Le degré de dépendance de l’Europe du gaz et du pétrole russes est à juste titre une donnée clé dans les tensions actuelles entre les dirigeant occidentaux et les autorités moscovites à propos de la crise ukrainienne et, surtout, de la question de la Crimée.
Hier 10 mars, alors que le géant russe Gazprom venait de menacer d’interrompre ses livraisons de gaz à l’Ukraine, Donald Tusk, Premier ministre de la Pologne, plaidait pour « une certaine révision de la politique énergétique » de l’Union européenne (UE). Deux jours avant de recevoir la chancelière allemande Angela Merkel, le chef du gouvernement polonais s’est aussi inquiété de « la dépendance de l’Allemagne du gaz russe », qui, a-t-il assuré, risque de limiter « la souveraineté de l’Europe ».
Qu’en est-il exactement ? Lemoci.com a essayé d’y voir plus clair à travers les statistiques d’importations et d’exportation des principaux protagonistes, notamment celles de la base de donnée GTA de la société GTIS.
La France moins dépendante de la Russie que l’Allemagne
Premier constat, on parle bien de gaz et pas d’hydrocarbures. Car si l’Allemagne est réputée pour dépendre de la Russie pour plus du tiers de ses approvisionnements de gaz, cette part est beaucoup plus faible pour l’ensemble des hydrocarbures. Ainsi en 2013, elle s’élevait à peine à 18 %, représentant une valeur de 23,9 milliards d’euros. Ce qui est valable pour l’Allemagne est, au demeurant, valable pour la France, bien que la démonstration soit un peu plus difficile.
En effet, la France aurait importé l’an dernier pour plus de 9 milliards d’euros, soit 10,92 % de la totalité de ses besoins d’hydrocarbures, de Russie, qui serait ainsi devancée, comme pays fournisseur, par… la Belgique, avec un montant de 12,7 milliards d’euros. L’explication réside dans le fait qu’une grande partie du produit russe transporté par gazoduc est comptabilisée en Belgique, alors que sa destination finale est l’Hexagone. Par extrapolation, on peut donc estimer à environ 18 milliards la valeur réelle des achats d’hydrocarbures en Russie.
D’après une note de Morgan Stanley, l’ouest de l’UE (Belgique, Pays-Bas, Espagne, France, Royaume-Uni, Italie) tire entre zéro et le quart seulement de leur consommation de gaz de Russie, tandis que d’autres pays sont plus dépendants, comme l’Allemagne, l’Autriche, la Pologne…. La Finlande et les pays baltes seraient, eux, très dépendants, tandis que la Roumanie encore couvre une grande partie de sa consommation avec sa propre production gazière.
Royaume-Uni, Japon, Chine : des fournisseurs diversifiés
En matière d’hydrocarbures, le Royaume-Uni achète plus de produit en Norvège et aux Pays-Bas qu’en Russie. Avec un montant de 6,1 milliards d’euros en 2013, il ne dépendait ainsi de la Russie que pour 9,28 % de ses approvisionnements. Premiers importateurs en valeur avec environ 23 milliards d’euros de janvier à novembre 2013, les Pays-Bas ont affiché un taux de dépendance de 22,6 %. Le taux de dépendance le plus élevé parmi les grandes nations de l’UE est à mettre au passif de l’Italie, avec 23,68 %, correspondant à un montant d’achats de 15,58 milliards d’euros pendant la même période. Dans l’ensemble de l’UE, c’est la Lettonie qui affiche la plus forte dépendance : 28,9 %, ce qui a représenté une valeur d’achats de 593 millions d’euros l’an dernier.
Pour l’ensemble du continent européen, c’est évidemment l’Ukraine, qui subit la plus forte attraction de la Russie, avec un niveau de dépendance de 68 %, soit 10,84 milliards d’euros l’an passé. A l’inverse, les nations asiatiques tirent parfaitement leur épingle du jeu, car ils ont su se diversifier, le Japon avec les pays du Golfe et l’Australie et la Chine avec l’Arabie saoudite et l’Angola. Avec respectivement 14,6 milliards et 20,2 milliards d’euros d’achats en 2013, ces deux Etats, huitième et dixième acheteurs d’hydrocarbures russes, encadrant ainsi la France, n’ont réalisé que 6,88 % et 8,54 % de leurs importations d’hydrocarbures en Russie. En outre, la Chine en un an a plus que divisé par deux ses approvisionnements chez ce client.
Chine, Allemagne : les principaux exportateurs en Russie inquiets
En revanche, Pékin a tout à craindre de la baisse du rouble, la monnaie russe, et de l’effondrement du marché russe. En effet, l’ex-Empire du Milieu est le premier client de l’ex-pays des tsars, avec une part de marché de 18 % en 2013, loin devant l’Allemagne, avec 12,34 %, d’après la base de données GTA/GTIS. Toutefois, si 45 % des ventes chinoises sont composées de matériel électrique, de machines et produits mécaniques, dans la même proportion, les livraisons allemandes réparties entre machines, produits mécaniques et automobile, un secteur sensible à la conjoncture et au pouvoir d’achat des ménages.
Les acquisitions de la Russie auprès de la Chine et l’Allemagne se sont ainsi établies à 38,89 milliards d’euros et 26,74 milliards, alors que les trois suivants, États-Unis, Ukraine et Italie, bénéficiaient entre d’entre 10 et 12 milliards d’euros d’achats russes. Arrivaient, ensuite, le Japon, avec un chiffre de 9,93 milliards d’euros, et la France, avec un montant de 8,99 milliards d’euros, en baisse de 13,34 % sur 2012. Sa part de marché, d’après les données de GTA/GTIS, est ainsi tombée de 4,59 % à 4,16 %.
François Pargny