Si l’Asie-Pacifique (APAC) a « envie de France », comme l’a montré le dernier forum mondial des conseillers du commerce extérieur (CCE) à Bali*, la réciproque semble vraie, ce qui est bon signe pour les perspectives commerciales de la France dans cette zone. En témoignent les quelque 41 PME et ETI françaises de divers secteurs qui ont participé début octobre à une mission d’accélération dans cette région organisée par Bpifrance et Business France, la première de cette ampleur en APAC (notre photo, avec tous les participants).
Chacune a bénéficié, dans le pays de son choix, d’un programme de rendez-vous très qualifiés sur deux à trois jours, avec un accompagnement de bout en bout de la part des deux organisations publiques françaises, incluant la présence physique d’un agent de l’une ou de l’autre à leur côté, dans les rendez-vous. Leurs responsables ont terminé leur périple à Nusa Sua, pour assister au forum des CCE, occasion d’un intense networking avec ces hommes d’affaires français déjà installés dans la zone. C’est là que Le Moci les a rencontrés, et sondés certains d’entre eux sur leur envie d’Asie-Pacifique. Retours d’expériences.
Gabriel Loyer, Silvadec :
« Cela fait longtemps que nous souhaitions nous développer dans l’hémisphère sud, pour équilibrer notre activité sur toute l’année »
Pour Silvadec, producteur de bois composites de haute qualité pour les aménagements extérieurs (terrasse, bardage, etc.) basé à Arzal, dans le Morbihan, l’international est déjà une orientation intégrée dans la stratégie de développement, ce qui lui a permi de décrocher de très beaux contrats de référence comme l’aéroport de Barcelone ou un complexe hôtelier de luxe sur une île artificielle à Dubaï. Elle réalise 30 millions d’euros de CA, dont un tiers à l’export, et vient de créer une usine en Allemagne pour adresser les marchés allemands et d’Europe de l’Est. Mais déjà numéro 1 de sa spécialité en Europe, elle souhaite aller plus loin : « Il y a une volonté de développement au grand export » confirme Gabriel Loyer, son responsable des ventes internationales.
C’est l’Australie qu’il a choisi pour cette mission, avec une idée bien précise en tête : « Cela fait longtemps que nous souhaitions nous développer dans l’hémisphère sud, pour équilibrer notre activité sur toute l’année : car avec le décalage des saisons, lorsque l’Europe est en hiver, l’Australie est en été » explique Gabriel Loyer. Autrement dit, décrocher des marchés en Australie permettrait de lisser l’activité sur l’année.
La mission d’accélération lui a permis d’obtenir des rendez-avec des clients potentiels, soigneusement ciblés, un mois à peine après avoir effectué une première visite en Australie. De quoi être optimiste sur les perspectives.
Jean-Christophe Allo, Sabella :
« Le plus dur est d’obtenir les premiers contacts, après, c’est un arbre qui se démultiplie»
Des archipels géants comme ceux des Philippines (9000 îles) ou d’Indonésie (17000 îles) sont des terrains de prospection idéaux pour Sabella. Cette jeune société bretonne créée en 2008 a développé la technologie innovante des turbines hydroliennes, des machines actionnées par les courants marins pour produire de l’électricité 100 % propre. Idéales pour alimenter des îles isolées habituellement électrifiées grâce à des générateurs au diesel. C’est elle qui a été à l’origine de la toute première turbine hydrolienne installée en France il y a deux ans, précisément au large de l’île Ouessant, par le groupe français Akuo Energy, premier producteur d’énergie 100 % renouvelable. Un démonstrateur pour attaquer aujourd’hui le marché mondial, dont l’Asie-Pacifique, où il y a des îles isolées à revendre.
Depuis cinq ans déjà, Sabella prospecte la zone. « On a un gros projet en phase de financement au Philippines pour une île de 15000 habitants, et 10 autres projets en phase d’études, de la faisabilité à l’ingénierie, en Indonésie » explique Jean-Christophe Allo. La société va installer un collaborateur à plein temps, en Malaisie, à compter de janvier 2018, pour mieux suivre les projets.
