« Les troubles politiques ont fait que la Côte d’Ivoire a raté le train du développement économique en Afrique dans les années 2000. Depuis le retour de la paix, ce pays est en phase de rattrapage», a affirmé Vincent Caupin (notre photo), économiste, responsable de la division Analyse macroéconomique à l’Agence française de développement (AFD), le 15 octobre, soit dix jours avant les élections présidentielles (25 octobre).
A cette occasion, l’AFD a dévoilé une étude, intitulée « les enjeux de la nouvelle croissance ivoirienne ». Selon son auteur, Hélène Ehrhart, économiste de la division Analyse macroéconomique et risque pays, « après le déclin des années 80 », encore caractérisé par une récession de 4,5 % en 2011, le « rebond économique » de la première puissance économique de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), avec un taux moyen de croissance de 8 % en 2012, est le fruit d’une « consommation des ménages soutenue, premier contributeur à la croissance » et d’une politique d’investissements publics faisant l’objet d’un consensus compte tenu des dommages importants causés par la guerre aux grandes infrastructures.
Le cacao alimente la consommation intérieure et le budget public
L’agro-industrie et le cacao ont un impact considérable à la fois sur le développement économique et la consommation des ménages (alimentation, petit électroménager…). Sur une population globale de 23 millions d’habitants, 5 millions de ménages vivent de la culture du cacao, dont la Côte d’Ivoire a été le premier producteur mondial lors deux dernières campagnes avec une part de 40 %. Des réformes favorables au petit producteur ont été introduites à partir de 2012. Par exemple, la part du prix international qui lui est redistribué a été augmentée à 60 %. Pour la campagne actuelle, le prix minimum garanti au planteur est passé de 850 à 1 000 francs CFA le kilo. Pour l’État, le cacao est aussi essentiel, fournissant en moyenne 15 % des recettes publiques.
Feu de paille, risque d’écroulement ? Non, a répondu Hélène Ehrhart, pour qui ce pays d’Afrique a commencé sa diversification avec la transformation du cacao. « Il s’agit du premier transformateur mondial devant les Pays-Bas », a-t-elle précisé, avant de souligner l’essor de la noix de cajou, dont « la Côte d’Ivoire est devenu le principal exportateur mondial », et la relance du maïs, du coton, du caoutchouc, ce pays africain étant devenu « le premier exportateur africain d’hévéas ».
L’investissement demeure trop faible
Quant à l’investissement public, il a été soutenu dans le cadre du plan national de développement (PND) 2012-2015, prolongé par un 2e PND jusqu’en 2020, date fixée par le président Alassane Ouattara pour parvenir à l’émergence économique. « Par rapport aux années 2000, l’investissement public a doublé, représentant ainsi 6 % du produit intérieur brut (PIB), ce qui a permis également aux investisseurs privés de reprendre leur activité », s’est félicitée Hélène Ehrhart, tout en reconnaissant que le taux global d’investissement reste « faible » à 17 %, alors qu’il s’élève à 20 % en moyenne en Afrique subsaharienne et même 23 % dans l’Uemoa.
Et pourtant il y a eu des réformes en matière d’environnement des affaires (ouverture de tribunaux de commerce, simplification pour la création d’entreprises…), ce qui a valu à la Côte d’Ivoire de faire un bond au classement Doing Business pour la facilité des affaires de la Banque mondiale, en passant à la 147e place en 2015 (177e en 2012), après avoir figuré en 2013 et 2014 dans le Top 10 des économies avec un climat des affaires amélioré. Même la corruption y a reculé d’après Transparency International : la Côte d’Ivoire est tombée du 151e au 115e rang entre 2008 et 2014. En revanche, le secteur bancaire (26 établissements, le plus important tissu de l’Uemoa) reste frileux, « le crédit au secteur privé, selon l’économiste de l’AFD, y atteignant juste 18 % du PIB », alors qu’il « parvient en moyenne à 30 % en Afrique subsaharienne ».
Un développement économique contraint par l’évolution politique et sociale
Enfin, il y a la stabilité politique, si essentielle à la confiance des investisseurs. « Tout laisse penser que les élections qui viennent vont se passer dans un climat apaisé », indiquait Christelle Josselin, coordinatrice à l’AFD pour la Côte d’Ivoire et le Liberia, tout en insistant sur le fait que « les investisseurs attendent 2016 pour revenir ». Decathlon veut frapper un grand coup en Côte d’Ivoire, de même que la Fnac, qui vient d’annoncer son intention d’ouvrir deux magasins. Eux, semble-t-il, ne craignent pas que le chef de l’État n’aboutisse pas dans sa volonté de conduire à terme la réconciliation nationale .
En outre, le gouvernement doit mener rapidement un certain nombre de réformes structurelles, comme le foncier. « La population étrangère compte pour 25 % et elle n’a pas accès à la propriété foncière », a mentionné Christelle Josselin, qui a aussi mis l’accent sur le mauvais indice de développement humain (IDH) de la Côte d’Ivoire, classée en 171e position sur 190 nations recensées par le Programme des Nations Unies pour le développement (Pnud). « L’éducation, l’espérance de vie, la planification familiale… il faut une politique publique améliorée et un développement sur tout le territoire », pointait la responsable de l’AFD. Dans un pays où nombre de jeunes diplômés ne trouvent pas d’emploi, où le taux de chômage global est élevé (9,4 %), l’enjeu social est au moins aussi important que le chalenge économique et le défi politique.
François Pargny