Six mois après l’accident nucléaire de Fukushima, le pays le plus énergivore au monde va-t-il mettre un coup de frein à son – très – ambitieux calendrier nucléaire ? Chez EDF, c’est la question tabou, à laquelle personne aujourd’hui n’ose répondre.
« Tout le monde attend une position claire du gouvernement chinois », explique un diplomate européen en poste à Pékin. Ledit gouvernement avait pourtant confirmé en mars la poursuite de son programme, qui prévoit la construction d’ici à 2020 de plusieurs unités, capables de fournir une capacité totale de 40 à 60 GW (en plus des 10 GW actuellement installés).
Le président de CNNC (China National Nuclear Corporation), Sun Qin, avait alors déclaré que l’accident au Japon n’affecterait pas « le développement à long terme » de l’industrie nucléaire chinoise. Faut-il encore le croire, alors que, fin juin, le gouvernement suspendait les autorisations pour de nouvelles centrales dans l’attente de la ratification d’un plan mondial d’amélioration de la sûreté nucléaire ? « Les fondamentaux de l’énergie restent inchangés, commente-t-on chez Areva. D’ici à 2050, les besoins en énergie devraient doubler tandis que la production de CO2 devra être divisée par deux. »
Pour Vanatome, le bouleversement du calendrier est une aubaine
La perspective du retard des programmes nucléaires chinois ne fait pas que des malheureux. Pour certains Français, présents sur place, c’est même une aubaine. C’est le cas de la PME Vanatome, basée dans la Drôme, spécialisée dans la construction de vannes nucléaires, en joint-venture en Chine depuis un an avec HE Harbin Power Plant Valve (HPPV), une filiale de production de vannes du groupe HE Harbin Power, un des trois « boiler groups » chinois du nucléaire avec Dongfang Boiler et Shanghai Boiler.
« Nous ne pourrons répondre à des appels d’offres que dans un an ou deux. Le marché reprendra à ce moment-là. C’est donc un timing parfait pour nous », soutient son Pd-g, Jean-Marc Husson, qui envisage de renforcer très vite ses équipes à Pékin et dans le nord-est de la Chine. L’homme y croit dur comme fer. « La Chine, de toute façon, soutient-il, ne peut pas se passer du nucléaire… »
P. T.
Le drame de Fukushima aura toutefois obligé Pékin à marquer un temps d’arrêt et de réflexion sur la question nucléaire. À l’occasion de la première conférence organisée à Vienne par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) avant l’été, le représentant du gouvernement chinois appelait en effet à tirer les leçons de la catastrophe, à renforcer les standards de sûreté et l’échange d’informations entre pays. « Un audit est par ailleurs en cours sur les centrales chinoises en fonctionnement et en construction, rappelle Alain Tournyol du Clos, conseiller nucléaire à l’ambassade de France à Pékin. Bien que nous n’ayons pas les résultats détaillés de cet audit, il est clair qu’un certain nombre de mesures de renforcement de la sûreté ont été décidées, centrale par centrale. Par exemple, pour certaines il a été prévu de rehausser les digues de protection contre l’inondation. » Cette nouvelle politique peut-elle avoir un effet sur l’offre française sur place – notamment sur la construction des deux réacteurs EPR sur le site de Taishan ? Chez Areva toujours, on est confiant. « La construction des deux réacteurs se poursuit normalement », assure-t-on depuis le siège à Paris. « Notre collaboration avec nos partenaires chinois [dont le mastodonte du nucléaire CGNPC, ndlr] a permis en outre de tisser d’importants liens industriels, et les discussions se poursuivent sur d’autres projets », ajoute-t-on. Le groupe vient d’ailleurs de créer une co-entreprise avec un institut de recherche chinois pour la construction et la maintenance de l’instrumentation du cœur de réacteur des centrales type CPR 1000.
Quoi qu’il en soit, après le gel des autorisations pour de nouvelles centrales, le calendrier nucléaire chinois va inévitablement être bousculé.
Pierre Tiessen, à Pékin