Pour la mission d’accélération d’octobre, c’est sur l’Australie que Jean-Christophe Allo a jeté son dévolu, ravi, comme nombre des participants à cette mission, de pouvoir profiter de la crédibilité offerte par l’accompagnement de deux organismes publics français : « Pour nous, c’est très compliqué d’ouvrir de nouveaux marchés car notre technologie est méconnue et nos interlocuteurs pertinents sont toujours à de haut niveau dans la hiérarchie, explique encore le responsable. Le plus dur est d’obtenir les premiers contacts, après, c’est un arbre qui se démultiplie». Arriver avec des solutions de financement est la cerise sur le gâteau, permise par Bpifrance.
Sabella, qui emploie 18 ingénieurs, ne gagne pas encore d’argent mais à levé des fonds à deux reprises auprès d’investisseurs privés et publics pour financer son développement. La première levée de fonds, de 4,5 millions d’euros, a permis de fabriquer le démonstrateur. A présent, « nous sommes en pleine phase de pré-commercialisation » précise Jean-Christophe Allo. La deuxième levée de fonds, de 8 millions d’euros en novembre 2016, qui a mobilisé des banques, dont Bpifrance, doit justement financer cette phase de mise en marché.
« Nous avons bien préparé le ciblage des interlocuteurs australiens avec Business France ce qui nous a permis d’obtenir un programme de 6 à 7 rendez-vous sur deux jours avec des ingénieurs, des énergéticiens, des investisseurs, des agences gouvernementales, estime Jean-Christophe Allo. C’est de la prospection amont mais nous n’aurions jamais été si vite en Australie sans cette mission ».
Natalie de Saeger, JRI :
« On a prévu de doubler notre chiffre d’affaires en Asie-Pacifique »
JRI, PME de 80 personnes et de 12 millions d’euros de chiffre d’affaires, est également dans un secteur pointu de l’industrie avec ses systèmes de surveillance de température sophistiqués qui trouvent leur application dans le domaine médical et l’industrie. Avec déjà un quart de ses ventes à l’exportation, elle n’est pas novice à l’export mais ce n’est que depuis deux ans qu’elle a décidé d’intégrer cette orientation dans sa stratégie de développement après avoir eu jusque là une approche plutôt opportuniste, au coup par coup, des marchés étrangers. « C’est pour cela que j’ai été recrutée en 2016, nous sommes en train de mieux structurer notre organisation » explique Natalie de Saeger, directrice commerciale export de JRI.
Dans cette perspective, Natalie de Saeger a entrepris de structurer la stratégie, de muscler le service export et d’intensifier la présence et l’activité commerciale de JRI dans des zones jugées prioritaires : « l’Asie et les Etats-Unis sont nos deux priorités en 2017 » explique-t-elle. « On a prévu de doubler notre chiffre d’affaires en Asie-Pacifique, zone qui génère environ 15 % de notre activité actuellement ». JRI a déjà trouvé un distributeur en Chine et vient d’installer un responsable de zone en Malaisie.
Restait toutefois à lever un obstacle de taille à son développement dans cette zone : dans cinq pays majeurs –Australie, Corée du sud, Inde, Japon, Taïwan- l’usage de la radio fréquence utilisée par les machines de JRI est interdit. La PME a donc développé une nouvelle offre basée sur une autre technologie et une autre fréquence, mais il restait à trouver l’opportunité de la promouvoir dans ces pays. C’est pourquoi, dès qu’elle a eu vent de cette mission d’accélération proposée par Bpifrance et Business France, Natalie Saeger a sauté sur l’occasion en choisissant Taiwan.
« L’intérêt était de rencontrer à la fois des utilisateurs finaux et des distributeurs potentiels », explique-t-elle. Ce qu’elle a fait, accompagnée d’un agent de Business France. Le résultat est plutôt positif : « le milieu hospitalier n’est pas encore mur pour notre produit mais il y a un réel marché dans la logistique et le stockage, par exemple de denrée alimentaires, estime la responsable. Il y a aussi un réel intérêt de la part de distributeurs ». A suivre, positivement.
