Le futur des relations commerciales entre l’Union européenne (UE) et l’Afrique a été, le 10 janvier, le thème de la première conférence ministérielle organisée dans le cadre de la Présidence française de l’UE (PFUE) en format hybride*. Présidée par Franck Riester, le ministre en charge du Commerce extérieur, ce choix d’agenda se veut un signal fort adressé par Paris à ses partenaires sur le caractère prioritaire de ce dossier à quelques semaines du prochain Sommet entre l’UE et l’Union africaine (UA), prévu à Bruxelles les 17 et 18 février prochain.
« La refondation des relations UE Afrique est au cœur de nos priorités » a souligné Franck Riester en ouverture de cette conférence, qui a rappelé les orientations d’Emmanuel Macron en faveur d’un nouveau partenariat avec l’Afrique, plus équilibré.
Participaientà cette session inaugurale enregistrée depuis le centre de conférence du ministère à Paris, Valdis Dombrovskis, vice-président exécutif de la Commission européenne en charge de la politique commerciale, ainsi que deux ministres africains, la Kényane Betty Chemutai Maina, en charge de l’Industrialisation, du commerce et du développement entrepreneuriale et, en visioconférence depuis le Maroc, Ryad Mezzour, son homologue à l’Industrie et au commerce.
Sur le volet commercial, dans le contexte de la crise sanitaire, deux axes majeurs se dégagent pour la France et, comme on a pu le constater au fil des tables-rondes de cette conférence, pour les Européens et les Africains : « renforcer les chaînes de valeur entre l’Europe et l’Afrique » et « aider l’Afrique dans la transition écologique » a déroulé le ministre.
La France, qui veut faire du Sommet UE-UA de février « un succès », a conçu cette conférence comme une étape dans sa préparation. Il sera précédé, le 16 février, d’un forum économique réservé aux milieux d’affaires.
Aucune annonce n’était donc à attendre le 10 janvier, mais plutôt un point et des échanges nourris entre hauts fonctionnaires européens et français, responsables africains et dirigeants d’entreprises sur divers chantiers de négociation en cours entre les deux blocs, dans le cadre de ce nouveau partenariat à construire.
Parmi ceux-ci : le financement et l’association du privé aux investissements ( dans la suite du Sommet du 18 mai sur ce thème organisé à l’initiative du président français) ; le partenariat commercial rénové à envisager à l’échelle continentale, avec la future ZLECAF (Zone de libre-échange continentale africaine) ; les nouveaux accords de partenariats économiques (APE) et la modernisation des accords d’association existants ; la révision du système de préférences généralisées (avec l’intégration de clauses RSE voulue par les Européens) ; le renforcement et le développement de nouvelles chaînes de valeur entre l’Europe et le continent comme il en existe déjà dans l’aéronautique ou les équipements automobiles au Maroc et en Tunisie…
Une réponse à l’offensive chinoise
En filigrane, et sans que cela ne soit dit de façon explicite, l’enjeu est aussi, pour la France et l’Europe, de contrer l’offensive de la Chine et sa route de la soie. En dix ans, elle a tissé sa toile à travers le continent africain en octroyant des financements à tout va, quitte à surendetter les États récipiendaires, tout en prenant le contrôle au passage d’infrastructures clés et de ressources naturelles.
C’est d’ailleurs dans cette optique que la Commission européenne a déjà dévoilé début décembre dernier, trois mois avant le Sommet UE-UA, son plan « Global Gateway », qui ne vise pas que l’Afrique mais l’englobe. Ayant pour ambition de mobiliser 300 milliards d’euros auprès de ressources publiques (FEDD, BERD) et d’investisseurs privés, il vise à investir dans le développement d’infrastructures et la production d’énergie « vertes », dans le cadre de partenariats « d’égal à égal ». La Commission a également annoncé son intention de mobiliser 2,4 milliards d’euros d’aide à l’Afrique subsaharienne et un peu plus d’un milliard d’euros aux pays du nord du continent.
