La locomotive de l´Afrique de l´Ouest pourrait peu à peu s´essouffler. La Côte d´Ivoire, qui représente 35 à 40 % du produit intérieur brut (PIB) de l´Union économique et monétaire d´Afrique de l´Ouest (Uemoa) et des exportations mondiales de cacao, possède aujourd´hui deux présidents de la République, deux Premiers ministres et deux gouvernements.
A l´issue des élections du 28 novembre, Laurent Gbagbo, président sortant, et Alassane Ouattara se disputent la magistrature suprême, renforçant ainsi la scission de fait entre le sud du pays, contrôlé par l´Armée ivoirienne fidèle à Laurent Gbagbo, et le nord, aux mains des ex-rebelles des Forces Nouvelles, dont est issu Guillaume Soro, Premier ministre d´Alassane Ouattara après avoir été celui de Laurent Gbagbo.
La communauté internationale a reconnu la victoire d´Alassane Ouattara, y compris la France, le chef d´Etat, Nicolas Sarkozy, en visite en Inde, ayant jugé ce succès « incontestable ». Des propos qui, visiblement, mettent mal à l´aise les milieux d´affaires français, estimant que c´est aux « Ivoiriens et aux Africains seuls » de choisir.
« Les PME sont en situation de survie », affirme Michel Tizon, le président de la Chambre de Commerce et d´Industrie française en Côte d´Ivoire (CCIFCI), qui compte 750 membres. « Ce qui les intéresse, c´est de pouvoir payer leur personnel et leurs impôts », poursuit-il. Or, faute d´instructions précises, la situation est très instable. « Je conseille à mes membres de payer leurs impôts comme d´habitude à l´Administration et, si elles ne peuvent pas, explique Michel Tizon, d´écrire de façon à ce qu´une fois la situation politique et l´activité normale entre les fournisseurs et les clients rétablies elles puissent alors bénéficier d´une certaine compréhension de l´Etat ».
Les grands investisseurs sont inquiets. France Telecom-Orange a rapatrié ses salariés français et binationaux. « La période de Noël approche et 20 % des enfants seulement sont scolarisés, alors que les écoles ferment la semaine prochaine », expose Michel Tizon. « Nombreux sont les Français déjà rentrés », confirme Anthony Bouthelier, président délégué du Cian (Conseil français des investisseurs en Afrique). Pour éviter les pressions des deux camps, les grandes entreprises auraient plutôt intérêt « à faire le mort », défend-on à Abidjan.
Les bailleurs de fonds (Banque mondiale, Union européenne…) ayant annoncé leur intention de sanctionner la Côte d´Ivoire, Laurent Gabgbo pourrait être tenté de faire miroiter les richesses de la Côte d´Ivoire, notamment le cacao, le pétrole et les minerais, aux yeux de pays dont il voudrait se faire des alliés. On parle de la Chine, mais « le géant asiatique serait à la recherche d´une plus grande respectabilité en Afrique », affirme-t-on à Paris. Alors, la Russie, dont on dit qu´elle aurait reçu des blocs pétroliers avant les élections ? Mais Moscou a finalement rejoint les autres membres du Conseil de sécurité de l´Organisation des Nations Unies (Onu) pour « condamner » le maintien de l´ancien président au pouvoir.
Restent les Etats-Unis, dont le régime de Laurent Gbagbo avait voulu se faire un allié contre la France. « Washington a finalement choisi de s´appuyer sur Paris pour sécuriser le Golfe de Guinée, où les Américains réalisent déjà 17 % de leurs importations de pétrole. Ils prévoient même que cette part monte à 25 %. Et l´Afrique est aujourd´hui plus importante dans leurs approvisionnements que le Moyen-Orient », assure un fin connaisseur de la région.
Faute d´avoir déstabilisé l´Etat français, Laurent Gbagbo aurait tenté d’intéresser les groupes français. C´est ainsi que Total a conclu un accord pour entrer dans l´exploration et l´exploitation d´un gisement pétrolier ou que la construction d´un troisième pont a été promise à Bouygues. « Mais aucun coup de pioche n´a été donné jusqu´à présent », affirme-t-on dans la capitale économique.
François Pargny