La Grande Ile à la dérive et « on ne voit pas comment les bailleurs de fonds vont parvenir à l’ancrer dans la réalité économique », vient de lâcher, un peu dépité, à la Lettre confidentielle un observateur averti de Madagascar. Les bailleurs de fonds ont beau avoir levé leurs sanctions et repris leur assistance, certains d’entre eux exigent toujours, avant d’octroyer à nouveau leurs prêts, des réformes structurelles – fiscalité, budget, infrastructures, santé, lutte contre la corruption, le trafic de bois de rose… – dans le cadre d’un programme d’accompagnement sur trois ans de type Facilité élargie de crédit (Fec). Mais prévue à la mi 2016, la conclusion d’une Fec a déjà été reportée plusieurs fois, Tananarive ayant fait jusqu’à présent la sourde oreille à toutes les demandes…
On comprend pourquoi les observateurs économiques s’accordent aujourd’hui à penser que la nouvelle échéance ne sera pas tenue et que, par conséquent, les « Rencontres avec des partenaires du développement et investisseurs pour Madagascar », annoncées cet automne à Paris, seront aussi reportées.
Instabilité politique et du secteur minier
En son temps, le président Ravalomanana (2002-2009) avait obtenu une enveloppe de 1,275 milliard de dollars, dont 570 millions ont été engagés avant son renversement par le maire de la capitale, Andry Rajoelina, qui l’a ensuite remplacé comme président de la Haute autorité de transition (2009–2014). Aujourd’hui, le régime du président Hery Rajaonarimampianina, au pouvoir depuis 2014, n’a pu arracher qu’une maigre Facilité de crédit rapide (FCR) de 42 millions de dollars, que lui avait refusée le Fonds monétaire international en octobre dernier (*).
Or, « à à peine deux ans des prochaines élections présidentielles, ses deux rivaux se sont déjà lancés dans une précampagne, qui risque d’ajouter l’instabilité politique à la désorganisation de l’économie », anticipe un fin connaisseur des arcanes malgaches. Pour avoir des chances de relancer la machine économique, il faudrait une croissance du produit intérieur brut (PIB) supérieure à 5 %, avec une inflation sous la barre des 8 %. Si le dernier objectif devrait être rempli cette année, en revanche, le PIB devrait progresser au mieux de 4 %. « Et si la macro-économie ne se porte pas bien, la micro économie et les grands dossiers non plus », ajoute l’interlocuteur de la LC.
Ainsi, alors que les cours des matières premières s’effondrent, voilà que les relations déjà difficiles avec l’exploitant du nickel de Moramanga, le groupe Sherritt, s’enveniment un peu plus. La compagnie canadienne reproche à l’Etat malgache de ne pas lui transférer ses titres fonciers et de ne pas tenir ses engagements, avec la suspension de ses dérogations fiscales et le non remboursement de la TVA qu’elle a versée. Le groupe minier menace d’arrêter de produire. Or, « ce sont 1 400 emplois directs qui sont en jeu et, si à ce chiffre, on intègre les familles et tous les indirects, on peut multiplier par 7 le chiffre des personnes qui seraient touchées par une suspension de l’activité », explique un consultant français.
Les boulets de la Jirama et d’Air Madagascar
Outre ce différent avec le groupe minier nord-américain, le gouvernement n’est toujours pas parvenu à trouver des solutions au boulet que constitue de longue date la mauvaise santé de la compagnie nationale d’eau et d’électricité de Madagascar Jirama et du transporteur aérien national Air Madagascar. Chacun s’interroge sur la volonté du milliardaire nigérian Dangote d’entrer dans le capital de Jirama. Tout comme sur celle du conglomérat malgache Sipromad, aux mains d’une famille karana (indo-pakistanaise), de participer au redécollage d’Air Madagascar.
« Aujourd’hui, rappelle notre dernier interlocuteur, le contexte politique et social est fluctuant et le président Hery, qui a déjà dû résister à deux tentatives de destitution, en surfant d’un camp politique à un autre, est fragilisé ». Selon lui, une instabilité politique encore plus poussée impacterait inévitablement « une reprise économique au demeurant hypothétique » et nuirait à d’éventuelles avancées en matière sociale.
François Pargny