Le rapport sur la « Sécurisation de l’approvisionnement en matières premières minérales » remis le 10 janvier par Philippe Varin aux ministres de la Transition écologique et de l’Industrie, Barbara Pompili et Agnès Pannier-Runacher, restera confidentiel en raison des données sensibles qu’il contient. Ce qui n’empêche pas le gouvernement d’avoir retenu plusieurs de ses recommandations, et lancé sans tarder un plan d’action visant à relocaliser en partie certaines activités amont essentielles pour les futures gigafactories (batteries, électrolyseurs…).
Cuivre, cobalt, nickel, lithium, terres rares pour les aimants permanents : autant de minéraux indispensables aux nouvelles filières industrielles à construire dans le cadre de la transition énergétique, dans les batteries électriques ou les éoliennes offshore.
L’ancien patron de PSA Peugeot Citroën et actuel président de Suez résume bien l’enjeu stratégique de cette question des approvisionnements pour les dix prochaines années : « le monde d’après sera sans carbone mais riche en métaux » a indiqué Philippe Varin indiqué lors d’une présentation à la presse.
La Chine a pris vingt ans d’avance sur l’Europe
Rien que pour l’industrie automobile, en dix ans d’ici 2030, la production de véhicules électriques représentera 50 % de la production mondiale et quelque 13 millions de ces engins circuleront en Europe. Pour fabriquer leurs batteries, les besoins en minéraux critiques vont exploser : doublement pour le cuivre, triplement pour le nickel, quadruplement pour le lithium voire les aimants permanents…
Or, « l’Europe est très en retard sur la Chine », a poursuivi l’ancien président de France Industrie, estimant que ce pays a pris le contrôle, ces vingt dernières années, de 40 à 60 % des chaînes d’approvisionnement dans ces minerais. En outre, leur production est très concentrée géographiquement : la production d’aimants permanents est par exemple à 90 % en Chine, celle de Cobalt est à 70 % en République démocratique du Congo.
Sachant qu’il faut 3 à 5 kilos d’aimants permanents pour fabriquer une batterie de véhicule ou d’éolienne offshore, cette situation va immanquablement « générer des tensions entre l’offre et la demande ». Et si le recyclage est essentiel et prometteur, étant en début de cycle, il n’aura pas « d’impact suffisant dans les dix ans ».
Quelque 38 projets de Gigafactories d’un total de 800 GWH (dont 200 en France) ont été lancées en Europe pour un montant global d’investissement de 50 milliards d’euros (Md EUR), « il faudra investir le même montant sur l’amont » complète Philippe Varin.
Un milliard d’investissement et appel à projets
Au-delà du diagnostic, ce rapport confié à Philippe Varin par le gouvernement en septembre dernier vise à apporter « une réponse concrètes » pour sécuriser les approvisionnements en ces minerais stratégiques de la France et de l’Europe.
Ses principales recommandations ont toutes été retenues par le gouvernement, dont la priorité est l’électromobilité. Il a lancé un premier appel à projet dès le 10 janvier et annoncé qu’une enveloppe de financements publics d’un milliard d’euros pris sur le budget du plan d’investissement France 2030, annoncé par le président Macron, y sera consacré, dont 500 millions en fonds propres et 500 millions en subventions.
-Première recommandation, la mise en place d’un fonds d’investissement « métaux stratégiques » dans l’amont, de la prise de participation dans des mines « responsables » aux activités de première transformation (raffinage…) et de recyclage à localiser en France et en Europe.
Les travaux préparatoires à la création de ce fonds, qui associera les acteurs publics et privés, ont été lancés dès le 10 janvier par les deux ministres Barbara Pompili et Agnès Pannier-Runacher. L’Etat le dotera d’un montant dans la limite des 500 millions d’euros pris sur le milliard issu de France 2030 mais l’approche retenue sera public-privé. Les ministres ont également lancé le chantier de l’élaboration d’une norme pour définir ce qu’est une mine « responsable ».
–Deuxième recommandation, la création de plateformes logistiques et industrielles pour localiser en Europe, et spécifiquement le territoire français, ces activités de première transformation et de recyclage. Deux sites ont d’ores et déjà été retenus : dans la filière batterie, Dunkerque pour les activités amont destinées à l’approvisionnement des deux futures gigafactories de batteries françaises, (notamment ACC de PSA/Saft à Douvrin et Envision à Douai) et Lacq, dans les Pyrénées-Atlantiques, pour les activités aimants permanent et recyclage.
-Troisième recommandation, se doter d’une feuille de route partagée entre les industriels et le monde scientifique et académique en matière de R&D mais aussi de développement des compétences en ingénierie et techniques dont auront besoin les gigafactories. C’est le CEA et le CNRS qui ont été mandatés pour élaborer cette feuille de route.
Parmi les autres recommandations, le soutien de la diplomatie dans la négociation par les industriels français de contrats d’approvisionnement à long terme en métaux stratégiques, un soutien acquis vu l’engagement de l’Etat dans cette problématique.
Observatoire, appel à projets et nomination d’un délégué interministériel dédié
Par ailleurs, les deux ministres ont annoncé la création d’un « Observatoire des métaux critiques » : il sera placé auprès du BRGM et travaillera en « lien étroit » avec le comité stratégique de filière Mines et métallurgie.
Concernant le premier appel à projet (AAP) « métaux critiques », il est ciblé sur « les métaux critiques à destination des filières industrielles stratégiques » et cible ceux qui « diminueront le degré de dépendance nationale vis-à-vis de fournisseurs extra-européens tout en développant les filières d’avenir garantissant la création de valeur en France et en Europe ».
Sont couverts les projets de création de nouvelles unités de production, d’investissements dans des unités existantes, et de développement et mise en œuvre à l’échelle industrielle de procédés technologiques innovants et économes en matières premières et en énergie.
Cet AAP est ouvert jusqu’au 30 janvier 2024, avec une première relève intermédiaire le 24 mai 2022, et le cahier des charges est accessible en ligne sur le site de Bpifrance*.
Enfin, un délégué interministériel à la Sécurisation de l’approvisionnement en métaux stratégiques sera nommé : il sera chargé de coordonner les administrations dans la mise en œuvre des décisions prises, en étroite collaboration avec les industriels. Son ou sa futur(e) titulaire n’est pas encore connu(e), Bercy s’étant mis en quête de cette perle rare.
Christine Gilguy
* https://www.bpifrance.fr/nos-appels-a-projets-concours/appel-a-projets-metaux-critiques