La stratégie pour l’Afrique proposée par la Commission européenne, rappelée par Sandra Kramer, Directrice Afrique à la direction générale des partenariats de la Commission, est focalisée sur 5 grands axes de partenariat : la transition écologique, la transformation numérique, la paix et la bonne gouvernance, l’intégration et le libre-échange continental, le défi migratoire et la mobilité des personnes. Rien que pour l’intégration régionale, 630 millions d’euros seront injectées par l’UE en Afrique.
A la faveur de la crise sanitaire, les Européens, premier donateur mondial de vaccins anti-Covid à l’Afrique, ont d’ores et déjà bougé en soutenant, dans le cadre de l’initiative Equipe Europe, la création de centres de recherche et de production de vaccins et tests sur le continent africain (Afrique du sud, Rwanda, Sénégal), créant ainsi des maillons de nouvelles chaînes de valeur pour le continent.
La ZLECA, un axe prioritaire pour les Français et les Européens
A cet égard, comme on a pu le constater lors des premiers échanges, les Français à l’instars de leurs partenaires européens dans leur ensemble sont de fervents soutiens au projet de ZLECAF porté par l’UA. La Commission apporte d’ores et déjà conseil et assistance technique à l’UA sur ce projet. Alors que le commerce intra-africain représente à peine 17 % du commerce africain (plus de 50 % pour l’Union européenne), cette zone de libre-échange continentale est considérée comme un nouveau moteur de l’intégration continentale africaine.
Le chantier est avancé – la zone de libre échange est en vigueur depuis janvier 2021– mais le chemin qu’il reste à parcourir est encore long : 54 pays ont signé l’accord, 34 l’ont ratifié, mais encore peu sont en capacités de commercer entre eux dans ce nouveau cadre. Sans compter que certains sujets sont encore en négociation comme les services et les échanges financiers.
Pour les Européens, cette zone de libre-échange offre néanmoins la perspective de fournir, à terme, un remède à une partie des maux d’une Afrique « trop peu intégrée et vulnérable aux chocs extérieurs », comme l’a souligné Sandra Kramer. Elle rendra aussi le continent plus attractif pour les investisseurs étrangers et facilitera l’émergence de nouvelles chaîne de valeur internationale en levant certains obstacles aux échanges intra-africains.
Eviter « le porte à porte dans 54 pays »
Les entreprises françaises la voient d’ailleurs d’un très bon oeil. « On a besoin de ce projet dans la zone pour éviter, à terme, le porte à porte dans 54 pays » a notamment déclaré Valérie Levkov, senior vice-présidente Afrique et Moyen-Orient d’EDF.
La perte totale due aux seuls obstacles non tarifaires aux échanges (différences de réglementations, normes phytosanitaires, corruption…) coûterait 18 milliards de dollars aux économies africaines, selon une estimation citée par Kanayo Awani, directrice exécutive de l’Initiative Commerce intra-africain à l’Afreximbank, une Banque publique de financement du commerce associant des gouvernements, la BAD et des investisseurs privés.
L’électricien français est engagé dans plusieurs projets de grosses infrastructures, comme celui du barrage hydroélectrique de Nachtigal au Cameroun (450 MW), en partenariat public-privé, mais il investit aussi dans des solutions innovantes décentralisées comme les kits solaires. La segmentation des marchés, les différences de réglementations entre pays, les lourdeurs des processus de décision, sont encore des freins au développement de réseaux de distribution d’énergie plus efficaces. « C’est très compliqué de porter des projets binationaux ou impliquant plusieurs pays » a précisé Valérie Levkov.
A l’heure actuelle, l’Afrique, qui demeure à la traîne dans les chaînes de valeurs internationales (à peine 4 % du commerce mondial formel) ne représente, avec un montant de 225,5 milliards d’euros en 2020, que 6,3 % des échanges commerciaux extérieurs de l’UE. En revanche, celle-ci reste le premier partenaire commercial du continent en représentant 28,7 % de ses échanges extérieurs. La pandémie et le choc économique qu’elle a entraîné a gravement fragilisé certains pays : 41 d’entre eux ont connu une récession depuis le début de la pandémie de Covid-19.
L’UE a sans aucun doute une carte à jouer dans le cadre d’un nouveau partenariat, et la France est bien placée pour la promouvoir. Mais il faudra attendre les annonces et engagement concrets qui sortiront du Sommet UE-UA pour savoir comment.
Christine Gilguy
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