l’objet d’enquêtes déclenchées par la Chine sont les produits chimiques (43), le papier (6), l’alimentaire (6), et les appareils électroniques (5).
Le traité de Lisbonne signé fin 2007, moins contraignant que le précédent, aurait encouragé les Chinois dans cette voie. Selon Me Jean-Marie Salva, de DS Avocats, « avant ce traité, il fallait remplir deux conditions pour introduire une action antidumping : que les intérêts directs d’une entreprise soient concernés, et démontrer l’existence de certaines particularités qui distinguent l’entreprise concernée des autres. Désormais, seule la première condition doit être remplie ».
La procédure d’enquête, qui ne doit pas excéder 18 mois, permet l’application de droits provisoires à l’importation en Chine. Durant l’enquête, les autorités chinoises viennent vérifier dans l’entreprise elle-même que les documents transmis sont exacts. Le groupe français Roquette y a été confronté. Comme le rappelle un intervenant de la Direction générale du Trésor : « Il faut que l’entreprise préserve ce qu’elle considère être confidentiel. De toute façon, elle doit consulter au préalable un guide** édité par la Commission, se renseigner auprès de sa fédération, des chambres de commerce et de la direction de l’industrie au ministère pour préparer une stratégie de défense. Lors de la visite de la délégation chinoise dans une entreprise, nous sommes toujours présents physiquement pour veiller à ce qu’elle se déroule conformément aux règles de l’OMC et que seule la production soit visible et surtout pas la technologie. »
Ceci étant, une entreprise visée par le ministère chinois du Commerce (Mofcom) suite à la plainte d’une entreprise chinoise est libre de ne pas répondre si elle considère que la taxation qui va frapper immédiatement ses produits à
l’importation en Chine affectera faiblement son courant d’affaires.
À l’avenir, il est probable que les Chinois ne se contenteront plus d’essayer d’appliquer des droits antisubventions et/ou antidumping à des produits de base. Les produits de haute technologie seront également visés, à mesure que l’industrie chinoise fabriquera davantage de produits et machines de haute technologie. Deux exemples servent d’avertissement cette année : des appareils européens d’inspection de sécurité dotés de scanners ont été frappés de taxes antidumping si élevées que le marché chinois leur est désormais fermé ; de même, la fibre optique (européenne et américaine) a été frappée de taxes non pas suite à la demande d’une entreprise chinoise qui s’estimait lésée, mais au simple motif qu’il y aura « une menace (potentielle) de préjudice ».
Jean-François Tournoud
Des considérations parfois politiques
Certaines décisions du ministère chinois du Commerce (Mofcom) sont liées à des motivations politiques non officiellement exprimées. Ainsi, il est difficile de ne pas faire le parallèle entre, d’une part, la décision chinoise de frapper de droits antidumping les produits américains à base de poulet depuis septembre dernier et, d’autre part, la vente d’armes américaines à Taïwan cette année. Dans le cas de Roquette, la réaction de Pékin pourrait être en partie liée au fait que l’Union européenne a frappé de droits antisubventions et de droits antidumping les importations de papier couché chinois et de gluconate de sodium en 2010. En outre, il est notoire que les Chinois appréciaient peu l’ancienne politique agricole commune (PAC) européenne où les subventions étaient
nombreuses.
J.-F. T.
L’amidon de pomme de terre français dans le collimateur de Pékin
Peu connue du grand public, l’entreprise Roquette est le n° 2 européen et le n° 5 mondial de l’amidon. Le groupe produit en Chine via trois usines à Lianyungang (sorbitol, polyol, amidon modifié) et, suite à un rachat en 2008, à Nanning (mannitol, sorbitol). L’amidon provenant de la pomme de terre féculière représente près de 15 % des matières premières utilisées par le groupe. C’est précisément cette production que les Chinois ont prise pour cible.
Selon le ministère chinois du Commerce (Mofcom), les produits européens à base de fécule de pomme de terre doivent être frappés d’une taxe antisubventions car les producteurs européens de cette matière première ont bénéficié de subventions, ce qui porte préjudice aux producteurs chinois. Le 30 août 2010, à la demande de l’Association chinoise de l’industrie de l’amidon, le Mofcom a lancé une enquête antisubventions. Après enquête sur place, le taux de dumping (différence entre la valeur moyenne dans les pays d’origine et le prix à l’exportation) a été estimé par la partie chinoise à 12,6 % pour le néerlandais Avebe, qui fabrique la même matière première (en Allemagne), et à 56,7 % pour Roquette. Par conséquent, l’amidon européen de pomme de terre s’est retrouvé frappé, à partir de mi-mai dernier, d’une taxe antidumping de 7,7 % à 11,19 % (après avoir imposé de 12,6 % à 56,7 % depuis le 19 avril).
J.-F. T.
Bloc-notes
Documents cités dans l’article
* Eighth Annual Report from the Commission to the European Parliament
Overview of third country trade defence actions against the European Union. Très intéressant document en date du 4 juillet 2011 qui fait le point des mesures de défense adoptées par plusieurs pays à l’encontre de produits européens.
http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2011/july/tradoc_148046.pdf
** Le dernier document en date (octobre 2010) de la Commission Européenne consacré aux sauvegardes antidumping et antisubventions
http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2010/october/tradoc_146707.pdf
Liens utiles
• Comité français de la chambre de commerce internationale : www.icc-france.fr
Contact en France :
[email protected]
[email protected]
• À qui s’adresser auprès de la DG Commerce :
[email protected]
Bon à savoir
À qui s’adressent les entreprises chinoises pour agir contre les exportations européennes en matière de dumping/subventions : http://gpj.mofcom.gov.cn
concernant le préjudice supposé : www.cacs.gov.cn