Dialogue de sourd au conseil européen sur la révision de la directive ‘travailleurs détachés’. Lors de leur dernière réunion à Bruxelles, les 28 ministres de l’Emploi « ont très peu avancé », confiait un membre de la délégation maltaise, dont le pays assure la présidence de l’Union européenne (UE) jusqu’au 31 juillet prochain. Objectif de La Valette ? Adopter une approche générale pour la réunion des ministres de l’Emploi de juin. Mais rien n’indique, à ce stade, qu’un compromis pourra être trouvé au cours des prochains mois tant la scission est profonde entre les pays qui, comme la France, l’Allemagne ou la Belgique, réclament une application plus stricte des règles du détachement et ceux qui brandissent l’étendard du marché unique, essentiellement les Etats à l’est du bloc.
Le texte actuellement en vigueur stipule qu’un travailleur, citoyen européen « détaché » dans un autre pays de l’UE, continue de « bénéficier », pendant un temps donné, des conditions de rémunération de son pays d’origine. Juridiquement, les employés dépendent donc du contrat de travail signé avec l’entreprise qui les détache. Adoptée en 1996, avant l’élargissement du bloc, la directive n’est plus adaptée, assurent Paris et Berlin, qui dénoncent un dumping social entre citoyens européens.
Un bloc Pologne-Hongrie hostile
Soucieuse de ne pas donner de nouveaux arguments aux populistes europhobes, à la veille d’élections dans ces deux grands pays européens, la Commission a proposé une révision du texte, en mars 2016. Principale mesure envisagée : un employé « détaché » doit être payé, à minima, comme les travailleurs de son lieu d’accueil.
Mais les pays de la « nouvelle Europe », la Pologne ou la Hongrie en tête, refusent toute modification du texte au nom du principe de la libre circulation et contestent la majeure partie des éléments clés prévus dans le texte révisé proposé par l’exécutif européen. Parmi ces éléments la durée de la rémunération du travailleur détaché, actuellement fixée par son pays d’origine, que Bruxelles souhaite limiter à deux ans maximum, après quoi des contrats locaux devront être signés.
Pierre d’achoppement des ces négociations, la présidence maltaise a dès lors suggéré de « remettre à plus tard », ce que les pays de l’est juge comme l’un des éléments les plus controversés du texte. Mais des avancées timides auraient néanmoins été réalisées lors de la réunion des 28 ministres la semaine passée. « Le bloc Pologne-Hongrie est toujours aussi hostile et virulent contre ce texte. Mais d’autres États, comme la Roumanie, la Bulgarie ou même la République tchèque, sont un peu plus ouverts. Ils se disent prêts à défendre de meilleures conditions de travail, lutter contre la fraude ou encore les sociétés boîtes aux lettres », juge une source proche du dossier citée par le site Contexte.
Une analyse qui n’était cependant pas partagée par l’ensemble des délégations, les Slovaques jugeant, par exemple, qu’aucun rapprochement sur le texte révisé n’avait été constaté pour le moment.
Huit pays pour des règles européennes contre les emplois sous-payés
Car un autre débat est venu récemment empoisonner des discussions déjà crispées. En février, une coalition de huit pays d’Europe occidentale – la France, l’Allemagne, l’Italie, le Danemark, l’Autriche, le Luxembourg, la Belgique et la Suède – ont signé un accord à Paris en faveur de règles européennes contre les emplois sous-payés pour les chauffeurs routiers. En vertu des règles européennes sur le cabotage, actuellement en vigueur, un chauffeur routier peut passer jusqu’à sept jours dans un autre État membre en restant soumis à la législation du pays où il est employé. Or le groupe des huit Etats signataires de l’accord estime que cette disposition entraîne de mauvaises conditions de travail et de salaire pour les conducteurs de poids lourds.
Ils dénoncent par ailleurs une concurrence faussée par les entreprises de transport routier d’Europe de l’Est, qui offrent des postes à bas salaire. « Les modalités d’application du détachement spécifiques à ce secteur ne figurent pas dans la révision proposée par la Commission », rappelle-t-on à Bruxelles. Mais la division Est-Ouest, très nette sur ces dossiers, freine à ce stade tout espoir d’aboutir à un compromis équilibré.
Le lobby français et allemand, particulièrement intense au cours de ces derniers mois, est d’ailleurs publiquement critiqué par la Pologne. « On peut remarquer que certaines actions entreprises par les États membres ont été accélérées au vu de l’échéance électorale à venir dans ces États », s’est indignée Justyna Skrzydło, ministre adjointe polonaise des Infrastructures, lors d’une conférence organisée par la représentation permanente polonaise à Bruxelles.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles