Ancien vice-président d’EDF, Gérard Wolf préside la SAI Brics Access et la task force Ville durable de Medef International, qui regroupe 400 entreprises françaises du BTP, du transport, des énergies, de la gestion des déchets et de l’eau. Il revient pour Le Moci * sur les nouvelles exigences que le développement durable impose aux entreprises, notamment en matière de décarbonation, mais aussi sur les nouveaux marchés qu’il leur propose.
Le Moci. La décarbonation et plus généralement le développement durable ont le vent en poupe. Comment cela se traduit au niveau des villes?
Gérard Wolf. Le développement durable est souvent perçu comme quelque chose d’assez vague, qui fait chic dans les rapports de RSE. Derrière ça, quand on interroge les décideurs, les maires ou les gouverneurs, et les habitants des villes, ils ont tous la même compréhension de la durabilité. À savoir, trois éléments : la durabilité dans le temps ; la durabilité au sens environnemental et la durabilité sociétale.
D’abord, donc, des installations de bonne qualité qui durent dans le temps, qui sont entretenus régulièrement et opérées par des personnes formées. Pour la Banque mondiale ou un fonds d’investissement, pour que le projet passe un certain seuil de rentabilité, il faut qu’il dure. Et pour cela il faut qu’il soit opéré de manière sérieuse pour éviter les pannes. Concrètement, former des opérateurs locaux est un élément très important de durabilité et il n’a pas toujours été suffisamment pris en compte par les donneurs d’ordres.
« Il y a de réels savoir-faire français, avec des leaders mondiaux, bien connus, mais aussi des ETI, PME et start-up »
Le Moci. La durabilité inclut également les questions environnementales.
G. W. Pour nous, c’est la deuxième durabilité et elle est tout aussi importante. C’est celle qu’entendent les investisseurs et monsieur et madame Toutlemonde. On peut la décliner sur les quatre services essentiels que sont l’eau et l’assainissement, les déchets, les énergies et les transports urbains. Sur tous ces sujets il y a de réels savoir-faire français, avec des leaders mondiaux, bien connus, mais aussi des ETI, PME et start-up. Pendant le premier confinement, beaucoup d’expatriés sont restés sur place pour faire fonctionner les services essentiels des villes. Les maires avaient besoin d’eux.
On retrouve des PME, en particulier dans la gestion des déchets où elles sont très présentes, mais aussi de jeunes pousses comme Mascara Renewable Water, qui dessale de l’eau de mer grâce à des panneaux solaires autonomes et potabilise de l’eau sans émission de CO2 là où l’approvisionnement en énergie est problématique. Dans l’électricité renouvelable on trouve de nombreuses pépites françaises comme Akuo et Voltalia qui sont présentes à l’international.
Il ne faut pas non plus oublier la durabilité sociétale dont on pourrait penser que ce n’est pas de l’industriel. C’est tout l’inverse. Faire du sociétal, ce n’est pas pour faire joli. Par exemple : se concentrer que dans les centres d’affaires sans prendre en compte les transports des travailleurs habitant en périphérie n’a pas de sens. C’est essentiel d’être dans cette logique d’inclusivité.
« La décarbonation a des conséquences très concrètes
pour les entreprises»
Le Moci. Concernant la décarbonation, le mouvement est-il global ou existe-t-il une distorsion réglementaire entre d’un côté des pays à la pointe et de l’autre des pays moins exigeants ?
G.W. Les degrés d’appropriation sont divers. Mais sur les pavillons des pays à la Cop 26 l’an dernier, on a pu constater un certain nombre d’invariants dans les appels d’offre sur la construction décarbonées, comme par exemple l’introduction du BIM, le Building Information Modeling, une maquette numérique qui permet d’améliorer la maintenance prédictive et de mesurer l’impact sur l’environnement de différentes options de matériaux, par exemple. Si vous souhaitez répondre à ces appels d’offre, il faut que votre offre inclue un BIM.
La décarbonation a des conséquences très concrètes pour les entreprises. Quand le premier cimentier français Vicat répond sur l’Andhra Pradesh (ndlr. État du sud de l’Inde), un contrôleur local vérifie que son béton est bien bas-carbone.
Le Moci. En France, la Base Carbone est un référentiel de bilan carbone qui fait autorité. Assiste-t-on en ce moment à une concurrence mondiale des référentiels ?
G. W. Concernant le béton ce sont des références internationales donc c’est relativement simple à élaborer. Comme toujours, certains ont un volant à gauche, d’autre à droite et ça fait partie de la vie de nos entreprises de s’adapter. La méthodologie française devient un modèle en Europe. Au niveau mondial, les entreprises américaines font tout pour que les référentiels de décarbonation leur soient plus favorables que les systèmes européens. Ça ne concerne pas que la décarbonation, ça fait partie de la guerre commerciale.
En revanche, les basiques des mesures de décarbonation des plans de relance, qu’ils soient américains, asiatiques ou africains sont quand même les mêmes. Ce qui est différent, c’est le niveau admis par tel ou tel pays.
« Cette décarbonation est demandée par tout le monde »
Le Moci. Comment les entreprises accueillent-elles les exigences de la décarbonation ?
G. W. Cette décarbonation est demandée par tout le monde. La neutralité carbone à 2050 est un objectif partagé. D’abord, par les marchés financiers. Pour les sociétés cotées et les fonds d’investissement, c’est aujourd’hui dans leurs exigences. Comme disait un chef d’entreprise d’une ETI française en rigolant dans une conférence : « Même si ça m’enquiquine ce sujet-là, j’ai aucun risque de pouvoir y échapper ! » Pourquoi ? Parce que les actionnaires le demandent, mais aussi les salariés, les clients et les citoyens. Les chefs d’entreprise n’ont plus de choix et sont d’ailleurs les premiers convaincus de cet impératif.
Du côté des institutions financières internationales, la Banque mondiale et d’autres, les fonds d’investissements, sont aujourd’hui eux-mêmes notés sur des critères environnementaux. Dans le cas où un pays, ou une ville, autofinance, ils peuvent également craindre pour leur rating. Finalement tout le monde comprend qu’il faut aller de l’avant.
Le Moci. La décarbonation est au centre des débats de la politique commerciale européenne. Qu’attendez-vous de la présidence française ?
G. W. Nous allons profiter des plans de relance axés sur la transition écologique et la transition digitale et ce que nous attendons, c’est une accélération de la décarbonation. En Afrique, la population urbaine va tripler en trente ans. Kigali, c’est aujourd’hui 1,5 million d’habitants et elle en comptera 3,6 millions en 2050. Partout dans le monde, les pays demandent de mettre le booster sur la décarbonation urbaine.
Propos recueillis par
Sophie Creusillet
*Interview qui sera publiée, avec de nombreux autres témoignages d’entreprises, dans le numéro spécial du magazine Moci consacré à « Décarboner l’export », à paraître début mars prochain. Réservé aux abonnés. Pour plus d’informations, cliquez ICI.