« En France, nous sommes devenus des applicateurs, alors qu’en Ukraine c’est l’agronomie comme on nous l’a enseigné, celle qui demande de réfléchir. ». Tel est, en résumé, le message qu’était venu transmettre, le 22 février, Jean-Paul Kihm, lors de la demi-journée consacrée à l’Ukraine lors du dernier Salon international du machinisme agricole (Sima).
Céréaliculteur dans la Haute-Marne, où il possède une exploitation de 700 ha, Jean-Paul Kihm cultive depuis 4 ans 3 500 ha de céréales dans la région de Dniepropetrovsk, avec quatre associés français et 15 employés ukrainiens. Ils font partie de cette poignée d’agriculteurs français qui ont tenté avec succès l’aventure du tchernoziom, ces terres noires considérées comme les plus fertiles au monde.
Avec ses 43 millions d’ha de terres agricoles (70 % de la surface du pays), dont plus de 32 millions d’ha de terres arables, l’Ukraine attise les convoitises des grands groupes agricoles mondiaux. Dont celle de l’entreprise française AgroGénération, cotée à la bourse de Paris depuis mars 2010, qui y exploite 20 000 ha de céréales. Une surface que Charles Beigbeder, P-dg de la société, compte multiplier par cinq d’ici à 2012.
Malgré la crise de 2008 qui a très durement frappé l’économie ukrainienne, la production et les investissements directs étrangers (IDE) sont au rendez-vous. « L’agriculture est le seul secteur de l’économie ukrainienne dont la production n’a pas baissé pendant la crise », a ainsi déclaré Alex Lissitsa, le président de l’Agribusiness Club d’Ukraine (Ucab), une fédération regroupant les principales entreprises agricoles du pays. Quant aux IDE dans l’agriculture ukrainienne, entre 2008 et 2009, ils ont progressé de 7,1 % pour atteindre 871,4 millions de dollars, selon les chiffres de l’Ucab. Et ce malgré de nombreux obstacles.
À commencer par la question de la propriété. Comme en Russie, un étranger ne peut pas acheter de terres en Ukraine. Seule solution : la location, dont le coût moyen par hectare s’élève à 310 dollars (221 euros). « C’est moins cher qu’avant la crise de 2008, mais nous assistons à une légère hausse depuis le troisième trimestre 2010 », précise Sergueï Feofilov, directeur général d’UkrAgroConsult, cabinet ukrainien spécialisé dans l’analyse du marché agricole.
Pour Jean-Paul Kihm et ses associés, le plus difficile n’a pas été de trouver des terres. Premier obstacle, les semences : « Les semences de bonne qualité sont rares en Ukraine ; il ne faut pas s’attendre à y trouver des blés de qualité russe ou européenne », confie l’agriculteur. Bonne nouvelle cependant : le gouvernement ukrainien doit publier avant fin 2011 un catalogue des semences de blé, sur le modèle européen. En France, l’Institut du végétal prépare de son côté, en collaboration avec l’État ukrainien, un guide technique du maïs pour 2012.
Deuxième obstacle, peut-être le plus difficile à surmonter : le manque de personnel qualifié. « En Ukraine, on ne peut pas faire de l’agriculture depuis un bureau, il faut absolument un relais sur place, en plein champ, explique-t-il. Et comme nous avons du mal à trouver du personnel local d’encadrement technique, il faut développer l’exploitation soi-même. »
Ainsi, avec une amplitude thermique de plus de 70 °C, un printemps qui arrive tôt et vite, les cultures d’automne sont à privilégier. Le vent fréquent et changeant oblige à « attraper » les bons créneaux pour la pulvérisation, qui est souvent effectuée de nuit. En outre, si le gigantisme ukrainien peut laisser penser qu’il nécessite des machines agricoles « dernier cri », Jean-Paul Kihm conseille de ne pas investir dans du matériel trop sophistiqué : « Si vous ne trouvez pas une pièce détachée sur place, c’est toute l’exploitation qui risque de s’arrêter. »
Malgré ces obstacles techniques, l’agriculture ukrainienne a fourni en 2009 un intéressant relais de croissance à Jean-Paul Kihm et à ses associés (voir tableau ci-dessous). Alors que son exploitation en France a perdu de l’argent, il en a gagné en Ukraine (113 euros par ha). « Pour la campagne 2010, je ne pense pas que l’écart sera aussi important mais, quand l’année est mauvaise en France, on peut s’en sortir en Ukraine », souligne-t-il.
Sophie Creusillet