Une simple promenade dans les rues de Nicosie, ponctuées d’enseignes de banques, donne une idée de l’importance du secteur bancaire. Chypre compte 800 000 habitants et 41 banques, dont 33 étrangères.
La Russian Commercial Bank, le Crédit libanais, Alpha Bank, Barclays, la Jordan Kuweit Bank… Tout le monde est là. Le secteur représente 9 % du PIB et emploie entre 12 000 et 13 000 personnes, principalement chypriotes. Les actifs de tous ces établissements représentent… neuf fois le PIB du pays.
Hypertrophié, le secteur a fort heureusement échappé à la crise financière. « Les banques chypriotes n’avaient pas de produits toxiques, explique Elias Mallis, économiste au ministère des Finances. À Chypre, nous n’avons pas senti la crise financière. Mais nous avons été touchés par ses conséquences, à savoir la récession économique qui a atteint notre économie, à la fois très petite et très dépendante de l’extérieur. »
Mais une autre crise pourrait faire vaciller le secteur. Les trois plus grandes agences de notation ont récemment dégradé la note de Chypre : Standard & Poor’s (deux fois depuis novembre 2010), Moody’s en février et Fitch, fin mai. À chaque fois, elles ont avancé l’exposition du secteur bancaire chypriote à la crise grecque.
Environ un tiers des actifs seraient touchés, incluant 14 milliards d’euros d’obligations d’État et 5 milliards d’euros détenus par les banques grecques. Si l’État et les banques grecs venaient à s’effondrer, Chypre serait aspirée dans la tourmente.
Un scénario auquel ne croit pas Elias Mallis : « Les deux banques qui disposent d’importants dépôts en Grèce, la Bank of Cyprus et la Marfin Popular Bank, ont pris des mesures défensives et elles les mèneront jusqu’au bout. »
Pour Michael Kammas, directeur général de l’Association des banques chypriotes, la difficulté n’est pas insurmontable : « Cinq milliards d’euros, c’est gérable. Et le système bancaire chypriote est solide. Sur les trois dernières années, il est resté profitable et il n’y a eu aucun licenciement. Entre janvier et avril, les dépôts ont augmenté de 1 % et même de 7 % pour les non-résidents. Les banques ont toutes passé avec succès les tests de résistance européens. Un rapport du Fonds monétaire international datant de février souligne que les banques chypriotes ont suffisamment de liquidités pour faire face à la crise grecque. »
Pour soutenir ce secteur clé, le gouvernement a proposé de créer un fonds de stabilité. Une mesure approuvée par le parlement le 14 avril. La Banque centrale devrait lancer en septembre ce fonds alimenté pendant deux ans par une taxe de 0,095 % sur les dépôts. Le gouvernement espère lever ainsi 120 millions d’euros, dont 70 millions iront dans les caisses de l’État, tandis que 50 millions seront reversés au fonds, géré par la Banque centrale.
Ce qui inquiète nettement plus les acteurs du secteur bancaire, c’est le déficit de l’État chypriote qui s’est creusé avec la récession et fait craindre une perte de confiance des investisseurs. Petit pays, très dépendant d’un secteur bancaire démesuré, l’île n’est pas le Luxembourg. En cas de coup dur, il n’est pas sûr que Chypre puisse sauver ses banques.
Alors qu’en 2008, l’excédent budgétaire équivalait à 0,9 % du PIB et la dette publique à 48 % du PIB, en 2010, Chypre a affiché un déficit budgétaire de 5,3 % du PIB et la dette publique a atteint 61 % du PIB. « Le gouvernement doit réduire ses dépenses », plaide Michaël Kammas.
Et pourquoi ne pas jouer sur les deux tableaux et exiger également une hausse du taux d’imposition sur les sociétés ?
Dans un pays, où la fiscalité de l’entreprise est une des plus douces de l’Union européenne, la question est tout simplement incongrue. Mais le problème des finances publiques subsiste.
Sophie Creusillet
Une présence française indirecte
• En janvier 2010, la Société Générale de banque du Liban (SGBL) a racheté les parts de la Société Générale France, soit 57 % du capital, dans la Société Générale de Chypre, qui dispose de sept agences. La Société Générale de Chypre est née en 1985 d’un partenariat avec le groupe libanais Sehnaoui et la Belgium générale de banque.
• Le Crédit Agricole dispose de 11 agences à Chypre via Emporiki, une banque grecque dont elle a acquis la majorité du capital en août 2006 après un combat acharné avec la Bank of Cyprus. Mi-juin, l’agence de notation Moody’s a annoncé qu’elle envisageait de baisser la note de la banque française en raison de son exposition à la crise grecque. Moody’s a cependant précisé que cette dernière concernait surtout des créances privées.
• BNP Paribas a fermé ses portes le 30 juin. Implantée à Chypre depuis 1986, la banque aura servi pendant 25 ans une clientèle d’entreprises du secteur du transport maritime. À Paris, la banque explique que « le marché est trop petit et maintenir une équipe de 10 personnes pour des dossiers qui peuvent être gérés ailleurs n’est pas forcément rentable. Il ne faut pas y voir la conséquence de la crise financière, mais une mesure d’ajustement ». Les dossiers seront désormais suivis depuis Londres, Genève, Paris ou Athènes, « en fonction des clients et de leurs besoins », assure la banque.
S. C.