Les Européens ont confirmé le lancement d’un « paquet » d’investissement de 150 milliards d’euros sur 5 ans, dans les infrastructures, la santé et l’éducation, à l’issue du 6ème Sommet Union européenne – Union africaine le 18 février à Bruxelles. Les deux blocs ont promis « un partenariat renouvelé pour la solidarité ». Que peuvent attendre les entreprises des deux continents de cette promesse ? Décryptage.
Les mots ont du sens, les symboles aussi. Quel peut être celui du « partenariat renouvelé pour la solidarité » évoqué par le communiqué final de ce sixième Sommet UE-UA* sous présidence française de l’UE (PFUE), comme toujours un peu convenu et technocratique ?
On en a eu un aperçu lors d’un événement organisé le 16 février, la veille du Sommet, par l’Agence française de développement (AFD) à Paris dans les locaux de Station F, le plus gros incubateur de startup d’Europe, sur le thème « investir ensemble pour une nouvelle Alliance entre l’Afrique et l’Europe ». Clôturé par Macky Sall, le chef de l’Etat du Sénégal et président en exercice de l’Union africaine (UA) et le président français Emmanuel Macron, il a donné un peu de consistance à des concepts jusqu’à présent généraux et théoriques.
L’urgence de la relance post-Covid
Il y a urgence, et certaines promesses tardent à se concrétiser : « Cela fait deux ans que nous souffrons, que nous résistons » a déclaré le président en exercice de l’UA.
La Covid-19 et son impact dévastateur sur l’économie et le commerce mondiaux ont stoppé net la dynamique de croissance des pays africains alors que 70 % de leur population a moins de 30 ans. Ce qui attise le mécontentement des populations.
Or, un certain nombre de pays européens, dont la France, se sont engagés à réallouer à l’Afrique une partie de leur part des 650 milliards de dollars de DTS que le FMI a approuvé en août 2021 pour atténuer les effets de la crise sanitaire au niveau mondial. Mais cette manne tarde à se concrétiser pour des raisons techniques. « Maintenant, nous attendons l’argent » a lancé le président sénégalais.
« Changer le logiciel de la relation Afrique Europe »
Le cadre ainsi posé, qu’en a-t-on retenu d’intéressant pour les milieux d’affaires des deux continents ?
Les nouveaux mots clés entendus tout au long des tables rondes à Station F sont appelés à s’incruster dans le « récit » de la relation Afrique France, mais aussi Afrique Europe. Ce sont « ensemble », « solidaire », « investissement solidaire » …
Il s’agit d’en finir avec la « relation donateur-bénéficiaire » pour s’engager dans un « partenariat gagnant-gagnant » a décrypté dans une vidéo Jutta Upperllainen, Commissaire européenne aux Partenariats internationaux.
Le sujet, c’est « changer le logiciel de la relation Afrique Europe » a complété pour sa part le président français, qui s’est déjà attelé à la tâche de changer celui de la relation Afrique France avec le nouveau Sommet Afrique France de Montpellier qui, en octobre dernier, a accueilli en priorité les représentants de la société civile et la jeunesse.
Les mots « développement », et encore plus « aide au développement », que rejettent les nouvelles générations de dirigeants et jeunes africains, seraient ainsi délaissés au profit de « travailler ensemble » en portant un « agenda commun », prenant en compte les solutions africaines et non pas importé clés en main de Bruxelles. Le président français a même suggéré de modifier le nom de l’AFD, pour y intégrer celui « d’investissement solidaire ». Une réflexion est en cours, a assuré Rémy Rioux, le patron de l’AFD.
L’aide au développement doit donc laisser place à une démarche « d’investissement solidaire », public privé, nourrie « des dynamiques endogènes », notions chères à Achille MBembé, philosophe et universitaire auteur d’un rapport sur la nouvelle relation France Afrique remis à Emmanuel Macron pour le nouveau Sommet Afrique France de Montpellier, en octobre dernier. Il inspire largement la nouvelle politique africaine de la France portée par l’Elysée, qui se veut plus proche des aspirations des jeunesses africaine et française.
Davantage passer par les institutions financières africaines
Les fonds européens pourraient ainsi davantage passer par les banques de développement régionales et locales africaines et autres fonds et institutions financières africains, plus proches du terrain et si précieuses au secteur privé quand il s’agit de « dé risquer » ses investissements, comme l’a rappelé Thierry Déau, le P-dg du groupe Meridiam.
Certains de leurs représentants se sont d’ailleurs brillamment exprimés lors de l’événement à Station F à l’instar d’Akinwumi Adesina, le président de la Banque africaine de développement (BAD), de Grace Muliisa, directrice générale d’Ecobank Ouganda, de Jean-Michel Severino, président d’Investisseurs & Partenaires. Sans oublier Papa Amadou Sarr, ministre en charge de la fameuse Délégation générale à l’entrepreneuriat rapide des femmes et des jeunes, DERFj, structure qui a réussi à mobiliser 80 milliards de F CFA dans 20 000 startup sénégalaises en quelques années en sortant des sentiers battus, avec le soutien de bailleurs de fonds comme l’AFD.
