Resserrer les liens d’une Union européenne (UE) diluée en concentrant son action politique sur un nombre limité de priorités : une phrase qui à elle seule résume « l’esprit de Bratislava », ville où s’étaient retrouvés les 27, en septembre, pour relancer un projet européen en panne, fragilisé plus encore par la perspective d’un « Brexit ». Parmi les priorités fixées par l’axe franco-allemand, figurent la sécurité et la défense, deux thèmes où une action conjointe pourrait avoir une véritable plus-value. « Ce sont aussi des dossiers pour lesquels les citoyens réclament une politique commune et mieux coordonnée », explique-t-on à la Commission européenne, qui se base sur les résultats de l’Eurobaromètre, publiés avant l’été 2016.
Les premiers jalons d’une Europe de la défense seraient-ils en train de se mettre en place ?
Le principe d’autonomie stratégique européenne refait donc surface
« Le contexte n’a jamais été aussi favorable », estime un diplomate français à Bruxelles. Outre la multiplication des problèmes d’insécurité – telle que la politique menée par la Russie, la crise des migrants ou le terrorisme – les Européens redoutent aussi un désengagement croissant des Américains. « Les querelles idéologiques entre l’UE et l’OTAN sont également dépassées. Nous raisonnons désormais en terme de complémentarité », assure cette même source.
Le principe d’autonomie stratégique européenne refait donc surface, « alors qu’il était impensable d’obtenir un consensus sur la question il y a deux ans », ajoute-t-elle. Autre nouveauté : la possibilité de financer la recherche dans le secteur de la défense en utilisant le budget européen. Une action préparatoire doit être lancée entre 2017 et 2019 pour tester la faisabilité de cette idée. Pour cela, l’UE entend s’inspirer d’Horizon 2020, le grand programme-cadre d’aide à la recherche scientifique géré par la Commission européenne. Et si le programme s’avère concluant, le domaine de la défense pourrait être pleinement intégré dans l’agenda budgétaire de l’UE pour la période 2021-2027.
D’ici là, la Commission a proposé d’investir 90 millions d’euros pour la recherche en matière de défense dans le cadre de cette action préparatoire. Un montant modeste comparé aux 18 milliards investis par les Américains dans ce secteur. « Mais c’est un début et il est important, pour l’Union européenne, c’est une révolution », estime Jorge Domecq, le directeur exécutif de l’Agence européenne de défense. Et pour lui, ce n’est pas un atout, mais un pré-requis essentiel : « Elle soutient aussi l’autonomie stratégique de l’Europe, dynamise son industrie, crée des emplois et favorise la croissance », ajoute-t-il, soulignant la nécessité d’un engagement conjoint entre les institutions européennes, les États membres et l’industrie pour atteindre cet objectif.
Vers un fonds européen conçu dans l’esprit du plan Juncker
Conseiller spécial du président de la Commission européenne sur les questions de défense, Michel Barnier estime lui aussi que la question du financement de la recherche dans le secteur est l’enjeu majeur de cette politique encore en gestation. Pour l’ancien commissaire européen, qui préside également le groupe de travail sur le « Brexit », l’UE pourrait lancer un fonds européen de défense, conçu dans l’esprit du plan Juncker. « On pourrait avoir un budget de 3 à 4 milliards d’euros dans le prochain paquet budgétaire, estime-t-il. Cela permettrait d’assurer environ un million d’emplois hautement qualifiés».
Reste à savoir combien d’États membres, en dehors de l’Allemagne et de la France, pourraient contribuer à l’élaboration de cette nouvelle politique commune dans la défense. « L’Italie et l’Espagne soutiennent également l’idée », précise-t-on à la Représentation permanente de la France auprès de l’UE (RPUE). La semaine passée, les ministres de la Défense des quatre pays ont d’ailleurs écrit à leurs homologues pour souligner l’urgence de nouveaux financements en faveur d’une défense européenne autonome. Pas question à ce stade d’une armée européenne mais du renforcement des capacités militaires de l’UE, soit « des forces plus performantes, des capacités modernes et une industrie de la défense efficace », écrivent les ministres dans leur courrier.
« Nous avons trois mois pour travailler sur le dossier », avance un responsable à la RPUE. L’objectif initial de Paris serait de démarrer à 27, « on verra combien resteront à la fin ». Une coopération renforcée entre un nombre limité d’États membres est donc envisagée si certains d’entre eux refusaient de s’engager sur ce projet commun.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles