En octobre prochain, se tiendra à Washington le septième round de négociations sur le TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership), commencées en juillet 2013, mais les chances d’éliminer les points de blocage paraissent plus que jamais éloignées, selon les propos entendus lors d’une table ronde organisée à Paris, le 4 septembre, par la commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale, présidée par l’écologiste Danielle Auroi (Puy-de-Dôme).
A ce stade, les divergences restent en effet nombreuses : agriculture, règlements des différents entre investisseurs et États (RDIE ou ISDS), accès aux marchés publics et surtout normalisation et standardisation. Or, il n’est pas certain que les Européens se montrent si unis face à des Américains puissants, des Américains qui, de leur côté, sont contraints par leur agenda politique et leurs avancées dans les négociations du partenariat transpacifique.
Certes, les parlementaires présents, tout comme les représentants des entreprises (Business Europe, Medef, CGPME, CCI Paris-Ile-de-France, Union des industries textiles, Union des industries chimiques) et du Comité économique et social européen (Cese), n’ont pas remis en cause l’intérêt d’un accord entre les deux plus grandes puissances économiques de la planète. Ce qui, pourtant, n’a pas empêché l’un d’entre eux d’exprimer ses doutes.
« Je m’interroge sur la pertinence d’un accord avec Washington, car les Européens ne partagent déjà pas toujours la même position et les Américains sont en face très forts », a lâché le député UMP des Yvelines Jacques Myard. Des propos faisant écho à ceux du parlementaire européen Robert Rochefort (groupe Alliance des démocrates et libéraux pour l’Europe), citant l’exemple du textile. « La France et l’Italie, selon lui, veulent rendre obligatoire la traçabilité de l’étiquetage et donc de l’origine, ce qu’on ne veut pas en Europe du Nord ».
Dans ce domaine, c’est Rome qui a été moteur, en proposant à la Commission européenne l’étiquetage d’origine obligatoire de tous les produits d’habillement fabriqués en dehors de l’Union, européenne (UE), ce qui n’est pas imposé par l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
« Le plus paradoxal, c’est que dans le textile, le rapport économique est en notre faveur. L’Europe, c’est la créativité, le luxe, des matières comme le lin et la soie, alors que les États-Unis sont beaucoup plus connus pour le coton ou les synthétiques. Et quand nous exportons 2, ils exportent 1. Mais les États-Unis sont très forts dans les négociations, parce que ce pays a toujours imposé pour le textile un chapitre séparé dans les accords internationaux qu’ils ont négociés et qu’ils nomment toujours un négociateur spécial pour ce secteur, en l’occurrence Gail Strickler, qui est, d’ailleurs, redoutable », affirme Emmanuelle Butaud-Staubs, déléguée générale adjointe de l’Union des industries textiles (UIT).
Le TTIP, commente Robert Rochefort, « c’est un vrai combat et je ne suis pas certain qu’on le terminera rapidement malgré la volonté déclarée ». L’ambassadeur américain auprès de l’UE, Anthony Gardner, a émis l’espoir que le TTIP soit bouclé avant la fin de l’année prochaine. Or, dans un document interne, le Secrétariat général des Affaires européennes (SGAE) estime qu’il faudra sans doute attendre 2015 pour espérer « une percée des négociations ». L’année 2014 serait, en fait, « peu propice à des avancées rapides », en raison de l’agenda politique des deux côtés de l’Atlantique.
Aux États-Unis, l’Administration américaine n’a toujours pas reçu de mandat de négociation (fast track) de la part du Congrès. S’y ajoute le fait que les élections à mi-mandat du 4 novembre prochain (435 sièges de la Chambre des représentants et 35 sièges du Sénat seront en jeu) vont mobiliser toutes les énergies, car il s’agit peut-être de la dernière chance du président Obama d’imposer son programme législatif (immigration notamment).
En Europe, la nouvelle Commission européenne, présidée par le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, ne prendra pas officiellement ses fonctions avant novembre. « Reste que si nous arrivons à signer, les deux parties, compte tenu de leur poids économique et commercial, dessineront le cadre et la définition des normes pour les cinquante années à venir », ce qui est particulièrement important au regard de « nos rapports avec les Chinois ou les Indiens », prévient Robert Rochefort.
Ce qui est aussi important pour Business Europe, association patronale qui représente 35 pays, et qui met l’accent sur l’accès aux marchés de pays tiers, notamment émergents comme la Chine. « Nous croyons à l’agenda multilatéral, mais comme c’est l’impasse à l’OMC, nous nous montrons également pragmatiques en soutenant l’agenda bilatéral. Et dans ce cadre il est bien évident que nous nous concentrons sur nos grands partenaires comme le Japon et le premier d’entre eux, les États-Unis », souligne Luisa Santos, sa directrice des Affaires internationales. Union européenne et États-Unis représentent 40 % du produit industriel brut de la planète et échangent pour environ deux milliards d’euros de biens et services tous les ans.
Pour Luisa Santos, toutefois, il faut tenir compte du fait que le TTIP n’est pas la priorité des États-Unis. « C’est le partenariat transpacifique (TPP), parce qu’il est négocié depuis plus de cinq ans et donc a le plus de chance d’aboutir ».
Selon elle, « l’instant serait critique ». Si à la fin de l’année, les parties prenantes n’arrivent pas un compromis – notamment parce que Washington et Tokyo ne s’entendent pas –, alors il faudra sans doute pour les Américains « se focaliser sur le TTIP ». En fait, explique Luisa Santos, « l’administration américaine joue sur les deux accords, car le transpacifique rencontre le plus d’opposition au Congrès, alors qu’avec l’Europe il y a une dimension stratégique, surtout au moment du conflit en Ukraine, en termes politiques ».
François Pargny