Signe des temps, Ambroise Fayolle, le vice-président de la Banque européenne d’investissement (BEI), a annoncé que son institution va organiser pour la première fois cette année à Abidjan un événement commun avec la BAD sur les infrastructures « afin de mieux connaître les banques de développement africaines ». « Avec la crise, on a découvert qu’il fallait davantage soutenir les institutions financières africaines, y compris par des engagements capitalistiques » a-t-il justifié, citant la BOAD, Afreximbank ou la TDB d’Afrique australe.
Les promesses de Team Europe
Déjà, et c’est une bonne nouvelle pour ses partenaires, l’Europe a commencé à remettre à plat ses propres contradictions : elle travaille elle-même davantage en « équipe » pour éviter que ses multiples institutions financières, communes et nationales, n’agissent en ordre dispersé, avec chacune ses stratégies, ses plans d’action et ses procédures, un véritable cauchemar technocratique pour les acteurs africains (et européens). Depuis deux ans, on parle même de « Team Europe ». Avec la promesse d’une harmonisation et d’une simplification des procédures pour ne pas alourdir inutilement la tâche des administrations africaines.
Pour l’heure, les contours du plan à 150 milliards d’euros sont encore flous mais les intentions correspondent aux discours : il doit permettre de drainer davantage d’investissements privés « à grande échelle » vers les infrastructures durables sur le continent, la santé et l’éducation, « en s’appuyant sur les initiatives et partenariats existants » et en tenant compte « des priorités et des besoins des pays africains ».
Un recensement des projets à travers le continent aurait été effectué, un premier pas vers une issue concrète. La mise en place d’un comité de suivi a été annoncé. La France, qui a multiplié les initiatives en faveur de l’entrepreneuriat africain et des partenariats avec les entreprises françaises ces dernières années, via le groupe AFD ou Bpifrance, y pousse fortement.
Après Choose Africa, destiné à drainer les investissements privés dans des projets d’entreprises africaines, Franck Riester, son ministre en charge du Commerce extérieur, a ainsi lancé officiellement, le 17 février à Station F, une nouvelle Communauté Afrique-France entrepreneurs en ligne.
La santé pourrait être, à cet égard, un test grandeur nature pour la capacité des Européens à joindre les actes à la parole. Alors que l’UE a déjà livré 450 millions de vaccins en moins de deux ans grâce à cette nouvelle dynamique « Team Europe », elle s’est engagée à mobiliser 425 millions supplémentaires pour la lutte contre la Covid-19. Elle a également décidé de poursuivre son soutien à la production locale de vaccins : elle a prévu d’investir 40 millions d’euros dans les six pays désignés par l’OMS pour développer des sites de production (Afrique du sud, Sénégal, Egypte, Kenya, Nigeria, Tunisie).
A suivre…
Christine Gilguy
Focus : les orientations sectorielles du paquet d’investissement européen
S’inscrivant dans la stratégie « Global Gateway », lancée par la Commission européenne en septembre 2021, « le paquet d’investissements a pour but de stimuler les investissements publics et privés en s’appuyant sur les initiatives et les partenariats existants ». Voici les priorités sectorielles :
-des investissements dans l’énergie, les transports et les infrastructures numériques alignés sur le deuxième plan d’action prioritaire du programme de développement des infrastructures en Afrique (PIDA-PAP II) ;
-une transition énergétique juste et équitable, tenant compte des orientations spécifiques et diverses des pays africains en ce qui concerne l’accès à l’électricité ;
-la transition écologique, y compris le soutien à la mise en œuvre des contributions déterminées au niveau national (CDN) et des plans nationaux d’adaptation (PAN) des pays africains au titre de l’accord de Paris afin de renforcer l’adaptation et l’atténuation ;
-la transformation numérique au service d’une connectivité de confiance par des investissements dans les infrastructures et un accès abordable et amélioré à l’économie numérique et à l’économie des données, tout en stimulant l’entrepreneuriat et les compétences dans le domaine numérique ;
-la croissance durable et la création d’emplois décents, notamment en investissant dans la création d’entreprises appartenant à des jeunes en Afrique ;
-la facilitation des transports et l’efficacité de réseaux de transport connectés ;
-le développement humain, notamment en renforçant la mobilité et l’employabilité des étudiants, des jeunes diplômés et des travailleurs qualifiés.
Le paquet soutiendra aussi l’industrialisation et le développement de chaînes d’approvisionnement et de valeur durables et résilientes. Ce paquet sera complété par des paquets spécifiques visant à soutenir les systèmes de santé et d’éducation.
*Le communiqué final du Sommet UE-UA est téléchargeable ci-après