Nicolas Monge, Delta Plus :
Braver le patriotisme économique japonais avec une offre d’équipement « de la tête au pied »
Dans un tout autre domaine de l’industrie, les équipements de protection individuelle, le groupe Delta Plus, une ETI de 1500 personnes et de 195 millions de chiffre d’affaires basée à Apt, dans le Vaucluse, est déjà très internationalisée : 85 % du CA réalisé hors de France, 51 % hors d’Europe, et un outil de production constitué de plusieurs sites en France et à l’étranger, dont en Asie (Inde, Chine, Sri Lanka). C’est pourquoi elle a saisi l’opportunité de cette mission d’accélération pour s’attaquer à un gros morceau : le Japon.
Le challenge ? Convaincre des groupes japonais plutôt adepte du patriotisme économique en faveur du Made in Japan de se fournir en casques, gants, chaussures et autres vêtements de protection auprès d’un groupe étranger. « Au Japon, les entreprises achètent leur consommables prioritairement auprès de fournisseurs japonais » confirme Nicolas Monge, le responsable de la zone Asie-Pacifique de Delta Plus, basé en Suzhou, en Chine. « Le marché n’est pas très ouvert à des produits étrangers, c’est un obstacle ».
Autant dire qu’il fallait arriver au Japon avec une offre vraiment différenciante. C’est le cas de Delta Plus dans son secteur : là où la plupart de ses concurrents japonais et européens arrivent avec une offre segmentée –l’un est dans la chaussure, l’autre dans les gants, etc.- lui arrive avec une offre « de la tête au pied ». « Nous sommes le seul à faire cela, et l’avantage pour le client est une meilleure traçabilité des produit et une baisse des coûts d’approvisionnement ». D’où l’intérêt de faire ce coup d’essai dans le cadre d’une mission bien préparée, avec un programme de rendez-vous très ciblés. Pour le moment, le ressenti est positif. A suivre.
Stéphanie Tosie, Carré d’artistes :
Singapour offre « un potentiel beaucoup plus large qu’au Japon ou en Corée du sud »
Quant à Carré d’artistes, une enseigne française de galeries spécialisée dans la vente d’œuvres d’art contemporain (toiles, collages…) à des prix abordables qui se développe depuis 2001 dans le monde entier via des boutiques en propre ou en franchise, elle est loin d’être un nouveau venu à l’international : 16 ans après avoir vendu sa première toile, Stéphanie Tosi, fondatrice et directrice générale de l’enseigne, compte 35 galeries dont 14 en France et 21 à l’étranger.
En Asie, le concept a pris. Déjà d’une galerie à Séoul, en Corée du sud, et deux autres à Shanghai, en Chine, où elle va bientôt ouvrir sa troisième galerie à Shenzou, dans un mall. « Nous vendons des œuvres d’art à des prix très accessibles et nous avons pour ambition de le faire dans le monde entier », explique Stéphanie Tosi, qui fait travailler aujourd’hui quelque 600 artistes dans le monde, dont 450 français. Partout, son concept non-élitiste de la diffusion d’œuvres d’art contemporain uniques fait mouche auprès d’une classe moyenne qui, si elle n’a pas les moyens de se payer un Van Gogh ou un Picasso, n’en est pas moins prête à investir quelques milliers d’euros dans des toiles de qualité. Et en Asie, le potentiel de développement est encore énorme.
Stéphanie Tosi a donc profité de l’opportunité de la mission d’accélération APAC pour aller à Singapour, hub commercial et financier pour toute l’Asie du sud-est. « Nous cherchons un partenaire franchisé capable de développer toute la zone » explique-t-elle. Et de confier avoir découvert dans cette cité Etat « un potentiel beaucoup plus large qu’au Japon ou en Corée du sud ». « Ça ouvre grand les yeux » ajoute-t-elle.
Au terme d’un programme de rendez-vous « très qualifiés » à Singapour, elle revient avec des contacts qu’il faudra suivre mais l’envie d’aller au bout de cette nouvelle aventure. Son challenge : trouver, comme en Chine, le partenaire qui, idéalement, doit avoir la capacité d’investir, aimer l’art mais aussi le côté révélateur de talents, agent d’artistes, de l’enseigne française.
Christine Gilguy, envoyée spéciale à Nusa Dua
Pour prolonger :
Mondial CCE / Export : quand l’Asie-Pacifique a « envie de France »…
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